« La France en Syrie : En finir avec le déni du réel »

...par Caroline Galactéros et Patricia Lalonde - le 30/03/2019.

                     Caroline Galactéros                                                         Patricia Lalonde


Tribune chez Marianne, par Caroline Galactéros* et Patricia Lalonde**, publiée le 29/03/2019
Alors que la situation en Syrie est en train d’évoluer, Caroline Galactéros et Patricia Lalonde appellent la France à plus de réalisme dans sa politique extérieure.

 

La Syrie recouvre son unité et c’est heureux. Quelques poches djihadistes résistent encore mais la messe semble dite. Diplomatiquement, Russes et Américains sont à la manœuvre, les premiers pour capitaliser leur soutien militaire décisif au gouvernement syrien, les seconds pour retarder la sortie d’une guerre qu’ils ont perdue. Chacun veut influencer ses clients, ses obligés, ceux de l’autre. Le pragmatisme s’impose : Israël et Moscou appellent au retrait des forces étrangères, un tiers de la Ligue arabe souhaite le retour de Damas. L’Arabie saoudite et le Qatar s’y opposent encore, les Émirats et Bahreïn ont déjà rouvert leur ambassade. Même en Europe, les lignes bougent. Rome veut remettre la clef dans la porte, l’Autriche et la Hongrie veulent renouer, Roumanie et Tchéquie n’ont jamais rompu, l’Allemagne, focalisée sur les réfugiés et le retour des djihadistes, pousse à la normalisation. Seules Paris et Londres s’y opposent encore.

La chape de plomb idéologique en provenance directe de Washington, qui infiltre les milieux politiques et intellectuels de l’Hexagone depuis 8 ans est bien en place. La France parait plus affligée que d’autres par ce mal paralysant, alors que nous avions su longtemps être indépendants, ambitieux et cohérents dans notre politique étrangère au Levant, désormais introuvable.

 

Six Urgences 

 

A l’orée d’un processus politique crucial pour les équilibres de la région et la reconstruction de ce pays mis en pièces, l’incurie qui mine notre influence ne s’arrête pas à la Syrie, mais Paris continue à donner des leçons de morale que plus personne n’écoute ni ne supporte. Nous faisons toujours comme si, notre sécurité intérieure étant découplée de notre politique extérieure, nous pouvions projeter notre puissance sans réfléchir à l’appui idéologique ainsi donné chez nous au terreau de l’ultra-violence religieuse. On combat à contresens de nos intérêts et de nos « valeurs ». « Gentils rebelles » contre « Bachar-boucher de son peuple », « progressistes » contre « populistes », « Poutine qui divise l’Europe » et « Trump, agent du Kremlin » : la doxa égraine ses anathèmes vengeurs.

C’est mépriser le bon sens de nos compatriotes. Lequel d’entre eux, avec ou sans gilet jaune, n’a pas aujourd’hui compris que tout cela n’est qu’un dangereux conte pour enfants, que la projection de notre « outil militaire » n’est pas bonne à tout prix, qu’on ne peut appuyer impunément ceux-là même qui inspirent et financent la radicalisation de nos banlieues ? Si l’on continue ainsi, nous figurerons bientôt en pointillé sur la carte des puissances comme le pays béni des Dieux qui renonça à lui-même sans s’en rendre compte. Il faut sortir d’un entre soi qui a tous les attributs de l’impuissance et de la vassalisation mentale, retrouver notre ADN stratégique et promouvoir un néoréalisme éthique qui ridiculise enfin le procès en cynisme fait aux réalistes par ceux mêmes qui se cachent derrière une moraline insipide pour ne pas reconnaître leurs erreurs aux sanglantes conséquences. C’est le cynisme des bons sentiments qui fait des ravages humains.

 

 

Cette renaissance française peut s’incarner en Syrie. Six urgences :

  • Prendre acte du fait que la souveraineté territoriale syrienne est en passe d’être recouvrée. Le soutien indirect aux abcès djihadistes résiduels ne favorise pas la pluralité politique mais la poursuite du martyr de la population. Les Kurdes eux-mêmes savent que leur avenir passe par une Syrie unitaire dans laquelle ils espèrent bénéficier d’une autonomie raisonnable. Nous devons les soutenir.
  • Abandonner toutes les sanctions qui affectent le peuple syrien. C’est lui, non son gouvernement, qui paie de son sang et de son avenir notre entêtement à « vouloir son bien » en déstabilisant un régime légal qui, quels que soient ses défauts, a toujours su préserver la coexistence ethnique et confessionnelle.
  • Rétablir une coopération active avec les services de renseignements syriens, russes et iraniens pour identifier et fixer les djihadistes français sur place. Il faut démanteler les réseaux menaçant la sécurité des Français sur le territoire national. Le Kurdistan n’est pas un Etat. La Syrie si. Membre de l’ONU, elle peut juger ceux qui ont commis des atrocités sur son sol et à ses dépens.
  • Favoriser le retour des réfugiés qui le souhaitent au lieu de le différer au prétexte de renforcer la légitimité du gouvernement. Il est souhaité par le Liban voisin qui ne comprend plus du tout la politique étrangère de son ancienne puissance mandataire.
  • Retirer nos forces spéciales de Syrie. En demeurant dans une zone administrée par aucun État, elles font le jeu des djihadistes.
  • Pousser la reconstruction, sans chantage au gouvernement de Damas, déjà pris entre le marteau russe et l’enclume iranienne.

Le clou de cette révolution diplomatico-stratégique ? La réouverture rapide de notre ambassade à Damas et celle du Lycée français. L’ingérence occidentale en Syrie a échoué.

Nous n’aurions jamais dû y prendre part, au nom précisément des droits de l’homme et de la protection des populations civiles. Nous sommes dans une inversion normative totale depuis trop longtemps. Il n’est pas trop tard pour en prendre conscience et réparer cette folie.

 

On tiendra ce programme pour inique et même fou. On dira que faire amende honorable serait perdre la face. C’est le contraire. La France peut être à l’avant-garde d’un tournant réaliste et éthique crucial pour l’avenir des équilibres de puissances, dans cette région comme à l’échelle du monde. La gouvernance mondiale traverse une crise profonde. Ce n’est pas en nous accrochant à une imposture que nous restaurerons notre crédit politique et moral, moins encore notre crédibilité stratégique. Ce n’est pas aller à Canossa que de reconnaître qu’il est impossible d’espérer voir s’effacer politiquement, comme s’il l’avait perdue, celui qui avec ses alliés a gagné la guerre. Le sort politique des Syriens leur appartient strictement. Des élections en décideront. Certainement n’avons-nous aucun titre, après sept ans d’ingérence dramatique, pour décider de la légitimité des candidatures.

 

*Caroline Galactéros, Présidente de Geopragma

**Patricia Lalonde, Député européen, Vice-présidente de Geopragma 

 

Source : httpss://www.marianne.net/debattons/tribunes/la-france-en-syrie-en-finir-avec-le-deni-du-reel

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