La guerre d’hier est morte

par le Gal. François Chauvancy - le 25/09/2016.



Cela sera peut-être une rengaine. Trois billets, trois années successives, approximativement à la même période sur le sujet de la guerre, sans que cela ne soit prémédité (Cf. mes billets « De la Guerre et de l’Islam en France » du 28 septembre 2014 et « De la Guerre » du 11 octobre 2015). A force de l’évoquer, elle frappera peut-être vraiment à notre porte car, année après année, la menace se précise. Sans doute avec une certaine réticence après ces années de rejet des questions militaires, elle contraint les dirigeants à vouloir disposer de forces armées plus puissantes avec un budget de la défense approchant les 2% du PIB… peut-être.

La question que je poserai volontiers est la pertinence aujourd’hui de la définition de la guerre. N’est-il pas temps de la faire évoluer ? L’affrontement militaire entre deux Etats s’appelle une guerre, situation juridiquement encadrée et déclarée formellement même si cela n’a pas eu lieu depuis de très nombreuses années.

La « guerre conventionnelle » dans sa signification d’aujourd’hui me semble de moins en moins pertinente sur notre continent, sinon pour le monde, comme le montre la « guerre hybride » en Ukraine, l’action de la Chine dans la mer du même nom, la guerre mondiale et donc transfrontalière menée par l’islam radical. D’ailleurs comment qualifier le déploiement d’une batterie d’artillerie française en Irak pour contribuer à la reprise de Mossoul ? L’engagement d’une force terrestre et des pertes éventuellement à assumer ne sont-ils pas l’expression d’un acte de guerre montrant que la définition du mot « guerre » n’est plus appropriée ?

Dans une réflexion préliminaire et provisoire, je définirai la guerre aujourd’hui comme étant simplement « l’affrontement de deux ou plusieurs volontés pour soumettre l’Autre (ou les autres) par tous les moyens existants, physiques ou immatériels, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de nos frontières ». Rien de bien neuf dans les termes mais cette définition intégrant le continuum « sécurité intérieure » « sécurité extérieure » évoqué dans le Livre blanc permettrait de se libérer des entraves à une stratégie d’action. Elle donnerait l’intelligence de situation nécessaire et les moyens pour d’abord résister – une démocratie ne cherchant pas à soumettre l’autre – puis pour vaincre.

Il est certain que cela impliquerait un grand travail d’analyse sur les conséquences de mise en application d’une telle définition. Elle a l’avantage de prendre en compte les groupes non étatiques considérés alors juridiquement comme « ennemi » et donc de pouvoir les combattre avec efficacité. Il est certain qu’une grande partie du droit de la guerre serait remis en question, sinon du droit du temps de paix qu’il soit international ou national mais n’est-il pas temps ? Le droit ne doit-il pas s’aligner sur la réalité et non l’inverse ?

Dans l’immédiat, la France a deux ennemis. D’abord le salafiste djihadiste français ou étranger, ensuite la discorde habituelle régnant au sein de la société française, comportement sans doute issu de nos ancêtres les gaulois, pardon francs, pardon métissés ? Enfin je ne sais plus. Dans tous les cas, pour vaincre, il faudra bien que l’unité de la communauté nationale se fasse.

Je reviendrai cependant sur trois éléments de cette semaine.

Le candidat Juppé aux primaires de la droite se présente comme le rempart contre la guerre civile à venir si je lis bien son interview dans le Monde du samedi 24 septembre. Ce n’est pas le premier politicien à évoquer ce risque qui peut être mobilisateur pour un électorat éventuel et peut permettre de se présenter comme un homme providentiel. A son bénéfice, nombreux sont les Français aujourd’hui qui évoquent cette menace comme étant plausible. Encore faut-elle qu’elle soit concrétisée par des données fiables.

En effet, la menace étant connue, le salafisme djihadiste, le rapport de l’institut Montaigne sur l’islam en France (Cf. Institut Montaigne) donne des chiffres sur la communauté musulmane et sa radicalisation. Les éléments diffusés sont forts puisque 28% des musulmans estiment que la loi islamique prime sur les lois républicaines. Cependant, faute de statistiques officiels, la méthode d’évaluation prête quand même à questionnement. L’enquête Ifop qui appuie le rapport Montaigne est une enquête par quotas auprès d’un peu plus de 15 459 personnes, réalisée sur une quarantaine de jours entre le 13 avril 2016 et le 23 mai 2016. Grâce à des questions filtres sur la religion des enquêtés et celles de leurs parents, un échantillon de 1029 personnes musulmanes ou ayant au moins un parent musulman.

A nouveau, aucune distinction n’est réellement faite entre les Français de confession musulmane et les ressortissants étrangers de confession musulmane qui, très sincèrement, m’indiffèrent. Ceux-ci doivent seulement obéir aux lois de la République qui les accueille. Que pense donc vraiment le Français de confession musulmane, le seul qui a, à mon avis, un avis à donner ? J’aurai bien voulu le savoir. Peut-on vraiment croire en ces chiffres et donc dans les conclusions de ce rapport ? Je ne le pense pas.

L’atmosphère anxiogène, un préalable à toute guerre civile, ne peut pas s’apaiser sans données fiables et non instrumentalisables. En revanche, je soutiens une partie des propositions mais j’en rejette au moins une, celle de développer l’enseignement de l’arabe classique dans les écoles publiques pour lutter contre l’influence des écoles coraniques ! La langue de la République française est le français et est la condition de son unité. Pourquoi ne pas imposer le Coran dans sa traduction française alors que plusieurs versions ont déjà été réalisées ? L’Etat pourrait choisir une version officielle avec toute la contextualisation nécessaire pour la compréhension de cet ouvrage du VIIe siècle.

La prise de conscience de cette menace salafiste conduit à la nécessaire appropriation par les citoyens des questions de sécurité nationale. De fait, le rapport de l’institut Montaigne sur l’islam a estompé l’autre rapport du même institut intitulé « Refonder la sécurité nationale » (Cf. Institut Montaigne), ma naïveté naturelle m’incitant à me demander si la sphère médiatique ne choisit pas l’information à proposer à son public. Or ce rapport donne un grand nombre de données pour faire face non seulement à la menace de l’islam radical mais aussi aux puissances militaires concurrentes de l’Occident que ce soit la Russie ou la Chine.

J’ajouterai que la déstabilisation d’Etats à nos frontières proches ne peut être ignorée avec le critère commun qui les unit : ils sont tous musulmans avec une forte démographie que ce soit à l’Est avec une Turquie peu démocratique avec son gouvernement islamo-conservateur et ses dizaines de milliers d’incarcérés (il n’y a pas de réaction de la CEDH pour la surpopulation carcérale) ou de personnels mis à pied depuis cet été sans que l’Europe ne s’émeuve, ou le Sud de la Méditerranée avec la menace des salafistes djihadistes dans une partie de ces Etats.

L’instabilité des Etats musulmans et leur religiosité politique deviennent une menace pour l’Occident démocratique, sinon pour l’Occident aux racines gréco-romaines puis judéo chrétiennes. Les conditions d’un conflit civilisationnel sont presque établies et l’Occident aurait sans doute intérêt à se préparer à gagner ce conflit qui ne sera pas forcément militaire mais surtout idéologique, à l’intérieur et à l’extérieur de sa zone géographique.

Cependant ce rapport apporte peu de réponses nouvelles. Y en a-t-il d’ailleurs ? Il défend surtout une approche qui entre dans le jeu des politiciens de faire de la sécurité un enjeu européen, sans doute le seul domaine où les dirigeants peuvent donner l’impression d’agir alors qu’ils sont contraints à l’inaction et sont soumis au désamour des citoyens. L’Europe dont les élites bureaucratiques ont toujours voulu écarter les questions militaires de la construction européenne se trouve aujourd’hui prise au piège de son aveuglement presque dogmatique d’un monde idéal et pacifié.

En effet, qui peut croire que la guerre ne doit pas évoluer dans sa compréhension quand les règles même de fonctionnement de la communauté internationale établies par l’Occident, dominateur d’hier, sont peu à peu remises en question par de nouvelles puissances militaires ou des groupes d’individus ? Qui peut croire que la guerre telle qu’elle était comprise jusqu’à présent soit toujours en phase avec la réalité du XXIe siècle ? Le mot « guerre » doit donc être redéfini pour répondre aux défis sécuritaires de demain.

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