Coup d’Etat au Mali :

Un coup d’Etat, beaucoup de questions…

...par Leslie Varenne - Le 20/08/2020.

Au Mali, des militaires ont choisi la manière forte pour obliger le président IBK à démissionner. Ce putsch rondement mené met un terme à une grave crise politique sans issue et ouvre une nouvelle période d’incertitude. 

 

 

Ce 18 août a vu se réaliser le quatrième coup d’État de l’histoire du Mali depuis son indépendance (novembre 1960 – mars 91 – mars 2012). Celui de mardi fait suite à une longue crise politique et institutionnelle, en sus d’un fort mécontentement dans l’armée. L’exaspération des militaires a été encore accentuée par la décision du Président malien prise le 17 août de modifier les conditions d’avancement des grades au sein de la grande muette. Cela dit, la lassitude des soldats du rang est ancienne, compte tenu de leur situation de dénuement et des traumatismes vécus, avec la perte de nombreux frères d’armes, depuis la guerre de 2012.

Ce putsch entre dans la catégorie des « coups d’État populaires », comme l’analysait le journaliste Safwene Grira en 2019 : « Pour contourner les sanctions et l’hostilité citoyenne, les nouveaux putschs ont entamé une nouvelle transmutation. Les mutins, l’armée ou une partie de l’armée n’intervient qu’en dernier recours pour dénouer un blocage politique devant une mobilisation populaire assimilée à une révolution. Pour ce faire, l’armée préférera, quand c’est possible, acculer un Président récalcitrant à la démission plutôt que de le déposer franchement. Cette technique s’est exprimée au Zimbabwe en 2017, puis en Algérie en 2018. » C’est en suivant ce schéma que les putschistes maliens ont agi tout au long de la journée du 18 août.

 

Un coup de génie

Car il faut bien reconnaître que le coup a été mené avec une précision d’horloger. En sept heures chrono, tout était bouclé sans qu’il y ait un mort ou un blessé à déplorer. Le film des événements est édifiant : aux environs de huit heures du matin, une mutinerie éclate au camp militaire de Kati ; une heure plus tard, la valse des arrestations des personnalités politiques débute par celle du ministre des Finances Abdoulaye Daffé, suivie de nombreuses autres, dont celle du très contesté président de l’Assemblée nationale Moussa Timbiné. En milieu de journée, les manifestants commencent à se rassembler sur le boulevard de l’Indépendance. Au même moment, des généraux sont arrêtés et des protestataires se rendent au domicile du chef de l’État, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Les putschistes demandent sa démission ; à 17 h, ils viennent le cueillir ainsi que son Premier ministre, Boubou Cissé, réfugié chez lui. La troupe se dirige ensuite vers le camp militaire de Kati. À 18h, les opérations sont terminées. Seule ombre à leur tableau et contrairement aux informations publiées ici et là, Karim Keïta n’a pas été emmené avec son père, il reste introuvable. Aux environs de minuit, IBK s’exprime devant les caméras de la télévision publique (ORTM) et annonce sa démission.

Les mutins ont tiré les leçons du coup d’État de 2012 qui leur avait coûté cher puisque leur chef, Haya Sanogo, avait fini en prison. Tous les corps d’armée étaient représentés dans le détachement qui a quadrillé le centre-ville et procédé à l’arrestation du Président et de Boubou Cissé. À la manœuvre, le colonel Assimi Goïta – neveu du général Youssouf Goïta, ancien directeur de la sécurité militaire sous Amadou Toumani Touré –, le colonel Malick Diaw, proche de Haya Sanogo, et le colonel Ismaël Wague, fils d’un ancien ministre de Moussa Traoré. Tous sont passés par les grandes écoles militaires –Prytanée, Emia.

 

Un silence étonnant…

Ce déroulé minutieux, efficace et rapide n’est pas sans poser un certain nombre de questions dans une capitale quadrillée par des forces étrangères. La force de maintien de la paix des Nations unies (Minusma) est au Mali à la demande expresse des autorités de ce pays. Une de ses principales missions, avec la protection des civils, consiste à rétablir « l’autorité de l’État dans tout le pays » donc à garantir la sécurité des institutions, celle du chef de l’État et des membres du gouvernement. Or, il semble qu’à aucun moment elle n’ait tenté de s’interposer lorsque les mutins se sont présentés à son domicile. Elle n’a pas non plus essayé d’exfiltrer IBK, alors qu’elle dispose d’une force d’intervention rapide constituée de forces spéciales sénégalaises. Elle n’a pas empêché non plus les multiples arrestations de ministres et de personnalités. Elle a en outre les moyens de garantir la sécurité de toutes ces personnalités dans son nouveau camp ultra sécurisé de plusieurs hectares situé tout près de l’aéroport. Étrangement, à aucun moment la Minusma n’a agi. De la même manière, toutes les autres forces en présence au Mali sont restées muettes et inactives. Il n’est pas illégitime de se questionner également sur l’aveuglement des services de renseignement de tous ces pays, y compris de la mission de formation de l’Union européenne au Mali (EUTM), qui disposent de conseillers au sein de l’État-major et du ministère de la Défense tout au long de la préparation des événements de ce 18 août.

 

Et après ?

Si ce putsch magistralement orchestré règle le problème de la crise politique et institutionnelle que vivait le Mali depuis le 5 juin dernier, date de la première manifestation de l’opposition M5-RFP alliée à l’imam Dicko, il ouvre aussi une grande période d’incertitude et pose d’autres questions. Quels sont les réels desseins des mutins? Ces officiers ont-ils des objectifs patriotiques et veulent-ils mettre fin à la corruption et à la gabegie qui règne à Bamako –comme ils l’annoncent– ou ont-ils un autre agenda ? Le M5 et l’imam Dicko ont-ils été instrumentalisés pour réussir un "coup d’État populaire " ou participeront-ils à la nécessaire reconstruction du pays ? La formation du nouveau gouvernement et surtout le choix des hommes politiques seront une indication sur l’orientation et les réelles motivations de la junte désormais au pouvoir au Mali. 

Les Nations unies, l’Union africaine, la Cedeao (organisation des États ouest-africains), l’Union européenne et la France ont condamné fermement cette prise de pouvoir et la mise aux arrêts du président IBK et demandent sa libération immédiate. La communauté internationale gronde, pour tenter de faire baisser la tension, les pressions, le M5 RFP appelle à une grande manifestation le 21 août. Au Mali, ce n’est pas fini...

 


Une défaite française

...par Francis Moritz - Le 20/08/2020.

Source : Causeur

 

Le coup d’Etat au Mali semble sonner le glas du processus de pacification et de normalisation engagé par la France depuis son intervention militaire en 2013. 


 

Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt. C’est ce qui se passe en matière de communication officielle sur la situation au Sahel. On nous masque la gravité croissante de la situation dans cette région grande comme une fois et demie la France (1.500.000 km2).

Le Mali, un pays dans le chaos

Les prémices d’un conflit armé remontent à 2012 après la rébellion d’une milice touareg au nord du Mali. La situation n’était cependant pas nouvelle. Les tensions existaient dans ce secteur depuis des années, sans toutefois dépasser le stade d’escarmouches. D’ailleurs, le précédent coup d’Etat remonte à 2012, issu du même camp militaire de Kati où a eu lieu le putsch. Il fallut ensuite seize mois de palabres avant l’élection d’Ibrahim Boubakar Keita (IBK).

Depuis sept ans, ce pays enclavé et pauvre est gouverné dans le chaos et la corruption. Outre la crise sociale et économique, l’augmentation radicale des violences dans le centre et le nord du pays exaspère des populations déjà inquiètes de la dégradation de leurs conditions de vie.

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Parallèlement, la rébellion aux frontières réunit des combattants expérimentés et aguerris, de retour de Libye, mis au chômage par l’intervention française de 2011.

L’intervention française

Devant l’avance djihadiste de 2013, la France est intervenue avec quelques troupes de l’UE en appui, dont la Bundeswehr qui a voté l’envoi d’un nouveau contingent pour essayer de former les armées nationales quasi-inexistantes, Tchad excepté. La militarisation du conflit conduit rapidement à une escalade qui amène à l’envoi, deux ans plus tard, de la MINUSMA onusienne. Des 2015, cette force enregistre 56 victimes et devient la double cible des groupes djihadistes ainsi que des populations mécontentes d’une présence passive. Cette intervention entraîne le déplacement de plus de 100 000 personnes dans le pays, pendant que plus de 130 000 fuient dans les pays voisins.

A partir de là, le conflit se cristallise au centre du Mali pour ensuite s’étendre dans la zone des cinq pays frontaliers. Les alliés que sont la France, l’UE, les Etats-Unis, en appui logistique, se trouvent dans une configuration à la vietnamienne. Quitter les lieux laisserait la place aux djihadistes de tout poil et autres milices armées, ouvrant la voie à des exécutions sommaires par les troupes régulières.

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La violence attire la violence

En réalité, les causes profondes du conflit sont socio-économiques. Le premier ennemi, c’est la sécheresse, mère de la famine et de la misère, mère des conflits ethniques pour la possession du bétail, des puits, des récoltes entre sédentaires et nomades.

Le conflit s’est étendu vers la frontière sud-est du Mali au Burkina Faso, devenu le maillon faible des cinq pays concernés. La violence attire la violence. Au Burkina Faso, l’ONG Human Rights Watch a recensé plus de 1200 victimes des djihadistes en 2019, sans parler des crimes interethniques, soutenus par ces mêmes djihadistes. Depuis, des dizaines d’autres victimes (y compris européennes) sont tombées dans les attaques ciblées de ces groupes parfaitement adaptés à ce type de guérilla. Au cœur de cette vaste étendue, hors de portée des quelque 5000 militaires présents, la sécurisation est impossible. Imagine-t-on la France disposant pour tout son territoire de 1500 gendarmes ?

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Il faut regarder la réalité en face, la France et l’UE ont failli. Ce conflit représente un gouffre financier doublé d’un drame humain. Il devait permettre aux habitants de la région  manger à leur faim et de vivre en paix mais la guerre est devenue un bourbier.

Faillite européenne

Malheureusement, comme dans l’affaire libyenne où un cessez-le-feu n’est pas en vue, l’UE des 27 et la France, son bras armé, ne réussissent pas à trouver une solution politique pour mettre fin aux souffrances des populations. Pendant ce temps, l’UE veut s’occuper de la situation en Biélorussie tout en proclamant le principe de non-ingérence. Et dans le même temps, l’UE évite de s’occuper du (réel) conflit qui oppose la Grèce et la Turquie. La situation au Sahel où l’UE prétend apporter des solutions, n’est pas davantage à l’ordre du jour. Cherchez l’erreur.

Aujourd’hui, le coup d’Etat de la junte malienne est condamné de toutes parts, par la France, l’Union Africaine, les Etats Unis, l’Onu, la Communauté économique des états de l’ouest qui a également décidé de fermer ses frontières et de suspendre les échanges.

Mais la communauté internationale n’a pas d’autre choix que de reconnaître la junte et de coopérer avec elle. Sans quoi le chaos et l’instabilité profiteraient aux djihadistes qui s’étendraient encore davantage au Sahel.

Pour feu le cardinal de Retz, on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. Il est temps que l’UE devienne réaliste et agisse comme une force économique, politique et militaire digne de ce nom. Au Mali, il faudra être très attentif au rôle que pourra jouer le mouvement M5-RPF de l’imam salafiste Mahmoud Dicko. Ce n’est pas un ami de la France. Par le passé, il a soutenu les mutins et l’opposition à IBK.

Le pire pourrait donc encore se produire.

Francis Moritz.

 

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