En cette veille du 1er tour de l’élection présidentielle...

...qui croire sur la politique de défense nationale ?

...par le Gal. François Chauvancy - le 16/04/2017.

La question mérite d’être posée. Les prétendants précédents ont tellement peu tenu leurs engagements. Dans le contexte de méfiance persistante envers la classe politique, peut-on encore croire des promesses qui n’engagent que ceux qui les écoutent?

D’ailleurs, sans menace islamiste, sans actions terroristes régulières, sans guerre en Ukraine, sans menace nucléaire coréenne, sans Brexit et son influence sur la défense européenne, sans l’élection de Donald Trump, nous aurions sans doute eu des propositions bien lénifiantes. Cette situation sécuritaire est une des caractéristiques de cette élection présidentielle atypique.

De fait, le candidat, futur chef des armées, doit répondre à la demande des citoyens-électeurs inquiets. Il doit donc faire une offre politique dans le domaine de la défense et la sécurité. Billet un peu long, un questionnaire vous permettra de vous orienter (peut-être) sur le candidat apte à la fonction de chef des armées à la fin de cet article.

Ne pas tromper à nouveau

Dans tous les cas, le citoyen est aujourd’hui concerné par la sécurité internationale et la sécurité intérieure. Il n’en reste pas moins qu’il ne faudrait pas lui mentir à nouveau, surtout si la France n’était pas en mesure de faire face aux menaces connues, pas comme en 2013 avec un Livre blanc évacuant la menace islamiste.

Dans tous les cas, il ne faudra pas non plus tromper la communauté militaire et de défense avec des promesses qui ne seront pas tenues à nouveau pour les prétextes plus divers. Militaires, anciens militaires, réservistes, associations d’anciens militaires ou d’anciens combattants représentent un grand nombre d’électeurs dont le vote pourrait être important dans un premier tour incertain.

La défense n’était pas au cœur d’une élection présidentielle mais le contexte d’aujourd’hui contraint à se demander si le futur chef des armées aura l’envergure attendue et s’il saura donner les moyens ? Ce dernier point est clair : aucun président depuis plus de trente ans n’a renforcé les moyens des armées, hormis le président Hollande contraint par les événements depuis 2015 et encore à la charge de la présidence suivante. Il a eu sans doute l’envergure du chef des armées mais a surtout bénéficié d’une armée opérationnelle préservée par les généraux et non par la présidence précédente.

Concernant les projets des candidats

Les programmes des candidats servent effectivement à valider leur offre « défense » présidentielle. Cependant, nous savons tous que l’obligation de résultat n’existe pas. Ce qui n’a pas été envisagé en amont amènera pourtant la défaite en aval et pas forcément pour le décideur au pouvoir.

Je m’appuierai pour ce billet sur la revue Défense Nationale (novembre 2016 pour François Fillon et avril 2017 pour les cinq principaux challengers, Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau). Cette revue s’adresse à la communauté de défense et donc aborde la politique de défense professionnellement. Plusieurs thèmes se dégagent du numéro d’avril en raison des mêmes questions posées à chaque candidat. Un document interne non classifié du ministère de la défense, largement diffusé fin mars sous le timbre de la direction générale des relations internationales et stratégiques, même si on peut s’étonner qu’il soit diffusé, complètera ces éléments.

Quelles sont les menaces justifiant une défense forte et renforcée ?

Pour les candidats de droite ou d’extrême-droite (François Fillon, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan), l’islamisme est la première des menaces bien sûr associée au terrorisme.

Pour les candidats de gauche, la menace islamiste n’existe pas (Jean-Luc Mélenchon et Benoit Hamon). Pour Emmanuel Macron, la menace est seulement terroriste et le terme « islamiste » n’apparaît pas dans ses réponses à la communauté de défense. Nous retrouvons cette ignorance de l’ennemi voulue lors de la première partie de mandat de François Hollande tel que cela a été exprimé dans le Livre blanc de 2013. L’ennemi, c’est le terrorisme (un mode d’action) et non l’islamisme radical (la volonté politique activant le mode d’action).

Ajoutons que le terme « ennemi » n’est nulle part employé. Or, s’adressant à la communauté de défense, définir le ou les ennemi (s) pouvait être attendu.

Quelle réorientation stratégique et quel Livre blanc ?

Globalement, la plupart des candidats constate la détérioration de la sécurité internationale. Cependant, certains comme Jean-Luc Mélenchon et François Asselineau au nom d’un antiaméricanisme qui parait bien suranné, veulent réorienter les centres d’intérêts stratégiques, sinon les alliances vers les BRICS qui comprennent la Russie et la Chine. Jean-Luc Mélenchon à nouveau se démarque en refusant la notion d‘occident au profit d’une « alliance altermondialiste » orientée notamment vers l’espace méditerranéen, les Etats de la francophonie (comme François Asselineau) et les BRICS.

Constatons que l’ensemble des candidats envisage avec circonspection et réticences les opérations extérieures futures, négligeant sans doute que la projection de forces est rarement souhaitée mais qu’elle doit être envisagée avec résolution et cohérence.

Toute réorientation stratégique s’appuie sur une vision stratégique, c’est à dire un Livre blanc. Tous les candidats sauf François Fillon envisagent un nouveau Livre blanc, ces candidats oubliant sans doute qu’une vision stratégique ne peut se définir simplement pour une législature par définition de moyen terme alors qu’une stratégie se conçoit dans le temps long. Disposer d’un groupe aéronaval se constitue en plus d’une dizaine d’années pour répondre aux crises futures envisagées.

Enfin à la question envisageant notamment la participation peu conséquente des militaires à la rédaction des « Livre blanc » précédents, seuls Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen considèrent qu’ils doivent être effectivement plus présents. « La guerre est une chose trop sérieuse pour …).

Quelles alliances pour faire face aux menaces ?

La sortie de l’Union européenne voulue par Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, François Asselineau conduit naturellement aussi à abandonner tout engagement pour la défense de l’Europe par l’Union européenne.

Benoît Hamon, Emmanuel Macron et François Fillon sont favorables à la participation de la France à l’OTAN à la différence des autres candidats. Ils sont aussi favorables à une contribution de l’Union européenne à la défense avec des propositions qui semblent pourtant des vœux pieux.

  • Benoit Hamon propose une union de défense autour de la France, le renforcement des unités (quelle unité à part la brigade franco-allemande?) et des états-majors multinationaux déjà bien nombreux pour lesquels la France assure d’ailleurs ses engagements ce qui n’est pas le cas de tous les Etats, développer une politique européenne de cyberdéfense, une agence de renseignement européenne ;
  • Emmanuel macron, très proche des initiatives de Benoît Hamon, propose de mutualiser les forces, le partage du renseignement, l’institution d’un conseil de sécurité européen avec un quartier général (mais quid de l’état-major de l’Union européenne de 400 personnes à Bruxelles?), l’activation des groupements tactiques.
  • Enfin François Fillon propose la création d’une « alliance de la défense européenne » et la mutualisation des OPEX sans doute menées au profit de l’Union européenne, car la France n’a pas vocation à assurer la sécurité seule de l’Europe.

Cependant l’armée européenne est soit ignorée soit rejetée sauf indirectement par Emmanuel Macron par la mutualisation des unités. Or, ce qui a été déjà tenté est un échec et n’a aucun sens militaire.

Quels alliés fiables ?

L’ensemble des candidats envisage des coopérations renforcées en terme de défense avec des Etats européens qu’ils soient britanniques avec le maintien du traité de Lancaster House ou allemands. Les autres Etats européens n’existent pas dans cette approche sécuritaire.

Quelles forces conventionnelles ?

François Fillon reconnaît que la diminution des forces est allée au-delà du raisonnable mais il n’augmentera pas les effectifs des forces armées. Les études pour un second porte-avions seront lancées pour remplacer le « Charles de Gaulle ». Cependant l’article de la revue Défense nationale de novembre 2016 permet d’avoir une idée précise des objectifs visés.

Dans le numéro de la RDN d’avril 2017, seule Marine Le Pen présente un programme détaillé pour les trois armées en vue de faire de l’Armée de terre la première d’Europe, de disposer d’une marine performante au niveau mondial avec un second porte-avions, notamment pour contrôler le second espace maritime mondial que possède la France, le renforcement de l’Armée de l’air.

Enfin, l’ensemble des candidats s’accordent à renforcer le renseignement et la cyberdéfense

Quelle place pour le nucléaire ?

Tous soutiennent la dissuasion nucléaire et ne la proposent d’ailleurs pas en protection de l’Union européenne. Inquiétons-nous cependant de la volonté de consacrer à la dissuasion nucléaire des sommes plus importantes qu’actuellement. Cela justifierait les augmentations futures du budget par exemple pour Benoît Hamon et François Fillon et même à partir de 2018, au détriment vraisemblable donc des forces conventionnelles, ce qui n’est pas acceptable. Plus de 10% du budget de la défense y est déjà consacré. Le budget dédié aux forces conventionnelles aujourd’hui est largement inférieur à l’effort de défense pourtant souvent décrié de l’Allemagne avant son augmentation annoncée.

Quel financement de l’effort de défense ?

Tous les candidats hormis Jean-Luc Mélenchon annoncent une augmentation du pourcentage du PIB consacré à la défense. Le poids des pensions dans le budget consacré à la défense est seulement abordé clairement par François Fillon. Sauf Marine le Pen, tous les autres candidats se positionnent pour satisfaire leurs promesses pour la fin de leur mandat ou après (E.Macron). Se sont-ils rendus compte que la guerre était aujourd’hui ? Dans quel monde vivent-ils ?

Le seul qui remet en cause les 2% du PIB est Jean-Luc Mélenchon en posant la bonne question « de quoi avons-nous besoin ? » en évitant de poser la seconde, « contre quelles menaces ». Par exemple, la proposition de confier à l’ONU le volet militaire de la lutte contre le terrorisme à l’ONU semble assez saugrenue d’autant qu’aucune définition internationale du terrorisme n’est validée. Cela ne sera pas facile de mettre d’accord le Conseil de sécurité, seul habilité à agir dans ce contexte.

Selon la note de la DGRIS, François Fillon envisage 2% du PIB pour la défense à atteindre en 2023 au lieu de 2025 initialement, c’est-à-dire à la charge du président suivant. Il avait cependant déclaré dans le numéro de la RDN de novembre 2016, un budget à 1,9% du PIB, pensions comprises soit +2 milliards/an pour 2022. Tout peut varier. A la différence de Benoît Hamon, François Fillon refuse de sortir les dépenses de défense du Pacte de stabilité.

Pour les autres candidats comme François Asselineau et Marine Le Pen, on peut difficilement croire à une augmentation immédiate du pourcentage du PIB pour atteindre 3% du PIB à terme, même si l’augmentation budgétaire dès 2018 est séduisante de la part de cette dernière candidate. Benoit Hamon propose aussi un pourcentage de 3% du PIB consacrée à la sécurité, intégrant sécurité intérieure et sécurité extérieure, bien utopique et dangereux pour les armées, même si la note de la DGRIS précise 2% du PIB pour la défense.

Enfin pour Emmanuel Macron, la France doit relancer la défense avec un PIB … en 2025 à 2%, soit encore à la charge de la présidence suivante.

Quelle place donnée à l’armée sur le territoire national ?

L’ensemble des candidats est opposé à la présence durable des forces militaires professionnelles sur le territoire national. Oublient-ils que la première mission d’une armée est de protéger son peuple et non d’être un corps expéditionnaire ?

Tous ou presque sont favorables à une garde nationale chargée d’assurer la sécurité intérieure associée à une forme de service national de durée variable. Remarquons que Jean-Luc Mélenchon veut un commandement civil pour la garde nationale et le droit à l’objection de conscience. François Fillon en revanche est le seul à évoquer un meilleur emploi de la réserve opérationnelle en tant que telle, au lieu de s’abriter derrière le terme de « garde nationale ».

Pour conclure, finalement, dans l’ensemble, la stratégie de défense française ne peut pas changer brutalement et beaucoup de points communs apparaissent entre les candidats. Elle ne peut pas en effet évoluer tous les cinq ans, position d’ailleurs prise par François Fillon sauf si un nouveau président est radicalement « réformiste ».

En l’occurrence, je poserai neuf questions qui doivent permettre de faire le choix du candidat le plus apte à être chef des armées. En attribuant un point par réponse positive si elle correspond à votre propre choix, la note finale sur neuf peut orienter notre choix.

  1. Le candidat est-il en mesure de nommer la menace clairement ?
  2. Considère-t-il que l’OTAN soit la plus amène à défendre l’Europe ?
  3. Considère-t-il que l’Union européenne soit la plus amène à défendre l’Europe ?
  4. Considère-t-il que la France doive être souveraine pour assurer sa sécurité ?
  5. Le candidat aura-t-il la volonté de recourir si besoin à la force militaire ?
  6. Le candidat aura-t-il la volonté à recourir si besoin à la dissuasion nucléaire ?
  7. Le candidat tiendra-t-il ses engagements envers les armées ?
  8. Le candidat a-t-il la confiance de la communauté de défense
  9. Le candidat est-il crédible en tant que chef des armées ?

Source : http://chauvancy.blog.lemonde.fr/2017/04/16/en-cette-veille-du-1er-tour-de-lelection-presidentielle-qui-croire-sur-la-politique-de-defense-nationale/

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