L'épidémie du coronavirus peut-elle provoquer la démondialisation ?

...par le Gal (er) Jean-François Delochre - l’Épaulette juin 2020.

La préparation au concours d'admission à l'École de Guerre n'est pas qu'un exercice de style. Les épreuves de culture et de synthèse sont aussi l'occasion de porter un regard plus attentif sur des sujets d'actualité.

Ainsi, en mars et avril 2020, j'ai proposé aux candidats de travailler, en synthèse sur la coopération militaire franco-britannique post BREXIT, et en culture sur le thème « pandémie et dé-mondialisation ».

 

Vous avez ci-après la "copie étalon" proposée à partir des réflexions recueillies.

Il ne faut pas oublier que les candidats et moi-même ne sommes pas des éditorialistes politiques, et que l'épreuve se déroule dans le temps limité de 4h00 ! 

 

« L'épidémie de coronavirus peut-elle provoquer la démondialisation ? »

 

Face à la pandémie du coronavirus, les avis sur ses conséquences à terme sont partagés. Quand Jean-Hervé Lorenzi pense que « nous sommes rentrés dans l'explosion du système mondial de relations interétatiques », Jean-Yves Le Drian confie au « Monde » que sa crainte « est que le monde d'après ressemble au monde d'avant, mais en pire ». Cette alternative conduit à s'interroger sur le choc causé par cette épidémie. Suscitera-t-il, au sein des États et entre eux, des réactions suffisantes pour qu'ils se donnent les moyens de reconsidérer avec détermination les excès de leur interdépendance ?

 

De fait, le modèle social et économique de la mondialisation semble trop structurant pour être fondamentalement remis en cause par un problème, même majeur, mais dont les solutions à moyen terme, relèvent encore du paradigme en vigueur.

Ainsi, si l'émotion liée à la pandémie engendre la détermination, au moins apparente, d'en finir avec « le monde d'avant », de fortes rigidités structurelles marquent déjà les limites d'un changement brutal des modèles de résolution des problèmes des court, voire moyen termes. Mais des obstacles psychologiques et intellectuels semblent surtout en mesure de stériliser la volonté des individus comme celle des États, d'accepter un changement radical de modèle de croissance.

 

L'épidémie souligne les faiblesses d'une économie débridée. L'émotion qu'elle soulève, génère des réflexes de sauvegarde, et donc des tensions, aussi bien entre les individus qu'au niveau des États, laissant penser à une possible explosion des modèles relationnels traditionnels.

 

La rapidité de propagation de l'épidémie a pris en défaut les certitudes d'une société convaincue de sa toute puissance et de son aptitude à tout maîtriser. Les activités et les échanges se sont ainsi poursuivis, hors de Chine, dans une relative inconscience des risques. Une forme inversée du « bouton du mandarin, métaphore attribuée à Rousseau. Or, ici, le bouton s'appelait COVID et le mandarin était l'Occident.

La prise de conscience brutale du danger, renforcée par les atermoiements, tant des scientifiques que des dirigeants, et soutenue par les médias, a déclenché des réflexes de sauvegarde. Mais le marché a conservé ses lois en même temps que la suspicion s'est installée. La peur du voisin, voire du proche, la compétition engagée sur l'acquisition de masques, devenus denrée stratégique, ont conduit au retour de comportements d'une autre époque, aussi bien chez les individus qu'entre les États : Signalements et dénonciations, stratégie « agressive » des États-Unis.

 

Mais des réflexions plus apaisées ont aussi émergé sur le « monde d'après ». Au-delà de l'émotion, la philosophie semble reprendre doucement le pas. Ce ne sont pas tant les épicuriens ou les cyniques qui dominent, mais plutôt les stoïciens qui, à l'image d'Épictète, incitent à prendre conscience qu' « il y a des choses qui dépendent de nous et il y a des choses qui n'en dépendent pas ». On retrouve ici l'approche de Jean-Yves Lorenzi, qui s'oppose au cynisme de Jean-Yves Le Drian !

La prise de conscience, de la nécessité vitale de corriger les dérives de la mondialisation, est forte. Pourtant, elle se heurte déjà aux limites des solutions qui devraient s'imposer.

En effet, la mondialisation a profondément structuré les marchés et les infrastructures. Elle a ainsi créé des rigidités dont il sera difficile de s'affranchir à court terme, car elles jalonnent la voie du rebond économique, nécessaire pour éviter la récession, hantise des sociétés développées contemporaines.

Ainsi, les idées, « faites pour être vécues et non pensées », selon André Malraux, ne peuvent prendre corps que dans un contexte, aujourd'hui encore rigide, celui de la mondialisation, cause partielle et moteur de la pandémie. La Chine est-elle prête à renoncer aux « nouvelles routes de la soie » ? les Etats-Unis, siège des GAFA abandonneront-ils leur compétition économique avec cette même Chine ? L'Europe saura-t-elle dépasser ses compétitions internes ? La France laissera-t-elle à d'autres ses parts d'exportations d'armes par respect de nouvelles vertus économiques ?

 

Certes, tout ne sera pas « comme avant » pour reprendre une expression qui fait florès. Le rôle de « l'État providence » sortira, renforcé. Des relocalisations partielles auront lieu. La réflexion sur les secteurs stratégiques évoluera nécessairement. La notion de souveraineté et ses conséquences devront être reconsidérées. Les relations interpersonnelles, même, garderont peut-être durablement les traces de la « distanciation sociale » dans la vie quotidienne. Mais au-delà de ces inflexions prévisibles, peut-on espérer à court terme l'émergence d'évolutions structurelles fortes ? C'est à ce jour peu visible et reste improbable. En effet, l'INSEE fixe à 3% la perte de croissance par mois de quarantaine. Ces 3% correspondent à l'impact de la crise financière de 2008, dont le monde a mis 10 ans à émerger ! Aussi, quand, à la crise sanitaire succèdera celle, plus durable, économique, les solutions qui s'imposeront resteront certainement, comme après 2008, dans le champ du connu, ici, celui de la relance économique pour lutter contre la récession.

Mais, les rigidités structurelles, bien que fortes, ne seraient pas insurmontables si elles n'étaient pas sous-tendues par le poids d'un modèle ancré au plus profond des êtres et des systèmes de référence.

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Ce sont surtout, en effet, des obstacles psychologiques et intellectuels stérilisants, touchant toutes les strates des sociétés, des individus aux Etats, qui constitueront durablement, le principal frein à toute inversion majeure de paradigme. Le poids de l'histoire devrait donc l'emporter, cette fois encore, sur l'émotion !

Les structures économiques se sont mises en place au cours des siècles et ont concerné toutes les civilisations : Chinoise, arabe, gréco-romaine. La conception de l'économie reste longtemps située à l'interface entre science et religion (Copernic a été aussi un économiste !) Il faut attendre le 16e siècle pour voir émerger une école économique non théologique : le « mercantilisme ». Ainsi, déjà, dans « Le Prince », Nicolas Machiavel explique que « dans un gouvernement bien organisé, l'État doit être riche et les citoyens pauvres. » La révolution keynésienne, marquera le tournant du 20e siècle et tracera les voies de l'économie actuelle, avec, par exemple, Joseph Stiglitz, prix Nobel en 2001.

Cette culture économique a donc forgé lentement mais profondément les sociétés et les individus. Elle constitue notamment une part importante de la construction du modèle occidental. Les processus intellectuels et les procédures de traitement des problèmes ont crée des carcans dont il est difficile de s'affranchir. L'addiction à la consommation constitue le phénomène majeur. Il touche aussi bien les individus, stimulés par la profusion, contraints par l'obsolescence rapide, que les États qui ne raisonnent qu'en termes de relance de la consommation. La remise en cause du mode de vie semble difficilement acceptable.

Enfin, d'autres éléments, de natures historique et temporelle, plaident contre une inversion radicale de paradigme économique. Le premier élément, contemporain, est l'exemple de la crise financière de 2008. « Rien ne sera plus comme avant » constituait un véritable mantra. Les agences de notation avaient pris la main sur le monde, point de salut sans le AAA ! L'oubli partiel des engagements concernant le système bancaire a pourtant été rapide. Qu'en sera-t-il des voeux « post COVID » ? Le second point concerne la durée de la crise. Bien qu'encore incertains, des horizons sont déjà évoqués : 2 ans pour un vaccin, 10 ans pour la « récupération » économique. Ces « bouts de tunnels », définis, incitent davantage à la résignation patiente qu'à la remise en cause radicale.

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Développé au fil des décennies, voire des siècles, le modèle de progrès occidental a structuré les économies et les réseaux mondiaux, mais surtout les modes d'approche et de résolution des problèmes. Les rigidités sont ainsi telles, qu'elles pourraient valider la vision pessimiste de Jean Yves Le Drian, qui craint un monde d'après, ressemblant « au monde d'avant, mais en pire ! » Ainsi, la reconfiguration du logiciel permettant de raisonner un modèle dé mondialisé, mais viable, ne pourrait intervenir qu'au milieu du siècle, seuil de bouleversements environnementaux majeurs, quand les effets climatiques concerneront durablement tous les horizons personnels.

 

 

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