Obéir ne doit pas obliger à mentir

...par le Gal. Gilbert Robinet  - le 22/07/2017.

 

 Pour les hautes autorités militaires, l’Assemblée nationale, où elles sont régulièrement auditionnées par les membres de la commission de la Défense de cette institution, à la demande de ces derniers, est devenue la banlieue de Limoges[1].

 

            Déjà, en 2013,  le général Bertrand Soubelet, alors numéro trois de la Gendarmerie nationale, a été, en définitive, renvoyé dans ses foyers après quelques  péripéties destinées à donner le change à travers des changements de fonction, pour avoir fait connaître aux parlementaires d’une commission d’information ce qu’il estimait être les incohérences et les défaillances de la politique sécuritaire et judiciaire. Puis, au cœur du mois de juillet 2017, ce fut  au tour du général Pierre de Villiers, alors chef d’état-major des Armées (CEMA), c’est-à-dire la plus haute autorité militaire de ce pays, d’être inéluctablement amené à remettre sa démission après avoir été victime de la foudre jupitérienne synonyme aujourd’hui d’élyséenne.

 

            Pour avoir, lui aussi, exprimé devant la même représentation nationale, ses craintes quant à l’inadéquation croissante entre les moyens accordés aux armées et les missions qui leur sont demandées accusée par le retrait non prévu de 850 millions d’euros destinés à financer partiellement le coût des opérations extérieures, le général de Villiers a été, le 13 juillet au soir, dans le parc de l’Hôtel de Brienne où se déroule traditionnellement une rencontre bon enfant entre le chef de l’Etat et les Armées, l’objet d’une admonestation sans précédent devant l’ensemble de ses subordonnés.

 

            Or, alerter la représentation nationale, qui plus est à huis clos donc sous le sceau de la confidentialité, sur les conséquences, en particulier en matière de déploiements de nos forces en opérations extérieures, de coupes budgétaires est le devoir du CEMA et cela ne mérite pas une humiliation publique source, finalement, d’une crise de confiance entre les Armées et le chef de l’Etat. Ajoutons, cerise sur le gâteau, que le général de Villiers aurait dû quitter ses fonctions par « limite d’âge » le 31 juillet et qu’il venait, par arrêté du ministre des Armées pris le 30 juin, d’être prolongé d’un an. On peut penser que pour accepter cette prolongation, le général de Villiers a sollicité quelques garanties en matière de respect du budget et que celles-ci lui ont été données. De surcroît, monsieur Jean-Jacques Bridey, nouveau président de la commission de la Défense de l’Assemblée et appartenant à la majorité présidentielle, a précisé publiquement qu’aucune référence à une quelconque réduction du budget 2017 n’avait été évoquée en conseil de Défense.

 

            Si l’on devait ne retenir qu’un « différend » entre deux hommes, je me contenterais de dire qu’un vrai chef n’éprouve jamais le besoin de rappeler qu’il est le chef, comme l’a fait M. Macron le 13 juillet au soir. L’arrogance et les rodomontades ne suppléent pas à l’incompétence mais en sont, au contraire, souvent les marques les plus visibles. Enfin, je ne suis pas sûr qu’aux yeux de l’opinion, les qualités de, respectivement,  grand chef et petit chef soient distribuées au général de Villiers et à M. Macron selon l’ordre établi par ce dernier.

 

            Mais le sujet le plus grave de cette lamentable affaire est ailleurs. Si des auditions, à huis clos, devant des commissions parlementaires, donnent lieu, de la part de l’exécutif, à des « mises au pas » des personnes interrogées, alors c’est nier au pouvoir législatif son rôle de contrôle de l’action gouvernementale, car pour contrôler cette action, encore faut-il la connaître dans sa pure et stricte vérité sans aucun travestissement de complaisance.  Les deux exemples cités constituent de graves atteintes à la démocratie dont le fonctionnement ne peut se résumer à la formule appliquée aux deux hommes : « mentir ou partir ».

 

            Pour répondre à l’obligation de réduction du déficit conformément aux injonctions de Bruxelles, il est dit que tous les ministères doivent également et proportionnellement participer. Mais ce raisonnement ne s’applique qu’à l’instant présent et passe par profits et pertes tous les efforts déjà accomplis par le ministère de la Défense (devenu des Armées) depuis trente ans. En termes de participation à la réduction de ce déficit, quel autre ministère a-t-il fait autant que lui ?  Depuis 1980, en euros constants, le budget de ce ministère a baissé de 20 %. Quant à ses effectifs, ils n’ont cessé de fondre de façon drastique et continue depuis trente ans. Sans remonter aussi loin, rappelons que la loi de programmation militaire 2008-2015 prévoyait la suppression de 54 000 postes, facture légèrement atténuée en fin de période sous la pression des évènements (attentats de 2015). Pour autant, le déficit du budget de l’Etat a-t-il été parallèlement réduit ?

 

            En outre, face à ce pseudo principe d’égalité/équité entre tous les ministères, on est en droit de poser la question suivante : quel autre ministère que celui des Armées compte-t-il aujourd’hui dans ses rangs des hommes et des femmes qui risquent leur vie tous les jours sur au moins cinq théâtres d’opérations extérieures ? Dans une moindre mesure, celui de l’Intérieur qui voit, de plus en plus souvent, des policiers pris pour cibles. D’ailleurs lui aussi est impacté par une réduction de crédit de 526 millions d’euros.

 

            Dans les deux cas, il se trouve que la sauvegarde de la vie de ceux qui défendent leurs concitoyens, sur le territoire national comme à l’étranger, dépend beaucoup du nombre, de la qualité et des performances des matériels et équipements qu’ils servent. Je souhaite au président de la République qu’il n’ait pas, demain, à présider, dans la Cour d’Honneur des Invalides, une cérémonie d’hommage à des soldats tués en opération et pour lesquels il apparaîtrait que leur vie aurait pu être sauvée par une meilleure protection offerte par leurs équipements. Mais je le souhaite aussi et d’abord pour ces victimes potentielles.

 

Le 19 juillet, soit le surlendemain de la démission du général de Villiers, le président de la République se trouvait sur une étape du Tour de France cycliste. Dans un contexte peu en rapport avec le sujet évoqué, il a affirmé que ce n’était pas au CEMA de défendre le budget de la Défense mais au ministre en charge. Mais ce ministre n’est-il pas juge et partie, surtout quand il a effectué une partie de sa carrière à Bercy ? Connaît-il tous les aspects technico-opérationnels qui permettent d’argumenter une construction budgétaire ? Et d’ailleurs, ce ministre, a-t-on entendu un seul mot sortir de sa bouche à propos du différend entre le président et le CEMA ? Ordre de se taire ou incompétence sur les sujets en question ?

 

Mais, en vérité, la remarque présidentielle est dans le droit fil de ce qu’on appelle pudiquement « le nécessaire resserrement des militaires sur le cœur de leur métier » concept qui signifie en fait : « vous les militaires, faites la guerre et rien d’autres, faites-vous tuer éventuellement et laissez la haute administration civile se charger du reste ! ». N’est-ce pas ce principe qui a déterminé le choix du successeur du général de Villiers, qui est,  en effet, un opérationnel hors-pair, on dit même un guerrier. Il reste à souhaiter qu’il ne soit pas que cela.

 

            Quoi qu’il en soit, si je comptabilise ce que représentent quantitativement les militaires en activité, les anciens militaires et tous les membres des innombrables associations patriotiques ou d’anciens combattants auxquels il faut associer leurs familles et même des citoyens qui ne sont rien de tout cela mais qui ont été profondément heurtés par la fanfaronnade du président de la République, je pense que ce dernier a perdu en une seule soirée près de trois millions d’électeurs potentiels. Pour regagner leur confiance, il lui faudra commettre un sans faute à leur égard pendant cinq ans.

 

                                                                          Général de division (2S) Gilbert ROBINET

                                                                           ayant servi 7 ans à l’état-major des Armées

 

[1] Ville où furent invités à se retirer, en 1914, les généraux jugés incompétents par le généralissime Joffre et qui est à l’origine du terme limogeage.

 

 Source : http://www.asafrance.fr/item/obeir-ne-doit-pas-obliger-a-mentir.html

 

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