Directeur de recherche chargé du terrorisme et de la criminalité organisée
Ancien officier supérieur des services de renseignement extérieurs, Alain Rodier est, depuis 2001, directeur de recherche au sein du Centre Français de
Recherche sur le Renseignement (CF2R), chargé de l'étude du terrorisme et de la criminalité organisée.
Ancien homme de terrain et de réflexion, il a aujourd'hui le recul nécessaire pour replacer les événements dans leur contexte. En effet, il suit l'actualité du
domaine de ses compétences depuis plus de trente-cinq ans.
Il est l'auteur de:
Al-Qaida, les connexions mondiales du terrorisme Ellipses, Paris 2006,
Iran : la prochaine guerre ? Ellipses, Paris 2007 (traduit en italien),
Les Triades, la menace occultée , éditions du Rocher, Paris 2012,
Le crime organisé du Canada à la Terre de Feu, éditions du Rocher, Paris 2013,
Grand angle sur le terrorisme (livre électronique) éditions UPPR, Paris 2015,
Grand angle sur les mafias (livre électronique) éditions UPPR, Paris 2015.
Au titre du CF2R, Alain Rodier a participé à la rédaction de trois ouvrages collectifs :
Guerre secrète contre Al-Qaeda, Ellipses, Paris 2002,
Al-Qaeda : les nouveaux réseaux de la terreur, Ellipses, Paris 2004,
La face cachée des révolutions arabes, Ellipses, Paris 2012.
Il est également le principal rédacteur des Notes d'Actualité .
Il a aussi collaboré à la rédaction du :
Rapport moral sur l'argent dans le monde 2015-2016. Progrès et tensions, éditions Association d'économie financière, mars 2016.
Alain Rodier est contributeur régulier auprès de nombreux medias français (BFM TV, France 24, M6, France Inter, France Info, le site Atlantico, la
revue Diplomatie, etc.) et étrangers francophones (Medi1, Radio Canada, VOA, RT, etc.). Il collabore à la revue RAIDS (éditions Histoire et Collections) depuis plus de dix
ans.
Enfin, il est conférencier dans le domaine de l'évaluation des risques contemporains auprès de grands organismes institutionnels.
Les derniers Inspire Guide (Al-Qaida) et Rumiyah (Daech) détaillent tous deux l'attaque de Londres du 22 mars 2017
Depuis des années, l'organisation salafiste-djihadiste Al-Qaida « canal historique » est donnée pour moribonde. À plusieurs reprises, les Américains ont
fièrement annoncé l'avoir éradiqué. La montée en puissance de sa branche dissidente l'État Islamique d'Irak et du Levant (Daech) l'a aussi un peu plus fait disparaître des écrans radars.
Mais cette nébuleuse est toujours bien vivace même si elle se fait volontairement moins voyante pour le public.
Les divergences idéologiques avec Daesh
Le successeur d'Oussama Ben Laden, le docteur Ayman Al-Zawahiri, continue à donner ses instructions depuis son repaire pakistanais. Ainsi, le 8 mai 2016, il a fait
diffuser via la branche médiatique d'Al-Qaida « As-Shahab » un message audio d'une dizaine de minutes très révélateur de ses intentions. Si l'objectif d'Al-Qaida « canal
historique » reste celui qui a été édicté du temps d'Oussama Ben Laden - l'établissement d'un « califat mondial » régi par la charia (loi islamique) -, l'organisation n'y parvient
que très progressivement en tentant d'abord de libérer les terres d'islam (Dar Al-Islam) du joug des dirigeants considérés comme des « apostats », pour ensuite conquérir les pays impies
qui sont la « demeure de la mécréance » (Dar Al-Harb ou Darb Al-Kufr). Ce qui change dans les dernières déclarations de Zawahiri, c'est que la possibilité de la fondation d'un
« califat » à court terme n'est plus exclue. Il serait vraisemblablement situé initialement dans la province syrienne d'Idlib, ce noyau devenant ensuite une sorte d'« appartement
témoin » pour la « résidence planétaire » que Zawahiri rêve de bâtir ensuite. Cela était hors de question jusqu'à présent car la fondation d'une entité « visible » était
considérée comme un trop grand risque par Al-Qaida qui garde en mémoire son éviction d'Afghanistan en 2001 après l'invasion américaine ayant suivi les attentats du 11 septembre.
C'est là la différence fondamentale avec Daech qui exige la soumission de l'ensemble de la communauté musulmane (l'oumma) à son chef, Abou Bakr Al-Baghdadi.
Zawahiri assure pour sa part qu'il souhaite un califat mondial conduit par les musulmans adhérant strictement à la charia mais qu'Al-Qaida « canal historique » se soumettrait à toute
autorité qui respecte les principes de base de l'islam. En théorie, il n'est donc pas question d'imposer le leadership d'Al-Qaida sur les autres formations dans la mesure où ces dernières
poursuivent les mêmes objectifs. Il précise qu'« Al-Qaida fait partie de l'oumma mais n'en n'est pas son leader ». Même les chiites ne sont pas rejetés par Al-Qaida (en dehors
de leurs dirigeants) ; ils sont uniquement considérés comme des « égarés » qu'il convient de ramener dans le juste chemin. Pour Daech, ce sont tous des « apostats » qui
doivent être éradiqués au même titre que les sunnites qui refusent de prêter allégeance au « calife Ibrahim ». Il appelle même ces derniers les « juifs du Jihad ».
Parmi eux se trouvent les responsables d'Al-Qaida, Zawahiri et Qasim al-Raymi, ainsi que les savants de la foi qui soutiennent l'idéologie de la nébuleuse : Abou Mohamed al-Maqdisi, Abou
Qatada, Hami al-Sibai et Tareq Abdelhalim.
Hamza Ben Laden, un des fils du gourou d'Al-Qaida, appelle aussi à l'unité des djihadistes et à l'action de combattants islamistes isolés contre l'Occident. Mais la
partie la plus intéressante de ses déclarations est « le djihad au Levant est le meilleur champ de bataille vers la libération de Jérusalem [...] ce n'est pas une guerre d'organisations
mais de l'oumma toute entière ».
Ibrahim Al-Qusi, un des idéologues d'Al-Qaida, déclare de son côté : « Nous ne renonceront pas à attaquer l'Occident mené par l'Amérique tant qu'il
soutiendra Israël et tant que les États-Unis occuperont les terres musulmanes. Soit nous partageons la sécurité, soit nous partageons la peur. Il y a un juste équilibre et une justice dans la
réciprocité. Les Banu al-Asfar (les Occidentaux) à New York ou à Paris ne vivront pas en sécurité alors que dans le même temps, notre peuple en Palestine et ailleurs vit dans la
peur ».
Ces orientations, si elles sont suivies d'effets concrets, pourraient constituer une relative nouveauté pour la nébuleuse qui, jusqu'à maintenant, s'est globalement
désintéressée de la cause palestinienne et de l'État hébreu. Reste à savoir si Al-Qaida « canal historique » a les moyens de ses ambitions ou si la nébuleuse cherche à fédérer sous sa
bannière l'ensemble de la Oumma.
En décembre 2015, un activiste de la première heure est apparu pour porter la propagande d'Al-Qaida. Il s'agit de Abou al-Hassan al-Hashimi - alias Ibrahim Abou
Saleh - un Égyptien ayant étudié la théologie à l'université al-Azhar du Caire avant de rejoindre en 199 le Jihad Islamique égyptien (JI) alors dirigé par Zawahiri. Il se serait ensuite
rendu en Afghanistan en 1989 où il aurait rencontré de nombreux lieutenants de Ben Laden. Il aurait reçu l'ordre d'aller s'installer au Yémen pour y répandre la foi islamique. Après un bref
retour en Afghanistan en 1992, il aurait été chargé de diriger la logistique d'Al-Qaida au Yémen, puis aurait participé à la fondation d'Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) en 2009. Il
apparaît aujourd'hui, non seulement comme le porte-parole d'AQPA mais, plus largement, comme celui d'Al-Qaida « canal historique ». Ce qui est particulièrement inquiétant, c'est la
stratégie résolument offensive qu'il évoque. À savoir que pour lui, le djihad est une guerre menée contre les « juifs et les croisés » soulignant que les érudits de l'islam
n'acceptent plus le silence qui est fait sur l'occupation de la Palestine, sur l'Arabie saoudite qui abrite les lieux saints mais qui accueille des infidèles et sur l'Andalousie toujours placée
sous le joug des chrétiens. Il rappelle que l'objectif d'Al-Qaida « canal historique » est de rétablir le califat islamique qui a été dissout en 1924.
Le fonctionnement opérationnel
Le commandement appelé « Al-Qaida central » est organisé autour de la choura, conseil qui regroupe les différents comités chargés de la doctrine, des
affaires militaires, des finances, de la propagande, des communications, etc. Ilserait installé au Pakistan, vraisemblablement dans la région de Quetta. Son émir Zawahiri, n'est sûrement pas
terré au fond d'une grotte comme on aime à le prétendre. En effet, il produit de nombreux messages audio et vidéo qui ne peuvent être réalisés et expédiés que depuis une ville d'une certaine
importance. Il est probable que, ne voulant pas renouveler l'erreur de Ben Laden qui est resté statique à Abbottabad - ce qui a permis de le localiser puis de le neutraliser - Zawahiri doit être
en mouvement permanent, ce qui implique de nombreuses complicités, en particulier au sein des taliban qui contrôlent une grande partie des zones tribales pakistanaises. Il est peu vraisemblable
qu'il se rende en Afghanistan, pays qui ne paraît pas encore assez sûr pour l'accueillir pour l'instant.
En ce qui concerne les ressources, il y a longtemps qu'Al-Qaida central ne finance plus ses différentes branches implantées de par le monde. Chaque mouvement doit
subvenir à ses besoins, généralement en employant des moyens criminels. En Afghanistan et au Pakistan, Al-Qaida participe à la protection des cultures de pavot et au transport de la drogue vers
l'extérieur. Bien sûr, cette protection est payante. Il en est de même au Sahel, carrefour de tous les trafics[1] transitant de l'Afrique sub-saharienne vers l'Europe. Les rançons issues des
prises d'otages apportent une manne importante mais irrégulière aux mouvements locaux. Il en est de même au Yémen et en Extrême-Orient. Partout, les groupes djihadistes pratiquent le racket sous
couvert de la zakat (l'aumône légale), le troisième pilier de l'islam. Enfin, de riches donateurs moyen-orientaux utilisent certaines ONG pour offrir leur obole à ces
mouvements dont ils partagent l'idéologie salafiste.
Front africain
Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), la plus importante franchise de la nébuleuse, est globalement divisée en deux branches composées de plusieurs katibas
(compagnies ou brigades regroupant de quelques dizaines à une centaine d'hommes). Depuis un an, AQMI et ses alliés ont mené plus d'une soixantaine d'actions offensives au Sahel en général et au
Mali en particulier (principalement dans la région de Mopti).
AQMI est dirigé par Abdelmalek Droukdel et sa choura présidée par Abou Obeida Youssef al-Annabi. Ils sont basés en Kabylie, à l'est d'Alger. Il existe aussi
quelques groupes disparates à l'ouest et au sud de la capitale, mais ils sont relativement peu actifs, cherchant surtout à survivre. AQMI a essaimé plus à l'est, passant en Tunisie[2] et en Libye voisine où Ansar al-Charia lui serait au
favorable.
Plus au sud, dans le Sahel, c'est le domaine d'une nouvelle coalition qui porte l'appellation de Groupe pour le soutien de l'islam et des musulmans » (GSIM,
Nusrat al-islam wal Muslimeen). En effet, le 2 mars 2017, Iyad Ag-Ghali, le chef d'Ansar Dine, Yahia Abou Hammam (Djamel Okacha) commandant l'Émirat du Sahara d'AQMI, Amadou Koufa, chef du Front
de libération du Macina (FLM), Hassan Al-Ansari, l'adjoint de Mokhtar Belmokhtar l'émir d'Al-Mourabitoune (Al-Qaida en Afrique de l'Ouest) et Abderrahmane Sanhaji, cadi (juge)
d'AQMI, ont annoncé la fusion de leurs forces. Cette nouvelle alliance s'est résolument rangée sous l'autorité d'Abdelmalek Droukdel et de Zawahiri, respectivement émirs d'AQMI et d'Al-Qaida
« canal historique ». Ces deux autorités se sont officiellement félicitées de cette alliance qui devrait permettre[3] d'étendre l'influence djihadiste du Mali au Burkina Faso, au Niger, à la Côte
d'Ivoire, en Guinée et peut-être au Sénéga. A terme, le GSIM pourrait pousser vers la Libye et le nord du Tchad en récupérant des djihadistes d'autres mouvements, dont ceux qui sont déçus par les
revers connus par Daech.
Il existe en effet une véritable concurrence entre Daech et Al-Qaida « canal historique » sur le continent africain. Depuis sa défaite de Syrte, Daech
semble être en recul par rapport à Al-Qaida « canal historique ». Si en Algérie même, deux katibas[4] sévissent dans le nord-est du pays, dans la région de Constantine , elles ont été
fortement étrillées par les forces de sécurité locales. Les activistes qui avaient tendance à les rejoindre tant que Daech semblait être en « odeur de victoire » restent désormais dans
leur formation d'origine. Al-Qaida non seulement à réussi à préserver sa position dominante mais la nébuleuse est repartie à l'attaque en nouant des relations avec des tribus et groupes
locaux.
En Somalie, les shebaab, fondés en 2006, n'ont révélé leur appartenance à Al-Qaida « canal historique » qu'en 2010. Ils avaient conquis une partie du pays
en 2008, mais avaient ensuite subi d'importants revers en 2011 face aux forces gouvernementales appuyées par la mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM). Mais les shebaab, malgré les
coups reçus, restent très offensifs en Somalie où ils mènent des opérations coup de poing contre les forces de sécurité, l'AMISOM ayant connu de lourdes pertes fin 2015/début 2016. Ils se livrent
aussi à des actions terroristes d'envergure qui frappent régulièrement Mogadiscio et le Kenya voisin. Daech a tenté de récupérer des groupes dissidents des shebaab mais n'est parvenu pour
l'instant qu'à peu de résultats significatifs.
Boko Haram, rebaptisé par Daech la Province pour l'Afrique de l'Ouest, est désormais scindé en deux entités distinctes et a perdu beaucoup de terrain à l'ouest et
au sud du Nigeria (provinces de Yobe, Gombe et dans une moindre mesure celle d'Adamawa). Les activistes semblent recentrer leurs activités dans la province de Borno et autour du lac Tchad.
Zawahiri affirme que le « leLevant aujourd'hui est l'espoir de la communauté des musulmans » parce que c'est la seule
« révolution populaire » qui a démarré durant les « printemps arabes et qui a suivi une voie juste » qui réclame à la fois le dawa (prosélytisme) et le
djihad pour établir le « califat dirigé harmonieusement ». Selon lui, les autres révolutions ont cherché à établir un régime basé sur un islam contrefait parce qu'approuvant le
sécularisme et le nationalisme. Il met particulièrement en garde contre les échecs rencontrés par les Frères musulmans en Égypte et, plus loin dans le passé, par le Front islamique du salut (FIS)
en Algérie.
Pour lui, il convient dans un premier temps de renverser le régime des Nusayri (terme péjoratif désignant les Alaouites) et leurs alliés chiites (Iran et Hezbollah
libanais) et croisés, occidentaux et russes. Ce n'est qu'après qu'Al-Qaida et ses alliés pourront établir un califat local. A cette fin, l'unité est demandée aux moudjahiddines car c'est pour eux
une question de « vie ou de mort ». Reprenant les positions victimaires de Daech, Zawahiri affirme qu'il est du devoir de tout musulman de « défendre le djihad au
Levant » contre les différentes « conspirations » qui sont conduites par l'Amérique, la Grande-Bretagne et l'Arabie saoudite. Par contre, il se défend de poursuivre
les mêmes objectifs que Daech dont les membres sont qualifiés de « Kharijites » du nom d'une secte extrémiste apparue au début de l'islam.
La manœuvre d'Al-Qaida en Syrie a été très habile. Son bras armé local, le Jabhat Al-Nosra (Front pour la victoire des gens du Levant) qui existait depuis 2012 a
été officiellement dissous en juillet 2016 au prétexte de rompre toutes relations avec sa maison mère. Une nouvelle organisation a vu le jour sous le nom deFatah Al-Cham
(Front pour la conquête du Levant). Enfin, en janvier 2017 ce dernier a agrégé autour de lui cinq formations importantes pour constituer une nouvelle coalition baptisée Hayat Tahrir Al-Cham
(Organisation pour la libération de la Syrie/OLS). L'annonce en a été faite le 28 janvier 2017 sur Bilal Al-Cham Media, un organe de propagande pro-Al-Qaida.
Les cinq formations ralliées sont :
- le Harakat Nour Al-Din Al-Zenki, un ancien mouvement rebelle « modéré » (composé de Frères musulmans) longtemps soutenu par les Occidentaux jusqu'à ce
que de vidéos d'exactions impliquant certains de ses membres soient diffusées sur le net,
- le Front Ansar Al-Din (Front des partisans de la religion), à l'origine (2014) une coalition proche mais non reconnue d'Al-Qaida « canal
historique »,
- le Jamat Fursan Al-Sunnah,
- le Liwa Al-Haqq (originaire de Homs),
- et le Jaysh Al-Sunnah (originaire de Homs).
Peu après, de nombreux autres groupes se sont joints à l'OLS dont le Jund Al-Aqsa et le Liwa Al-Tamkin. Bien que cette coalition affirme être essentiellement
composée de rebelles syriens, de nombreux étrangers dont des Caucasiens - en particulier des Ouzbeks de la katiba Al-Tawhid wal Jihad - sont également présents.
L'émir de l'OLS est Hachim Al-Cheikh - alias Abou Jaber -, ancien membre d'Al-Qaida en Irak qui a dirigé Ahrar Al-Cham, dont il a fait défection en décembre 2016.
Le but officiel de cette coalition qui regrouperait quelques 25 000 activistes est de combattre le régime syrien (il n'est pas fait état de Daech). D'ailleurs, dès février, des offensives
ont été déclenchées à Damas, à Hama et au nord de Lattaquié. Abou Mohamed Al-Joulani, l'émir historique du Front Al-Nosra est le responsable militaire de la coalition. Autant dire que c'est lui
qui la dirige sur le terrain.
Al-Qaida dans le sous-continent Indien
Début septembre 2014, Zawahiri a annoncé la création d'une nouvelle branche : Al-Qaida dans le sous-continent indien (AQSI) qui vient compléter les
autres mouvements affiliés existants. Pour concrétiser cette déclaration de création d'un nouveau « front », les actions terroristes revendiquées par AQSI se sont multipliées. Le
commandement pour cette région DITE AFPAK (Afghanistan/Pakistan) couvre également le Bangladesh, la Birmanie, et l'Inde. Au Bangladesh, AQSI a revendiqué de nombreux meurtres de bloggeurs et
l'attaque de maisons de publications considérées comme les véhicules d'informationS impies. Son émir est le Pakistanais Assim Oumar.
Washington a reconnu au printemps 2016 qu'Al-Qaida en Afghanistan était plus puissant qu'estimé précédemment. Le général Charles Cleveland, porte-parole de
l'opération de l'OTAN Resolute Support, a ainsi déclaré qu'Al-Qaida avait forgé des liens étroits avec les taliban et s'était régénéré. Il a reconnu que les rapports de
renseignement de 2015 ne faisaient état que de 50 à 100 activistes d'Al-Qaida présents en Afghanistan. Or, une opération de nettoyage ayant eu lieu en octobre 2015 dans le district de Shobarak,
dans la région de Kandahar, a permis de découvrir un camp d'entraînement géré par AQSI qui couvrait une superficie d'une quarantaine de km2. Cette découverte - la première de cette
importance en 14 ans de guerre - avait surpris tous les observateurs.
Washington estime maintenant que les effectifs de la nébuleuse présents en Afghanistan pourraient atteindre les 300 combattants ce qui semble, une fois encore, bien
sous-estimé. En effet, des activistes d'Al-Qaida sont présents dans 25 des 35 provinces afghanes. Il est difficile d'imaginer que cela est possible qu'avec 300 activistes ! De plus, des
documents saisis à Abbottabad font état de la consigne donnée par Ben Laden de dépalcer les militants vivant au Waziristân vers les provinces du Nuristan, du Kunar, de Ghaznî et de Zaboul pour
éviter les frappes de drones américains. Ces renforts venus du Pakistan ont donc du arriver dès le début 2011.
Si le mollah Omar maintenait une relative distance avec Al-Qaida, sa mort -survenue en janvier ou avril) 2013 - a obligé la nouvelle direction des taliban à se
rapprocher un peu plus de la nébuleuse afin de maintenir la cohésion au sein de ses troupes. Cela a été particulièrement vrai quand le décès du mollah Omar est devenu public et que le mollah
Mansour (tué à son tour le 21 mai 2016) a officiellement pris les rênes du mouvement. Il a utilisé la puissance d'Al-Qaida pour faire taire les critiques. Il est aujourd'hui remplacé par
Haibatullah Akhundzada qui renforce encore cette alliance stratégique car elle permet de placer les forces gouvernementales dans une position de plus en plus inconfortable. En tant que commandeur
des croyants , le chef des taliban afghans exerce une autorité morale et religieuse sur Zawahiri (comme Ben Laden était aussi soumis religieusement au mollah Omar). C'est aussi une
différence fondamentale avec Al-Baghdadi qui est le leader temporel et spirituel de son califat.
Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA)
AQPA est présent essentiellement au Yémen, car le mouvement n'a pu se maintenir en Arabie saoudite en raison de l'efficacité des services de sécurité locaux. Elle
entretient des liens privilégiés avec Al-Qaida au maghreb islamique (AQMI).
La particularité de cette branche d'Al-Qaida est qu'en plus de combattre le pouvoir officiel yéménite, la rébellion houtie soutenue par d'anciens partisans de
l'ex-président Saleh et Daech, elle sert de service Action à la nébuleuse pour les opérations clandestines extérieures. De nombreux attentats ont été préparés au Yémen. De plus, la revue de
propagande en anglais Inspire yest également rédigée. Elle est particulièrement destinée à recruter et encourager les sympathisants d'Al-Qaida vivant en
Occident. Inspire donne des recettes pour préparer des opérations terroristes avec les moyens du bord et désigne parfois des cibles à abattre comme cela avait été le cas dans
son numéro 10 pour Stéphane Charbonnier, assassiné le 7 janvier 2015. Anwar al-Awlaki, un imam américain d'origine yéménite a joué un rôle très important, inspirant de nombreux
attentats en Europe et aux États-Unis. Bien qu'il ait été neutralisé par un drone américain en septembre 2011, ses écrits continuent à être largement diffusés à des fins de propagande. AQPA est
aujourd'hui placé sous l'autorité de Qasim al-Raymi.
Au Yémen, AQPA se mêle aux autres mouvements insurrectionnels ou tribaux (particulièrement les séparatistes sudistes) en créant des états-majors conjoints qui
contrôlent des portions de territoires dans les régions centrales du pays. AQPA et Daech sont aussi présents à Aden où siège épisodiquement le gouvernement légal du président Mansour Hadi. Depuis
l'entrée en fonction de l'administration Trump, les Américains ont multiplié les actions offensives contre AQPA depuis Djibouti (et peut-être d'autres bases secrètes) à l'aide de drones armés et
même lors de raids commando.
Al-Qaida « canal historique » lutte pour la suprématie
Sur tous les théâtres de guerre, Al-Qaida « canal historique » est concurrencé par Daech qui tente de dévoyer des activistes appartenant à la nébuleuse
pour qu'ils rejoignent le califat en prêtant allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi.
Dans l'Émirat islamique du Caucase (EIC) qui existe depuis 2007, une lutte acharnée a lieu entre les deux mouvements. Son leader historique, Dokou Oumarov, a été
tué en avril 2014 par les forces de sécurité. Il a été remplacé par Ali Abou Muhammad al-Dagestani. C'est Roustam Asilderov, l'ex-émir du Daghestan, qui avait pris la tête de la dissidence avant
d'être abattu par le FSB en décembre 2016. De nombreux accrochages se poursuivent dans les républiques caucasiennes et d'Asie centrale et des attentats ont lieu sur toute la profondeur de la
Russie. Le dernier en date du 3 avril 2017 dans le métro de Saint Petersbourg n'a pas été revendiqué officiellement ce qui laisse un doute quant à son origine.
La lutte d'influence a aussi lieu en Extrême-Orient, Zawahiri ayant lancé de nombreux appels en direction de l'Indonésie, de la Malaisie et des Philippines. Il
rappelle que les attentats de Bali en 2002 étaient le fait de la Jemaah Islamiyah (JI) qui dépendait alors d'Al-Qaida. Mais aujourd'hui, la plupart de ses leaders[6] ainsi que ceux du groupe Abou Sayyaf, actif aux Philippines, sont passés du côté
de Daech.
En Égypte, il existe un groupuscule qui s'appelle Al-Mourabitoune (à ne pas confondre avec son homologue algérien) dont le chef, Hisham Ali Ashmawi - alias Abou
Omar al-Muhajir al-Masri - un ancien officier des forces spéciales, a renouvelé son allégeance à Zawahiri. Ce groupe, qui est issu d'une scission du Ansar Beit al-Maqdis (aussi connu sous le nom
d'Ansar Jerusalem et devenu la province du Sinaï) est surtout actif dans la région du Caire et vers la frontière libyenne.
Sur le plan de la propagande, si Daech continue à diffuser de nombreuses publications dont la revue multilingue Rumiyah. Al-Qaida « canal
historique » se montre plus discret mais poursuit ses opérations de communications via l'InspireGuide. Une curiosité : si le dernier numéro
de Rumiyah (n°8) paru début avril revendique l'action terroriste de Londres du 22 mars, Inspire Guide (n°5) diffusé peu après, décortique la méthodologie de
cette opération. Les deux organisations invitent les « combattants solitaires » à passer à l'action partout où cela est possible avec les moyens dont ils disposent. Cette course à
l'attentat est très inquiétante pour l'avenir, d'autant que le nombre de volontaires ne semble pas diminuer, l'idéologie salafiste-djihadiste prônée par les deux organisations rencontre de plus
en plus de succès au sein des populations musulmanes, surtout parmi les jeunes générations qui voient là le moyen de porter leur révolte à la fois contre leurs aînés et contre les
institutions.
[1] Cocaïne en provenance d'Amérique latine, héroïne venant
d'Afghanistan et du Triangle d'or, migrants, armes, cigarettes, etc.
[2] La katiba Okba ibn Nafaâ est la branche tunisienne
d'AQMI
[3] La création du GSIM a aussi été saluée par
l'Organisation de libération de Syrie (OLS) dont l'épine dorsale est constituée par l'ancien groupe Al-Nosra. En théorie, l'OLS n'est pas liée à Al-Qaida « canal historique » mais
personne n'est dupe !
[4] La Seriat al-Ghorabaâ - la compagnie des étrangers - et
le Jund al Khifalah - les soldats du califat - de sinistre mémoire pour avoir assassiné Hervé Gourdel en septembre 2014.
[5] Cf. Note d'actualité n°465, février 2017 : "Syrie.
Recomposition de la rébellion dans la province d'Idlib".
[6] Une douzaine de mouvements ayant prêté allégeance au
calife Ibrahim est regroupée au sein du Jemaah Ansharut Daulah (JAD).
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