La Guerre par ceux qui la font : stratégie et incertitude

par le Gal. François Chauvancy - le 12/06/2016.



Le Centre des hautes études militaires (CHEM) a publié un ouvrage composé de réflexions stratégiques écrits par des colonels de l’armée de terre, de l’armée de l’air ou des capitaines de vaisseau en stage d’un an après avoir commandé une unité et avoir servi le plus souvent en administration centrale. Ce stage vise à approfondir leurs connaissances notamment interministérielles en vue de tenir des postes de haute responsabilité. La formation continue au sein des armées, même affaiblie par les coupes budgétaires depuis des années, est une nécessité à préserver.

Sous la direction du général de brigade Benoît Durieux (Cf. Les interviews dans Le Point du 22 avril 2016 par Jean Guisnel et Valeurs actuelles du 2 juin par Yves Roucaute et Anne-Laure Debaecker), cet ouvrage intitulé « La Guerre par ceux qui la font. Stratégie et incertitude » publié aux Editions du Rocher montre que la réflexion stratégique, bien souvent délaissée pour des approches plus axées sur le quotidien, doit faire partie de la formation des officiers supérieurs même si tous n’en ont pas le goût mais cela n’a que peu d’importance. A chacun son rôle.

Penser la stratégie, surtout en interarmées et en interalliés, comme c’est le cas au CHEM, conduit à faire l’état des engagements passés en vue de préparer les engagements futurs dans le contexte de la stratégie générale et non de la seule stratégie militaire. Ces officiers pourront aussi en parallèle établir ces passerelles nécessaires à la prise de décision au sein de la session annuelle de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN) qui associe ces officiers supérieurs à la société civile dans sa plus grande diversité. Penser la stratégie inclut de penser la guerre au sein d’une approche globale des relations internationales et de la sécurité nationale.

Cependant, il ne faut pas se leurrer. Rares sont les hommes de guerre nés stratèges, c’est-à-dire capables d’identifier la finalité à atteindre d’une stratégie en intégrant tous les facteurs. Etre stratège ne signifie pas non plus être un tacticien (et vice-versa) qui peut s’apprendre au cours de sa carrière car les règles de la tactique existent et peuvent être enseignées. Concernant la stratégie, n’est cependant pas qui veut Alexandre, Napoléon, Foch, Castex, Mahan, Douhet et rares autres.

En effet, une pensée  stratégique est le résultat d’un travail personnel important dans la durée qui comprend l’histoire militaire, les enseignements passés en les confrontant avec les guerres d’aujourd’hui, la prospective qui permet d’imaginer celle de demain, même si penser la guerre de l’avenir peut bien souvent  gêner le politique au pouvoir dans sa vision des enjeux à court et à moyen terme, ou la hiérarchie militaire la plus ancienne qui doit alors remettre en cause son approche stratégique. Le stratège doit enfin élargir constamment sa culture générale, notamment en développant sa curiosité pour toujours en savoir plus, pour toujours en déduire l’action concrète à mener pour anticiper, faire face et gagner.

Cette pensée stratégique est aussi collective car la confrontation de ces réflexions avec celles d’autres experts militaires d’autres spécialités, d’autres nations mais aussi avec l’évolution de la société civile par le biais des sciences humaines, des sciences et donc de la technologie est nécessaire. Le plus souvent, elle est le résultat d’un travail incessant et rarement celui de la pensée géniale d’un génie de la guerre (Cf. Mon billet du 6 avril 2014 : « Qui devrait penser la stratégie militaire ? »).

Que penser-donc de cet ouvrage que j’ai bien entendu lu ? Il est organisé en trois parties, « le temps de l’incertitude »,  le temps de la sagesse stratégique » et « le temps des opérations globales ». Il est le résultat sans aucun doute du travail important d’officiers ayant connu de multiples opérations et d’expériences moins militaires après environ vingt-cinq ans de carrière.

Le capital d’expériences conduit aussi à rendre ces analyses riches même si beaucoup restent conventionnelles, ce qui est normal. Faire de la prospective à partir d’un constat commun issu d’une longue situation de conflits conduit nécessaire à orienter la réflexion stratégique. Le vrai enjeu reste cependant d’imaginer la menace de demain qui réalisera la surprise justement stratégique et portera atteinte à la France. En outre, faire preuve d’imagination excessive peut décrédibiliser une réflexion stratégique originale car elle pourrait perturber par exemple un Livre blanc et donc une loi de programmation militaire.

Peu importe. Réfléchir, écrire cette réflexion d’une manière rigoureuse, apporter un éclairage d’experts de la guerre imposerait donc que cet ouvrage soit au moins lu et débattu dans toutes les grandes écoles, y compris l’ENA, par exemple avec pour animateurs des débats ces officiers avec leur expérience et leur réflexion. La guerre que notre société redécouvre mérite en effet qu’elle soit éclairée par ces réflexions stratégiques pour que ceux qui seront à des postes de responsabilité dans la société civile demain se rendent compte que « La guerre! C’est une chose trop grave pour la confier(…) » … à ceux qui l’ont ignorée. A ce titre, les officiers du CHEM apportent cette réflexion utile, issue de leur expérience, sans être simplement des experts mais aussi des décideurs à qui il faut faire confiance.

Je ne peux que me féliciter de la direction de cet ouvrage menée par le général de brigade Durieux, légionnaire, qui prendra sous peu le commandement de la 6ème brigade blindée et qui est aussi un grand spécialiste de Carl von Clausewitz, auteur du Vom Kriege (de la guerre). Cet ouvrage reste d’ailleurs une référence en terme de philosophie politique et pas uniquement de stratégie militaire.


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