« Armées, évitons la rupture »

Par le Gal. Vincent Desportes - le 08/06/2017.

Dans cette tribune, le général Vincent Desportes, ancien directeur de l’École de guerre et Professeur des universités associé à Sciences-Po appelle le nouveau gouvernement à apporter rapidement des réponses notamment budgétaires, à des armées « qui ont terriblement souffert » au cours des dernières années et à reconstruire une « autonomie stratégique » pour la France.OOM 

 

 

« Les armées sont dans un état critique. C’est avec soulagement qu’elles ont vu arriver leur nouveau ministre après cinq années de difficultés croissantes. Opportunément, la nouvelle appellation de « Ministère aux armées » indique clairement sa vocation : produire des armées équipées et entraînées, porteuses des capacités opérationnelles leur permettant de tenir toute leur place dans la politique de défense de la France.

 Les armées en souffrance 

Les autres directions, délégations et secrétariats sont ainsi intelligemment replacés, au service des armées qui sont la raison d’être de ce ministère. Les militaires attendent beaucoup de cette nouvelle mandature. En effet, depuis un quart de siècle, malgré l’évidence de la montée constante des menaces, malgré les mises en garde répétées des chefs d’état-major successifs, les armées ont terriblement souffert. Il a été trop demandé à leurs ressortissants, alors même que diminuaient les compensations de leurs immenses sujétions. Il a été facile de leur faire supporter l’essentiel des économies budgétaires et des diminutions d’emplois publics puisque l’obéissance des militaires, leur silence imposé, leur sens de l’abnégation et du devoir les a conduits à appliquer à la lettre, sans récrimination ni murmure, les coupes budgétaires franches, les déflations constantes d’effectifs, la dégradation de leurs conditions de travail, la disparition progressive des moyens indispensables à l’exercice de leur profession, à leur formation, à leur entraînement.

 Des engagements non budgétisés 

Pour des résultats bien faibles, le dernier quinquennat a terriblement accéléré cette dégradation. Cinq années de suremploi des armées, une addition d’engagements réactifs sans stratégie globale n’ont produit aucun résultat solide, ni en France, ni au Sahel, ni en Afrique noire, ni au Moyen-Orient : dispersées sur de trop nombreuses missions, éparpillées sur de vastes espaces hors de mesure avec les moyens engagés, les armées n’ont jamais pu déployer les masses critiques suffisantes pendant un temps suffisant pour transformer leurs remarquables succès tactiques en succès stratégiques durables. Ces engagements ont entraîné les forces sur la pente dangereuse du déclassement. Les déploiements se sont multipliés sans qu’en soient mesurées les obligations budgétaires, sans qu’aux guerres que la France conduisait correspondent les indispensables moyens. Il aura fallu l’action ignominieuse de trois terroristes pour qu’enfin soient prises en 2015 quelques mesures ralentissant la dégradation des armées. Surengagements, sous-budgétisation : le résultat est terrible. La priorité sera de rétablir l’adéquation entre les moyens et les missions. La rupture est proche, mais la France peut encore l’éviter.

 Nos armées sont très malades 

Les femmes et les hommes qui composent nos armées sont totalement investis dans leur engagement au service de la nation mais désabusés par le manque de considération concrète que la République leur porte. Les infrastructures militaires sont dans un état souvent désastreux ; des personnels trop absents de leurs garnisons et de leurs familles (jusqu’à 240 jours par an pour certains, avec des taux de divorce en augmentation constante) ; des stocks de munitions parfois très en dessous des seuils acceptables en ce temps de menace ; des taux de disponibilité opérationnelle des équipements catastrophiques, un vieillissement accéléré des matériels, des niveaux d’entraînement tombés depuis longtemps sous les normes de l’Otan alors même que l’armée française est la plus engagée au combat ; des opérations extérieures sous-financées depuis bien longtemps, ce qui rend le succès opérationnel et stratégique beaucoup plus difficile et met en danger les soldats.

 Il faut éviter l’effondrement et vite ! 

Le ministre découvrira une organisation malade de l’empilement rapide de réformes successives. Elle constatera d’elle-même qu’il n’est plus raisonnable de chercher encore « du gras ». Elle comprendra qu’il est essentiel de « respecter les contraintes humaines et matérielles » comme s’y est engagé lui-même le président Macron à Gao le 18 mai. Elle constatera la nécessité de reconstruire l’autonomie stratégique de la France profondément mise à mal par une succession de renoncements : la France ne peut conduire aujourd’hui aucune opération d’importance sans le soutien des armées américaines. Forger une politique militaire à la hauteur des enjeux de défense, remonter en puissance, améliorer les conditions de vie et de travail des militaires : c’est à un réinvestissement massif dans les armées qui s’impose et rapide si la France veut éviter que ses armées, trop fortement sollicitées, trop chichement financées, ne s’effondrent littéralement. Rompre avec le précédent quinquennat, lancer au plus vite les rectifications de trajectoire, forger d’emblée une nouvelle loi de programmation militaire : le chemin est tout tracé pour un ministre qui est bien davantage celui du futur que celui du présent.

 

Le président de la République l’a affirmé haut et fort au soir de son élection : il veut se mettre au service de la France. Il faut que le nouveau ministère aux armées soit enfin, à son instar, au service de ses armées.

 

Source : http://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Armees-evitons-rupture-General-Vincent-Desportes-2017-06-08-1200853451?hash=8f28a2a2-0dc2-4eb8-a594-8cfa553c7dc6

 

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