Général Lecointre : « Il faut être prêt à s’engager pour un conflit de survie »

....par Laurent Lagneau - Le 26/07/2019

Lors de la dernière édition de la Conférence des ambassadeurs, en août 2018, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ne put que confirmer et compléter les propos qu’il avait déjà tenus quand il était à l’Hôtel de Brienne pour décrire les dernières évolutions du contexte international.

 

« Nous vivons dans une période de tension et de conflictualité » avec une « rupture » sur le

plan de la sécurité, « se manifestant par la multiplication des crises aux portes de l’Europe » et une autre dans celui de l’économie, « liée aux déséquilibres commerciaux que risquent d’aggraver les tentations de guerre économique », avait en effet affirmé le chef de la diplomatie française.

 

Lors de sa dernière audition à l’Assemblée nationale, le chef d’état-major des armées [CEMA], le

général François Lecointre, est entré dans le détail des menaces actuelles. Ainsi, après avoir

de nouveau critiqué les « dividendes de la paix » qui, après 1991, « allaient provoquer pertes

de capacités et diminution de la réactivité des armées », il a évoqué un contexte marqué par le

terrorisme qui « se développe en même temps que l’expansion incessante de menaces

hybrides », « l’apparition de nouveaux champs de conflictualité » et une « désinhibition tout à

fait frappante de l’usage de la violence et de la force. »

 

Aussi, pour le CEMA, nous entrons dans une ère qui « combine, d’une certaine façon, les

caractéristiques de périodes précédentes, sur fond de risque climatique, d’épuisement des

ressources et d’inégalités de développement. » Et, a-t-il ajouté, elle faut « surtout réapparaître

la crainte de menaces existentielles, à même de saper les fondements de notre Nation. »

 

Et « cette période nous expose à trois grandes formes de conflictualité, qui se conjuguent », a

relevé le général Lecointre. Ainsi, a-t-il dit, « un affrontement majeur apparaît aujourd’hui

comme une potentialité réelle ». Selon lui, « l’armement de la Chine, l’affirmation de

puissances régionales avec des prétentions nucléaires, le jeu de la Russie, la concurrence à la

puissance américaine ou les déséquilibres autour du golfe Arabo-Persique sont de nature à

provoquer un point de rupture. »

Et cela conduit le CEMA à estimer qu’il « faut être prêt à s’engager pour un ‘conflit de

survie’, seul ou en coalition, rapidement et dans la durée. » Et cela demandera des « moyens

de haute technologie car ce conflit se déroulera dans les champs habituels, mais aussi dans

ceux qui échappaient jusqu’ici à la conflictualité militaire. »

 

Et, a poursuivi le général Lecointre, « le déni d’accès de certains espaces et les stratégies

indirectes, avec un rapport coût efficacité aujourd’hui à la portée de petits compétiteurs,

pourraient préfigurer ce type de conflit. »

 

En outre, les affrontements de nature « asymétrique » n’ont pas disparu. Loin de là même.

« Le terrorisme persiste. Il mute. Il intègre opportunément toutes les revendications ethniques,

religieuses, idéologiques ou identitaires » tandis que les groupes terroristes « s’approprient les

nouvelles technologies et savent investir tous les champs, exigeant de notre part une palette

complète de réponses militaires », a expliqué le CEMA.

 

Enfin, ce dernier n’exclut pas qu’une ou plusieurs « crises profondes » puissent « déstabiliser

sérieusement les grands équilibres mondiaux. » Ces crises pourraient être de « nature

démographique, climatique ou d’accès à l’eau » et elles « ne manqueront pas d’affecter

l’Afrique », ce qui aura « de lourdes conséquences pour la stabilité de l’Europe tout entière »,

a prévenu le général Lecointre.

 

« Je pense que nous devons absolument nous y préparer et l’intégrer dans notre modèle

d’armée, d’autant que cette typologie de la menace n’exclut pas la simultanéité des

occurrences et que chaque type d’affrontement se conjuguera dans le temps et l’espace. Nous

devons être capables d’anticiper et de voir venir ces menaces ou ces conjugaisons de menaces,

mais aussi de créer les coalitions qui nous permettront d’y faire face », a-t-il ensuite fait valoir

auprès des députés.

 

Après des années de contraintes budgétaires qui ont entamé le potentiel et les capacités des

forces françaises, l’exécution à l’euro près de la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-

25, qui met l’accent sur la « remontée en puissance », est essentielle.

 

En l’état actuel des choses, et « au rythme actuel des commandes et livraisons » des munitions, les forces françaises ne seront « toujours pas pas capables de soutenir un engagement majeur en 2022 », a souligné le général Lecointre. « Pour la défense sol-air, surface-air, l’engagement air-air, ainsi que pour la lutte antinavire, nos stocks ne nous permettent déjà pas de faire face à la situation opérationnelle de référence », a-t-il précisé.

 

Qui plus est, « nous avons encore des trous capacitaires, notamment dans les domaines de la

projection stratégique, du renseignement par drone, du ravitaillement à la mer et de

l’aéromobilité, ce qui nous rend dépendants de nos alliés américains, otaniens et européens,

ainsi que des contrats d’affrètement », a encore cité le CEMA.

 

Enfin, a-t-il aussi fait remarquer, la « disponibilité technique opérationnelle de certaines de

nos flottes d’aéronefs demeure à un niveau faible, de l’ordre de 50 % à 60 % pour les flottes

d’hélicoptères de l’armée de Terre, de patrouilleurs maritimes de la Marine et d’avions de

transport tactique de l’armée de l’Air. »

 

D’où l’importance cruciale, dans ces conditions, de la bonne exécution de la LPM, qui

« prend en compte » cette nécessité de réparer nos capacités, en particulier les difficultés et les

carences structurelles dont nous souffrons », a plaidé le général Lecointre.

 

Source : http://www.opex360.com/2019/07/26/general-lecointre-il-faut-etre-pret-a-sengager-pour-un-conflit-de-survie/

 

Commentaires: 0