Opérations « HOMO » - ATTENTION DANGER !

par le Gal. Vincent Desportes - le 23/01/2017.



 

Quelle belle tentation que celle des exécutions ciblées ! Opérations légères, efficacité immédiate, et coûts limités, comparées à l’utilisation conventionnelle des forces.

 

Qu’on en juge : le coût politique des pertes humaines est inexistant, le coût économique est négligeable et le coût éthique réduit au regard de la violence militaire des opérations classiques.

 

A coûts diminués, demande accrue… La tentation est grande - celle de la « chasse à l’homme internationale » lancée par George W. Bush et accélérée par son successeur -, mais la dérive est rapide et le résultat pervers sur le long terme. L’analyse politique de l’élimination ciblée impose la retenue dans son emploi.

 

Il n’y a pas lieu de remettre en cause l’action ponctuelle, tant qu’elle le reste. La question morale ne se pose d’ailleurs pas. La première mission de l’Etat est la protection des citoyens : il a toute légitimité pour user des moyens idoines. Surtout quand il s’agit d’un Etat comme la France faisant reposer sa défense sur la dissuasion nucléaire dont le principe est la destruction de millions d’individus « innocents », éventuellement de manière préventive ; il n’a pas de raison d’hésiter devant l’exécution isolée.

 

Le problème ? L’extension naturelle du procédé a des implications dangereuses au regard de ses bénéfices de court terme. Cette nouvelle guerre cynégétique a pour premier effet de remettre en cause le droit international sur lequel repose la défense globale des nations, puis de contrecarrer le principe de séparation des pouvoirs exécutifs et judiciaires qui sous-tend la sécurité démocratique des citoyens. L’auto-défense étatique dans l’ambiguïté juridique : le paradigme des barbouzes !

 

La question de l’efficacité stratégique s’impose. L’argument de la dissuasion est recevable. Mais si l’Etat entend montrer sa détermination à exercer des représailles dès qu’il est attaqué, il rentre dans une spirale de vengeance, en particulier lorsque ses adversaires sont des mouvements terroristes peu soucieux du sang versé. Si l’ennemi possède une structure pyramidale, frapper à sa tête peut produire un effet dévastateur. Qu’eut été le Premier Empire privé dès le 1er décembre 1805, veille d’Austerlitz, du génie de Napoléon par une frappe décapitante ?

Rien sans doute : l’histoire eut tourné court. Mais si l’adversaire est réticulaire, couper une des têtes de l’hydre, fût-elle la première, a peu d’effet. Al Qaeda commet son premier attentat en 1992 au Yémen, son chef Ben Laden est exécuté le 2 mai 2011, tué par des SEAL américains à Abbottabad, mais l’organisation continue aujourd’hui à prospérer malgré la pratique des éliminations ciblées.

 

Tout le problème est là. Les attaques ciblées, de drones en particulier, sont perçues comme lâches et déloyales par l’adversaire. Plus que les combats conventionnels qui respectent à la fois le droit de tuer et celui de se défendre, elles engendrent la haine, jettent la population dans les bras des groupes extrémistes, radicalisent les opinons publiques, bref assurent par elles-mêmes le renouvellement des cibles qu’il faudra détruire ensuite.

Technique tenant lieu de stratégie, relevant davantage du sécuritaire et du pénal que du militaire, l’élagage ponctuel, pour éthique qu’il puisse paraître, porte en lui les germes de son éternelle reconduction : piégée dans l’escalade sans fin d’une guerre sans victoire, la technique d’éradication est vouée à ne jamais éradiquer. En outre, les frappes ciblées ne se substituant pas à l’action au sol, leur usage exclusif est contre-productif en termes de stratégie globale. Ainsi conduit, l’antiterrorisme exclut le traitement politique et social du conflit et conduit d’autant moins à sa résolution. Technique prophylactique aux résultats statistiques et non stratégiques, l’élimination ciblée modifie la nature de la guerre en la transformant en une opération de police qui ne règle pas les problèmes au fond.

 

Plus encore, elle conduit à son extension hors des champs de guerre où elle croit le circonscrire. En refusant à l’autre son droit à combattre, en le transformant en coupable méritant châtiment, l’utilisation par la « force juste » de l’élimination ciblée fait de « l’injuste » un criminel qu’elle exclut du droit de la guerre, l’incitant ainsi à ne le plus respecter.

Dès lors, l’adversaire qui ne peut frapper son tueur invulnérable va chercher ailleurs des cibles molles : dans une spirale difficilement maîtrisable d’attaques et de représailles, l’attentat de masse est l’inévitable réponse à l’élimination ciblée. Antithèses se confortant de leur multiplication, tactiques opposées se justifiant l’une l’autre, l’attaque-suicide répond fatalement à l’éradication-fantôme.

 

Général Vincent DESPORTES

Professeur des Universités associé à Sciences Po


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