«Les opérations militaires au Mali, c’est un peu Sisyphe au Sahel»

par Arnaud Danjean, député européen - le 10/02/2017.


Le député européen LR revient d’une tournée au Mali, quatre ans après l’intervention militaire française. Il redoute une forme d’enlisement et reste sceptique sur la possibilité d’une relève européenne.


Arnaud Danjean, député européen LR, s’est rendu au Mali du 23 au 26 janvier. Membre de la commission des affaires étrangères du Parlement européen, il y a rencontré les deux missions européennes EUTM et EUCAP d’assistance à la sécurité, les contingents européens au sein des Casques bleus de la Minusma, les militaires français de l’opération Barkhane et des responsables maliens.



Comment jugez-vous la situation au Mali, quatre ans après l’intervention militaire française en janvier 2013?

 Elle n’est pas bonne et elle se détériore. C’est l’avis de tous les gens que j’ai rencontré sur place. Le processus de paix avance très très lentement. L’attentat de Gao du 18 janvier, qui a fait 77 morts, est le plus grave de toute l’histoire du Mali. Il est le point d’orgue de problèmes non résolus. En effet, ce qui a été frappé, c’est justement le mécanisme de patrouilles conjointes, visant à la réconciliation nationale, prévu par les accords de 2015 et qui n’est toujours pas en place… On observe une incapacité de l’État malien à se déployer sur l’ensemble du territoire, pour la sécurité mais aussi dans le domaine de l’éducation. À Bamako, les ministres ne manquent pas de volonté, mais ils n’ont pas assez de relais aux échelons intermédiaires de l’administration.


Est-ce toujours le nord du pays qui pose problème?

 Plus seulement. Le nord connaît une instabilité structurelle mais tous les observateurs constatent que cette instabilité gagne désormais le centre du pays, la région de Mopti, qui était jusqu’à présent relativement épargnée. Or cette région est le ventre mou du dispositif international et va obliger celui-ci à se redéployer pour ne pas être pris à revers. L’infiltration terroriste dans ce secteur se manifeste sous la forme d’une porosité entre des groupes criminels, terroristes et ethniques, avec le basculement des Peuls qui expriment de plus en plus leur hostilité à l’État central. Les terroristes viennent se greffer sur un mécontentement des populations. On ne peut donc pas les combattre comme on le fait en plein désert, plus au nord. À partir du moment où ces groupes sont en cheville avec des communautés, les opérations militaires sont plus difficiles à conduire, car on risque d’être entraîné vers des choses plus sensibles. La crainte d’une forme d’enlisement existe: au vu de la complexité des problèmes et de l’immensité du territoire, c’est un peu Sisyphe au Sahel.


Quel est le bilan des deux opérations de l’Union européenne, l’EUTM pour la formation de l’armée et l’EUCAP pour la réforme des forces de sécurité intérieure?

Elles sont plutôt efficaces, mais elles pâtissent – en particulier l’EUCAP – des faiblesses structurelles de l’administration malienne. L’EUTM forme des contingents militaires mais, ensuite, l’UE ne leur fournit pas les équipements dont ils ont besoin. Il ya le projet d'un programme européen, le Capability building for security and development (CBSD) mais la Commission freine en refusant la livraison d’armements et fait baisser le niveau d’ambition.


Et l’opération française Barkhane?

 C’est la plus efficace, grâce à son excellente connaissance du terrain et au fait qu’elle va au contact. Les Français sortent de leurs bases et il n’y a pas de restrictions à l’engagement. En matière d’antiterrorisme, les raids des forces spéciales marchent bien, tout comme la coopération transfrontalière avec le Niger et le Burkina Faso. La vraie réussite, c’est la stabilisation: si les Français partaient, ça s’effondrerait! Personne n’en doute. La question n’est donc pas celle de l’utilité de Barkhane mais celle de sa soutenabilité sur la durée (4 000 hommes, 500 millions d’euros par an). Je comprends que les Français souhaitent un meilleur partage du fardeau.


Le plan initial était que les Casques bleus de la Minusma prennent le relais des Français. Quel regard portez-vous sur eux?

La Minusma a deux gros problèmes. Comme d’habitude avec les Casques bleus, le niveau très inégal des contingents nationaux. Certains détachements africains sont bons, alors que les armées professionnelles européennes, comme les Allemands et les Hollandais, ont des contraintes politiques nationales qui les coupent très largement du terrain. Ce sont des troupes aguerries, mais leurs règles d’engagement sont en retrait du mandat robuste des Nations Unies. Concrètement, cela limite leurs actions à quelques patrouilles. Leur intégration locale comme leur impact sécuritaire et politique restent faibles, même si le contingent allemand doit monter à 1 000 hommes.
Les hélicoptères de combat hollandais Apache, qui n’ont pas beaucoup servi, vont être remplacés par des hélicoptères d’évacuation sanitaire. La règle c’est « zéro incident, zéro mort ». Cela pose problème. On peut y ajouter une difficulté d’ordre culturel: pour aller au contact des populations et obtenir du renseignement au Mali, il faut être francophone, ce que ne sont pas les contingents européens. Il y a donc beaucoup d’illusions sur une possible relève des Français par les Européens.

 

Auteur : Arnaud DANJEAN
Député européen 
Interview recueillie par Jean-Dominique MERCHET

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