"Les intellectuels et la colonisation :

Entre l'autoflagellation morbide et la lucidité."

...par Michel Klen - le 23/02/2017.

 

Officier qui a terminé sa carrière dans le renseignement, auteur d’une thèse de doctorat sur l’Afrique australe, l’auteur a écrit de nombreux articles dans la revue Défense nationale et plusieurs ouvrages, dont Le Défi sud-africain, L’Algérie française, un tragique malentendu, L’Odyssée des mercenaires, Femmes de guerre et Les Ravages de la désinformation.



Le débat agité sur la colonisation demeure un phénomène étrange qui est entretenu par un microcosme d'intellectuels qui n'ont de cesse d'appeler à verser des larmes de contrition massive pour condamner la France. Déjà en 1986, le pape Jean-Paul II confiait à l'occasion d'une audience au Vatican à François Léotard, alors ministre de la culture et de la communication du gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac : « La France n'a toujours pas surmonté la question de la colonisation. » La remarque reste d'autant plus pertinente que la Grande-Bretagne, le Portugal et, à un degré moindre, les Pays-Bas, ne sont pas atteints par ce mal typiquement gaulois d'autoflagellation pour satisfaire un curieux besoin de culpabilisation. Ces pays ont pourtant eu à gérer un empire colonial.

En juin 1992, le roi du Maroc Hassan II déclarait à l'occasion d'un entretien avec Philippe de Villiers, alors président du Conseil général de Vendée : « Pour aimer un pays, il faut sentir qu'il a un passé. Ce n'est plus votre cas. Vous dépensez tant de temps à battre votre coulpe sur la poitrine de vos ancêtres. (…), vous apprenez à vos enfants à se détester, alors que vous avez quand même des motifs de fierté. »[1] Voilà une belle leçon de sagesse et de réalisme.

Malika Sorel, une personnalité franco-algérienne diplômée de l'école polytechnique d'Alger et de sciences po en France, ancien membre du Haut Conseil à l'intégration, a très bien qualifié ce comportement malsain : « Ce n'est pas en se flagellant qu'on fera aimer la France aux enfants et aux adolescents des banlieues. Bien au contraire. Notre comportement relève parfois de la psychiatrie ! »

 

Quand les intellectuels français glorifiaient la colonisation

           

Pourtant au XIXe siècle, les plus grands penseurs français saluaient l’œuvre coloniale de la France, en particulier son action en Algérie. Au premier chef, Alexis de Tocqueville qui fit plusieurs voyages en Algérie et s'affirma comme le héraut de l'expansion coloniale au nom de l'intérêt de son pays. Le célèbre homme politique et historien écrivait : « la conservation des colonies est nécessaire à la force et à la grandeur de la France. (…). Je ne crois pas que la France puisse songer sérieusement à quitter l'Algérie. L'abandon qu'elle en ferait serait aux yeux du monde l'annonce certaine de sa décadence. »

De son côté, Victor Hugo louait « l'action civilisatrice de la France à l'égard de certains peuples ». Le prestigieux homme de lettres alla même jusqu'à évoquer une marche lumineuse sur la barbarie dans laquelle la France s'identifiait à « un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. » (Choses vues). Dans un grand élan de passion, le chef de file du romantisme français lançait cette tirade enflammée lors d'un banquet sur la commémoration de l'abolition de l'esclavage (18 mai 1879) : « Dieu offre l'Afrique à l'Europe. Prenez-la non pour le canon, mais pour la charrue. (…). Non pour la conquête, mais pour la fraternité. (…). Allez faîtes ! Faîtes des routes, faîtes des ports, faîtes des villes ; croisez, cultivez, colonisez, multipliez. »[2]

Oui, c'est bien le grand Victor Hugo qui parle. L'auteur des Misérables et de tant d'autres œuvres mythiques sera exaucé. Ce discours de fierté a longtemps prédominé. Jules Ferry l'a porté avec détermination en justifiant la colonisation par trois idées fortes : la grandeur à redonner à la France humiliée par la perte de l'Alsace-Lorraine, l'aide à apporter à d'autres peuples et la nécessité  de saisir des opportunités économiques visant à ouvrir de nouveaux champs d'activité. L'exaltation du colonialisme trouvera son apogée lors de l'exposition coloniale à Paris en 1931 qui rassembla plusieurs dizaines de millions de visiteurs. Le commissaire de la manifestation était d'ailleurs le maréchal Lyautey, alors âgé de 76 ans. L'ancien résident général au Maroc jouissait d'un immense prestige. A Casablanca, un lycée  porte toujours son nom.

 

Quand des intellectuels algériens reconnaissent les bienfaits de la colonisation

 

Après l'indépendance de l'Algérie, le discours sur la colonisation a changé. Haro sur les colons, l'armée française et les réalisations de la France dans son ancienne colonie. L'esprit soixante-huitard a fait des ravages dans la société. Pourtant l’œuvre de la France est considérable. En 132 années de présence, la France créa l'Algérie, lui offrit le Sahara qu'elle n'a jamais possédé après y avoir découvert et mis en exploitation ses ressources d'énergie qui lui procurent aujourd'hui plus de 90% de ses recettes d'exportation. Elle équipa le pays d'infrastructures, d'écoles, d'hôpitaux et de centres de recherche médicale, en particulier l'institut Pasteur, dont les découvertes ont métamorphosé le tissu sanitaire et permis le développement de la population locale.

 

Pour répondre aux accusations portées contre la France par certains dirigeants algériens soucieux de cacher leur échec patent, des intellectuels algériens ont engagé une riposte. Il y a d'abord l'écrivain Boualem Sansal. Cet auteur natif de l'Oursenis et qui bénéficie d'une notoriété internationale mise en valeur par plusieurs récompenses prestigieuses (prix du premier roman en 1999, prix RTL- Lire et grand prix de la francophonie en 2008, prix du roman de l'Académie française en 2015, etc.), a notamment écrit :

« Je suis un iconoclaste qui dénonce les mensonges de la guerre de libération. (…). L'Algérie a été construite par la France dont elle porte les valeurs du XIXéme. (…). La France est le centre du monde par son immense culture et sa liberté. C'est le pays de l'équilibre par excellence. » (Le serment des barbares).

« En un siècle, à force de bras, les colons ont, d'un marécage infernal, mitonné un paradis lumineux. Seul l'amour pouvait oser un pareil défi... Quarante ans est un temps honnête, ce me semble, pour reconnaître que ces foutus colons ont plus chéri cette terre que nous qui sommes ses enfants. » (Le serment des barbares).

A un journaliste du Figaro qui lui demandait s'il avait la nostalgie de la présence française, Boualem Sansal répondit : « Comme 80% des Algériens. (…). Au temps de la présence française, l'Algérie était un beau pays, bien administré, plus sûr, même si de criantes inégalités existaient. Beaucoup d'Algériens regrettent le départ des pieds-noirs. S'ils étaient restés, nous aurions peut-être évité cette tragédie. » (Le Figaro, 18 septembre 1999).


L'écrivain algérien Yasmina Khadra, auteur du grand succès littéraire Ce que le jour doit à la nuit, élu meilleur livre de l'année 2008 et adapté au cinéma par Alexandre Arcady en 2012, a aussi rendu hommage aux colons dans son ouvrage phare : « Jadis c'était un territoire sinistré, livré aux lézards et aux cailloux, (…), un territoire de broussailles et de rivières mortes, (…). Puis des laissés-pour-compte et des trimardeurs en fin de parcours, (…), retroussèrent leurs manches et entreprirent de dompter les plaines fauves, n'arrachant un lentisque que pour le remplacer par un cep, ne sarclant un terrain que pour y tracer les contours d'une ferme.... »

Le journal Al Watan a également dénoncé la confiscation de la vérité historique. Dans le numéro du 15 mars 2013, Saïd Rabia affirme : « L'histoire qu'on a enseignée, c'est celle qu'on a triturée et soumise aux manœuvres du pouvoir. Donc, elle n'a jamais été vraie. »

A ces témoignages percutants, il faut ajouter l'aveu de Hocine Aït Ahmed, l'un des neuf chefs historiques du FLN, combattant dans les maquis de l'ALN pendant la guerre d'Algérie, puis farouche adversaire du régime d'Alger au lendemain de l'indépendance. Dans la revue Ensemble, il affirme avec force en juin 2005 : « Chasser les pieds-noirs a été plus qu'un crime, une faute, car notre chère patrie a perdu son identité sociale. (…). N'oublions pas que les cultures juives et chrétiennes se trouvaient en Afrique bien avant les arabos-musulmans, eux aussi colonisateurs, aujourd'hui hégémoniques. Avec les pieds-noirs et leur dynamisme -  je dis bien les pieds-noirs et non les Français – l'Algérie serait une grande puissance africaine méditerranéenne. Hélas ! Je reconnais que nous avons commis des erreurs politiques et stratégiques. Il y a eu envers les pieds-noirs des fautes inadmissibles..... » A un journaliste du Figaro Magazine qui lui demandait comment était l'Algérie avant l'indépendance, Aït Ahmed confiait en février 1990 : « Avant ? Vous voulez dire du temps de la colonisation ?  Du temps de la France ? Mais c'était le paradis ! Des fleurs, des fruits, des légumes partout. Maintenant nous manquons de tout : de crèches, d'écoles, d'hôpitaux, de dispensaires, ... »

Fermez le ban ! Tous ces témoignages sont d'autant plus significatifs qu'ils émanent de sommités algériennes. Ces intellectuels apportent un parfum de clairvoyance dans le tintamarre des sirènes de la repentance qui se plaisent à s'ériger en procureur d'une histoire falsifiée.

 

Michel KLEN


Les derniers livres de Michel KLEN : La guerre du bluff est éternelle (Favre)  et La tragédie de l'Algérie française (Dualpha)

 


[1]    Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j'ai vu, Albin Michel, 2015.

[2]    Rapporté par l'historien Jean Sévillia, Historiquement correct, Perrin, 2003.

 


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