« Il faut stopper ce train fou avant qu’il ne soit trop tard ! »
...proposé par le Gal. Dominique Delawarde - Le 14/03/2021
Bonjour à tous,
Je vous invite à prendre connaissance du texte en lien ci après, parfaitement clair , signé par un
membre du CRI (Centre de Réflexion interarmées) exprimant la position du centre de réflexion dans son ensemble.
Ce texte court et percutant représente aussi la position de très nombreux généraux français tenus,
pour certains, au devoir de réserve. Personnellement, je suis de ceux qui en approuvent totalement les termes.
De toute façon, l'OTAN, son secrétaire général et les chefs des États membres de l'OTAN doivent
comprendre que ce n'est pas avec des généraux qui ne croient pas en la stratégie qu'on leur propose que l'on gagnera un bras de fer ou un conflit ouvert contre un ennemi fabriqué de toute pièce
au plus grand bénéfice de l'empire américain.
Oui, il faut arrêter ce train fou, avant qu'il ne soit trop tard. Ce texte est à rediffuser sans
modération.
Dans une lettre ouverte à Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN/NATO1,
plusieurs haut gradés de l’Armée regroupés au sein du Cercle de Réflexion Interarmées s’insurgent contre le projet OTAN 2030 qui affaiblit la souveraineté de la France selon
eux.
TRIBUNE LIBRE
Le jeudi 18 février 2021 l’étude « OTAN 2030 », produite à votre demande, vous a été présentée. Elle indique ce que doivent être les missions
de l’OTAN pour les dix prochaines années. D’entrée, il apparaît que toute l’orientation de l’OTAN repose sur le paradigme d’une double menace, l’une russe, présentée comme à l’œuvre
aujourd’hui, l’autre chinoise, potentielle et à venir. Deux lignes de force majeures se dégagent de cette étude.
La première, c’est l’embrigadement des Européens contre une entreprise de domination planétaire de la Chine, en échange de la protection américaine de
l’Europe contre la menace russe qui pèserait sur elle.
La deuxième, c’est le contournement de la règle du consensus, de plusieurs manières : opérations en coalitions de volontaires ; mise en œuvre des
décisions ne requérant plus de consensus ; et surtout la délégation d’autorité au SACEUR (Commandant Suprême des Forces Alliées en Europe, officier général américain) au motif de
l’efficacité et de l’accélération de la prise de décision.
Mais la lecture de ce projet « OTAN 2030 » fait clairement ressortir un monument de paisible mauvaise foi, de tranquille désinformation et
d’instrumentalisation de cette « menace Russe », « menace » patiemment créée puis entretenue, de façon à
« mettre au pas » les alliés européens derrière les États-Unis, en vue de la lutte qui s’annonce avec la Chine pour l’hégémonie
mondiale.
C’est pourquoi, Monsieur le Secrétaire général, avant toute autre considération sur l’avenir tel qu’il est proposé dans le projet OTAN 2030, il est
important de faire le point sur les causes et la réalité de cette menace russe, par les quelques rappels historiques ci-dessous.
En effet, l’histoire ne commence pas en 2014, et c’est faire preuve d’une inébranlable mauvaise foi historique concernant les relations euro et
américano-russes, que de passer en une seule phrase (au tout début du paragraphe « Russie ») directement du « partenariat constructif » lancé par l’Otan au début
des années 90 à l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, comme s’il ne s’était rien passé entre 1991 et 2014, entre « la gentille Russie » de l’époque, et le méchant
« Ours russe » d’aujourd’hui.
C’est bien l’OTAN qui, dès les années 1990, s’est lancée à marche forcée dans son élargissement
vers l’est, certes à la demande des pays concernés, mais malgré les assurances données à la Russie en 1991 lors de la signature du traité de Moscou2,
et qui d’année en année a rapproché ses armées des frontières de la Russie, profitant de la décomposition de l’ex URSS.
C’est bien l’OTAN qui , sans aucun mandat de l’ONU, a bombardé la Serbie3 pendant
78 jours, avec plus de 58 000 sorties aériennes, et ceci sur la base d’une vaste opération de manipulation et d’intoxication de certains services secrets de membres importants de
l’Alliance, (le prétendu plan serbe « Potkova » et l’affaire de Racak ),
initiant ainsi, contre toute légitimité internationale, la création d’un Kosovo indépendant en arrachant une partie de son territoire à un état souverain, au nom du droit des peuples
à disposer d’eux-mêmes, humiliant ainsi la Russie à travers son allié serbe.
Ce principe serait-il à géométrie variable, lorsqu’il s’agit de la Crimée composée à plus de 90% de Russes, et rejoignant la Russie sans un coup
de feu ?
C’est bien l’OTAN qui en 2008, forte de sa dynamique « conquête de l’est », refusa la
main tendue par la Russie pour un nouveau « Pacte de sécurité européen » qui visait à régler les conflits non résolus à l’est de l’Europe (Transnistrie, Abkhazie,
Ossétie du Sud), en échange d’une certaine neutralité de la Géorgie, de l’Ukraine, de la Moldavie – c’est à dire de l’immédiat « hinterland » russe – vis-à-vis de
l’OTAN.
Et c’est toujours avec ce même esprit conquérant, perçu comme un réel étranglement par la Russie, qu’il a été choisi, en 2010, d’encourager les
graves troubles de l’« Euromaïdan », véritable coup d’état qui a abouti à l’élimination du président ukrainien légalement élu, jugé trop pro-russe, en vue de
continuer la politique de rapprochement de l’Ukraine avec l’OTAN.
On connaît la suite, avec les sécessions de la Crimée et du Donbass.
C’est bien l’OTAN qui au début des années 2000, après avoir associé la Russie à une défense
anti-missiles de théâtre censée « protéger les États-Unis et ses alliés, dont la Russie » , d’une attaque de missiles tirés par des « États voyous »,
notamment l’Iran et la Corée du Nord (sic), transforma de facto en 2010 lors du sommet de Lisbonne, ce système en une architecture globale de défense antimissile balistique en Europe
(BMDE), non plus de théâtre, mais en un véritable bouclier tourné cette fois-ci contre la Russie et non pas la protégeant.
C’est encore l’OTAN qui donna l’assurance à la Russie que les sites de lancement des missiles antimissiles balistiques (ABM) ainsi déployés devant sa
porte ne pourraient jamais être retournés en sites offensifs contre son territoire tout proche, « oubliant de préciser » qu’en réalité ces lanceurs (MK 41)
de missiles ABM pouvaient tout aussi bien servir à tirer des missiles offensifs Tomahawk contre son territoire (nucléaires ou conventionnels de portées supérieures à 2 000 km selon
les versions) en contradiction flagrante avec le traité INF toujours en vigueur à l’époque de leur déploiement ; on dépassait là, et de loin la question de savoir si le 9M729
russe portait à 480 km ou à 520 !
La menace potentielle ainsi exercée sur la capacité de frappe en second de la Russie, base de sa dissuasion nucléaire, a sérieusement remis en cause
l’équilibre stratégique américano-russe , poussant alors la Russie à suspendre toute coopération au sein du COR (Conseil OTAN-Russie) fin 2013, donc dès avant l’affaire de la Crimée
de 2014, laquelle sera ensuite utilisée par l’OTAN pour justifier – a posteriori – la protection BMDE de l’Europe face à la nouvelle « menace russe » !
Alors oui, Monsieur le Secrétaire général, au terme de ces vingt années d’efforts soutenus de la part de l’OTAN pour recréer « l’ennemi
russe », indispensable à la survie d’une organisation théoriquement purement défensive, oui, la Russie a fini par se raidir, et par chercher à l’Est la coopération que l’Ouest
lui refusait.
L’entreprise de séparation de la Russie d’avec l’Europe, patiemment menée au fil des années, par vos prédécesseurs et par vous-même sous l’autorité
constante des États-Unis, est aujourd’hui en bonne voie, puisque la Russie, enfin redevenue « la menace russe » , justifie les exercices les plus provocateurs comme Defender
2020 reporté à 2021, de plus en plus proches de ses frontières, de même que les nouveaux concepts d’emploi mini-nucléaires les plus fous sur le
théâtre européen sous l’autorité de…l’allié américain qui seul en possède la clef.
Mais non, Monsieur le Secrétaire général, aujourd’hui, et malgré tous vos efforts, la Russie avec son budget militaire de 70 Mds€ (à peine le double de
celui de la France), ne constitue pas une menace pour l’OTAN avec ses 1000 Md€ , dont 250 pour l’ensemble des pays européens de l’Alliance ! Mais là n’est pas votre souci car ce
qui est visé désormais à travers ce nouveau concept OTAN 2030, est un projet beaucoup plus vaste : à savoir impliquer l’Alliance atlantique
dans la lutte pour l’hégémonie mondiale qui s’annonce entre la Chine et les États-Unis.
La vraie menace, elle réelle, est celle du terrorisme. L’étude y consacre bien un développement, mais sans jamais se départir du mot
« terrorisme », ni en caractériser les sources, les ressorts, les fondements idéologiques et politiques.
Autrement dit, on n’aurait comme menace, en l’occurrence, qu’un mode d’action, puisque telle est la nature du « terrorisme ». On élude donc une réalité
dérangeante, celle de l’islamisme radical et de son messianisme qui n’a rien à envier à celui du communisme d’antan. Le problème
est que ce même messianisme est alimenté par l’immense chaos généré par les initiatives américaines post Guerre Froide , et qu’il est même porté au plan idéologique tant par la
Turquie de Erdogan, membre de l’Otan, que par l’Arabie Saoudite, allié indéfectible des États-Unis.
Comme on pouvait s’y attendre, il apparaît dès les premières lignes que ce document n’augure rien de bon pour l’indépendance stratégique de l’Europe,
son but étant clairement de reprendre en mains les alliés européens qui auraient seulement pu imaginer avoir une once d’un début d’éveil à une autonomie
européenne.
Ce n’est pas tout, car non seulement vous projetez de transformer l’OTAN, initialement alliance défensive bâtie pour protéger l’Europe face à un ennemi
qui n’existe plus, en une alliance offensive contre un ennemi qui n’existe pas pour l’Europe, (même si nous ne sommes pas dupes des ambitions territoriales de la Chine, de l’impact de
sa puissance économique et du caractère totalitaire de son régime) , mais ce rapport va plus loin, carrément vers une organisation à vocation politique mondiale, ayant barre sur toute
autre organisation internationale.
Ainsi, selon ce rapport :
L’OTAN devrait instaurer une pratique de concertation entre Alliés avant les réunions d’autres organisations internationales (ONU, G20, etc..) , ce
qui signifie en clair « venir prendre les instructions la veille » pour les imposer le lendemain massivement en
plénière !
L’OTAN doit avoir une forte dimension politique, qui soit à la mesure de son adaptation militaire. L’Organisation devrait envisager de renforcer les
pouvoirs délégués au secrétaire général, pour que celui-ci puisse prendre des décisions concrètes concernant le personnel et certaines questions budgétaires.
L’OTAN devrait créer, au sein des structures existantes de l’Alliance, un mécanisme plus structuré pour la formation de coalitions. L’objectif serait que les Alliés puissent placer de nouvelles opérations sous la bannière OTAN même si tous ne souhaitaient pas participer à une éventuelle
mission.
L’OTAN devrait réfléchir à l’opportunité de faire en sorte que le blocage d’un dossier par un unique pays ne soit possible qu’au niveau
ministériel.
L’OTAN devrait approfondir les consultations et la coopération avec les partenaires de l’Indo-Pacifique : l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la République de Corée,
L’OTAN devrait commencer de réfléchir en interne, à la possibilité d’établir un partenariat avec l’Inde.
Monsieur le Secrétaire général,
C’est parce que cette organisation lorsqu’elle a perdu son ennemi, n’a eu de cesse que de se lancer à corps perdu dans la justification politique de la
préservation de son outil militaire, en se reforgeant son nouvel ennemi russe, qu’elle tend aujourd’hui à devenir un danger pour l’Europe.
Car, non contente d’avoir fait manquer à l’Europe l’occasion d’une véritable paix durable souhaitée par tous, y compris par la Russie, l’OTAN animée du
seul souci de sa survie, et de sa justification par son extension, n’a fait que provoquer un vaste réarmement de part et d’autre des frontières de la Russie , de la Baltique à la Mer
Noire, mettant en danger la paix dans cette Europe, qu’elle ne considère plus désormais que comme son futur champ de
bataille,
Et maintenant, à travers ce document OTAN 2030, et contre la logique la plus élémentaire qui veut que ce soit la mission qui justifie l’outil et non
l’inverse – les Romains ne disaient-ils pas déjà « Cedant arma togae » [Que les armes cèdent à la toge] ? – vous voudriez,
pour l’avenir, justifier l’outil militaire de cette alliance en le transformant en un instrument politique, incontournable, de gestion de vastes coalitions internationales, au profit
d’une véritable gouvernance planétaire, allant même jusqu’à passer outre les décisions de l’ONU et écrasant les souverainetés nationales !
Alors non, Monsieur le Secrétaire général ! Il faut stopper ce train fou, avant qu’il ne soit trop tard ! La France, quant à elle,
dans le droit fil des principes énoncés voici plus d’un demi-siècle par le général de Gaulle, ne saurait, sans faillir gravement, se prêter à cette entreprise d’une acceptation
aventureuse de la tutelle américaine sur l’Europe.
Pour le Cercle de Réflexion Interarmées4,
le Général de Brigade aérienne (2S) Grégoire Diamantidis
Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, structure militaire de l’Alliance Atlantique
Traité de Moscou : ou « traité deux plus quatre », signé le 12 septembre 1990 à Moscou, entre les représentants des deux Allemagnes et ceux des quatre puissances alliées de la
Seconde Guerre Mondiale, est le « traité portant règlement définitif concernant l’Allemagne » qui a ouvert la voie à la réunification allemande et fixé le statut international de
l’Allemagne unie.
Opération « Force Alliée ». Cette opération, décidée par l’OTAN, après l’échec des négociations entre les indépendantistes kosovars et la Serbie sous l’égide de
l’OSCE (Conférence de Rambouillet 6 février-19 mars 1999) , fut déclenchée sans mandat de l’ONU, le 24 mars sur la base d’une vaste campagne dans les médias occidentaux, concernant un
plan d’épuration ethnique (plan Potkova )
mené à grande échelle au Kosovo par la Serbie. Plan qui se révéla par la suite, avoir été fabriqué de toute pièce par les services secrets bulgares et allemands .
Le Cercle de Réflexion Interarmées (CRI), est un organisme indépendant des instances gouvernementales et de la hiérarchie militaire. Il regroupe des officiers généraux et
supérieurs des trois armées ayant quitté le service et quelques civils et a pour objectif de mobiliser les énergies, afin de mieux se faire entendre des décideurs politiques, de
l’opinion publique et contribuer ainsi à replacer l’Armée au cœur de la Nation dont elle est l’émanation.
La construction de « l’ennemi russe » par l’OTAN se fatigue
Il y a peu, l’OTAN a sorti sa stratégie 2030, qui ressemble à s’y méprendre aux autres, la Russie est toujours l’ennemi premier et direct, la Chine un
danger potentiel. Bref, l’OTAN s’affirme sans complexe, comme bras armé des intérêts globalistes. La Russie souligne la détérioration de la coopération militaire, réduite à néant par les
efforts constants de l’OTAN, qui en toute logique, n’a pas besoin d’une coopération avec « l’ennemi », mais d’une reddition, ce que la Russie n’envisage pas. Bref, l’OTAN est en
pleine stagnation, sans ennemi elle n’a aucun sens et le fameux danger russe a de plus en plus de mal à convaincre, à tel point qu’un groupe d’officiers français a envoyé une lettre au
secrétaire général de l’OTAN, dénonçant l’instrumentalisation de la soit-disant « menace russe » pour soumettre les Européens aux intérêts américains, rappelant que c’est bien
l’OTAN qui dès les années 90 se déplace vers les frontières russes et qui a refusé toutes les propositions d’un pacte de sécurité européen faites par la Russie. Lentement, mais sûrement,
le voile de l’illusion se déchire … sur un souverain otanesque dénudé.
Le Ministère russe
des Affaires étrangères, suite aux nouvelles (mais rituelles) déclarations de l’OTAN faisant de la Russie une menace pour l’Europe, qui est censée toujours attendre l’invasion et les
missiles et donc, logiquement, accueille, cette fois réellement, de plus en plus de missions militaires américaines, a dénoncé la volonté persistante de l’OTAN de déconstruire tous les
mécanismes de coopération militaire, réduisant à néant le format Russie-OTAN.
Ce manque de volonté s’accompagne d’une extension permanente
vers les frontières russes depuis la chute de l’URSS, avec la démultiplication des entraînements, le déploiement des systèmes anti-missiles ABM américains – tournés vers la Russie, des
bases militaires américaines, etc. Le directeur du Renseignement extérieur russe a même déclaré qu’ils avaient reçu l’information, il y a un an de cela, selon laquelle les services de
renseignement des pays de l’OTAN s’étaient réunis sur le sol d’un pays européen (qui n’est pas l’Allemagne) pour discuter de la manière de relancer et soutenir les mouvements d’opposition
en Russie, allant même jusqu’à envisager le recours aux victimes sacrificielles.
Ainsi, dans la démarche de l’OTAN, la Russie est réellement devenue l’ennemi, non pas l’ennemi rhétorique, mais l’ennemi à combattre, existentiel. Cette
attitude modifie radicalement le système de sécurité en Europe, qui se transforme en zone de conflit potentiel pour servir les intérêts globalistes – contre la Russie.
Mais cela est-il réellement de l’intérêt européen ? L’on peut sérieusement en douter. Et une lettre, fort peu médiatisée, de hauts gradés de l’armée
française a été envoyée à Stoltenberg, qui finalement fait comprendre que le Roi est nu, l’armée nationale n’est pas là pour défendre les intérêts d’une autre puissance au prix de la
sécurité de la population, au prix de la souveraineté du pays. Cette lettre, à lire absolument, a été intégralement publiée par Capital (disponible
iciet ci-dessus).
En voici certains extraits :
« (…) D’entrée, il apparaît que toute l’orientation de l’OTAN repose sur le paradigme d’une double menace, l’une russe, présentée comme à l’œuvre
aujourd’hui, l’autre chinoise, potentielle et à venir. Deux lignes de force majeures se dégagent de cette étude.
La première, c’est l’embrigadement des Européens contre une entreprise de domination planétaire de la Chine, en échange de la protection américaine de
l’Europe contre la menace russe qui pèserait sur elle.
La deuxième, c’est le contournement de la règle du consensus, de plusieurs manières : opérations en coalitions de volontaires ; mise en œuvre des décisions
ne requérant plus de consensus ; et surtout la délégation d’autorité au SACEUR (Commandant suprême des Forces alliées en Europe, officier général américain) au motif de l’efficacité et de
l’accélération de la prise de décision.
Mais la lecture de
ce projet « OTAN 2030 » fait clairement ressortir un monument de paisible mauvaise foi, de tranquille désinformation et d’instrumentalisation de cette « menace Russe », « menace
» patiemment créée puis entretenue, de façon à « mettre au pas » les alliés européens derrière les États-Unis (…). il est important de faire le point sur les causes et la réalité de cette
menace russe (…).
C’est bien l’OTAN qui, dès les années 1990, s’est lancée à marche forcée dans son élargissement vers l’est, certes à la demande des pays concernés, mais
malgré les assurances données à la Russie en 1991 lors de la signature du traité de Moscou, et qui d’année en année a rapproché ses armées des frontières de la Russie, profitant de la
décomposition de l’ex-URSS.
C’est bien l’OTAN qui en 2008, forte de sa dynamique « conquête de l’Est », refusa la main tendue par la Russie pour un nouveau « Pacte de sécurité européen
» qui visait à régler les conflits non résolus à l’Est de l’Europe (Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du Sud), en échange d’une certaine neutralité de la Géorgie, de l’Ukraine, de la
Moldavie – c’est à dire de l’immédiat « hinterland » russe – vis-à-vis de l’OTAN.
Et c’est toujours avec ce même esprit conquérant, perçu comme un réel étranglement par la Russie, qu’il a été choisi, en 2010, d’encourager les graves
troubles de « l’Euromaïdan », véritable coup d’État qui a abouti à l’élimination du président ukrainien légalement élu, jugé trop pro-russe, en vue de continuer la politique de
rapprochement de l’Ukraine avec l’OTAN. (…)
Alors oui, Monsieur le secrétaire général, au terme de ces vingt années d’efforts soutenus de la part de l’OTAN pour recréer «
l’ennemi russe », indispensable à la survie d’une organisation théoriquement purement défensive, oui, la Russie a fini par se raidir, et par chercher à l’Est la coopération que
l’Ouest lui refusait. (…)
(…) ce qui est visé désormais à travers ce nouveau concept OTAN 2030, est un projet beaucoup plus vaste : à savoir impliquer
l’Alliance atlantique dans la lutte pour l’hégémonie mondiale qui s’annonce entre la Chine et les États-Unis. (…) C’est parce que cette organisation lorsqu’elle a perdu son
ennemi, n’a eu de cesse que de se lancer à corps perdu dans la justification politique de la préservation de son outil militaire, en se reforgeant son nouvel ennemi russe, qu’elle tend
aujourd’hui à devenir un danger pour l’Europe.
Alors non, Monsieur le secrétaire général ! Il faut stopper ce train fou, avant qu’il ne soit trop tard ! La France, quant à elle, dans le droit fil des
principes énoncés voici plus d’un demi-siècle par le général de Gaulle, ne saurait, sans faillir gravement, se prêter à cette entreprise d’une acceptation aventureuse de la tutelle
américaine sur l’Europe ».
L’OTAN se retrouve dans la même impasse que les États-Unis de Biden : ils n’ont pas besoin d’une coopération avec leurs alliés, car ils n’ont pas
d’alliés, mais des États satellites qu’ils dominent et qui n’ont qu’un seul droit – celui d’obéir ; ils n’ont pas besoin d’une coopération avec leurs ennemis,
mais d’une reddition, sans prendre le risque d’un conflit réel, pour lequel ils ne sont (heureusement) pas prêts.
Finalement, ils ne sont forts que parce qu’ils sont obéis. La Russie leur est nécessaire dans la position de l’ennemi, cet ennemi qui permet de tenir une unité de circonstance,
faute d’un partage réel des intérêts entre les membres d’un même clan. Et certaines voix commencent à s’élever en se demandant quel est le fondement
d’une telle obéissance aveugle …
La description de Poutine comme un tueur par Biden a-t-elle finalement dissipé les espoirs de bonnes relations du Kremlin ?
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a répondu à l’inacceptable remarque faite par Joe Biden qualifiant le président russe de tueur, en déclarant que
Biden avait clairement indiqué « qu’il ne veut pas normaliser les relations ». Au Kremlin, l’espoir est-il éternel ? Il est évident pour moi, depuis de nombreuses années, que
Washington ne veut pas de relations normales avec la Russie ou tout autre pays. Washington veut une relation hégémonique avec Washington en tant qu’hégémon et la Russie en tant que
marionnette obéissante comme la Russie l’était pendant la décennie Eltsine.
Il suffit de considérer les quatre dernières années de la présidence de Trump. Trump a déclaré son intention de normaliser les relations avec la Russie et
pour cette raison, sa présidence a été sabotée par l’Establishment américain.
Il n’y a aucune possibilité que la Russie ait des relations normales avec les États-Unis et leur empire. La destruction de la présidence de Trump et le vol
de sa réélection sont la preuve que l’Establishment américain ne tolérera pas un président qui a l’intention d’avoir une relation diplomatique normale avec une Russie souveraine. Cette
seule intention a suffi pour faire tomber la présidence de Trump. Trump a immédiatement été confronté à trois années de « Russiagate » orchestré, suivies de deux tentatives de
destitution de Trump pour de faux motifs, et sa réélection a été volée. La justice américaine a même refusé d’examiner les preuves accablantes de l’élection volée. Le Kremlim a-t-il
vraiment cru que Biden allait répéter l’autodestruction de Trump et se faire ami avec la Russie ?
Malgré toute la clarté de l’accusation de Biden, soutenue par la porte-parole de la Maison Blanche Jen Psaki selon laquelle « les Russes seront tenus
responsables », la porte-parole du Ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova a réaffirmé l’intérêt de la Russie à « empêcher la dégradation irréversible » des
liens bilatéraux russes avec les États-Unis.
Incroyable. Il semble que le Kremlin soit incapable de reconnaître la réalité. En 2016, Hillary Clinton, qui était pressentie pour être la prochaine
présidente des États-Unis, a qualifié Poutine de « nouvel Hitler ». En quoi cela diffère-t-il de Biden qui qualifie Poutine de tueur ? La politique occidentale officielle
consiste à diaboliser Poutine et la Russie. La diabolisation de Poutine et de la Russie est en cours depuis des années.
L’indulgence de Poutine est remarquable. Il traite ces insultes calculées comme si elles étaient de l’eau sur le dos d’un canard. Mais la réponse de Poutine
ne sert ni la paix ni les intérêts de la Russie.
Cher président
Poutine, permettez-moi de vous expliquer la menace à laquelle vous et le monde entier êtes confrontés. Washington et l’establishment de la politique étrangère américaine vous
détestent. Ils vous détestent parce que vous avez rétabli la souveraineté de la Russie et, de ce fait, mis un pays puissant en travers du chemin de l’hégémonie américaine. Rappelez-vous
la doctrine Wolfowitz (1992) :
« Notre premier objectif est d’empêcher la réémergence d’un nouveau rival, que ce soit sur le territoire de l’ancienne Union soviétique ou ailleurs,
qui puisse représenter une menace de cet ordre que menaçait déjà autrefois l’Union soviétique. C’est une considération primordiale qui sous-tend la nouvelle stratégie de défense régionale
et qui exige que nous nous efforcions d’empêcher toute puissance hostile de prendre de l’ascendant sur une région dont le contrôle consolidé des ressources serait suffisant pour générer
une puissance mondiale. »
C’est vous, président Poutine, et vous seul, qui êtes responsable de cette « réémergence d’un nouveau rival… suffisant pour générer une puissance
mondiale ». Par conséquent, vous êtes un obstacle impardonnable pour l’hégémonie américaine, et « notre premier objectif » est de supprimer l’obstacle que vous représentez
à l’hégémonie américaine.
Cette politique néoconservatrice reste en place. Aucune alternative ne s’est présentée. Récemment, deux analystes russes du Conseil atlantique hégémonique
ont suggéré que Washington adopte une approche moins hostile envers la Russie. Ils ont été immédiatement dénoncés par les 22 autres membres des experts en politique étrangère du conseil.
Voir : paulcraigroberts.org/2021/03/17/washington-has-resurrected-the-specter-of-nuclear-armageddon
On ne saurait dire plus clairement que la Russie est dans le collimateur de Washington. Le Kremlin manque-t-il de personnes connaissant la langue anglaise
?
Celui qui conseille le Kremlin est un idiot. Chaque fois que le Kremlin répond aux insultes et aux fausses accusations de Washington, il donne à l’ensemble
des médias occidentaux – un ministère de la propagande comme il n’en a jamais existé sur terre et que l’on ne trouve que dans la science-fiction, comme dans « 1984 » de
George Orwell – l’occasion de répéter l’accusation : « Aujourd’hui, le porte-parole du Kremlin a nié que Poutine était un tueur ».
Si je peux donner un conseil, président Poutine, expliquez à Peskov et à Zakharov de ne pas répondre aux accusations et aux insultes. Ignorez-les. Ne dites
rien. Arrêtez d’essayer de faire appel à Washington et à ses marionnettes de l’OTAN. Le fait que la Russie pense que les faits sont plus importants est considéré par l’Occident comme un
signe de grande faiblesse. Les faits ne comptent pas en Occident. Le Russiagate l’a prouvé pour vous.
Faites vos affaires là où vous êtes bien accueilli et considéré comme un protecteur potentiel contre Washington, comme l’Iran. Formez un pacte de défense
mutuelle explicite avec la Chine. Même la folie criminelle de Washington ne s’attaquera pas à la Russie et à la Chine. Ajoutez l’Iran et les Talibans. La meilleure façon d’empêcher le
terrorisme islamique d’entrer dans la Fédération de Russie est de se lier d’amitié avec eux et de les retourner contre Washington. Battez Washington à son propre jeu. Et par tous les
moyens, empêchez Israël et Washington d’attaquer le territoire syrien. Tant que vous ne montrerez pas la puissance de la Russie, vous ne serez pas pris au sérieux. Plus longtemps vous ne
serez pas pris au sérieux, plus la probabilité que les menaces contre la Russie augmentent jusqu’à l’arrivée de la guerre nucléaire sera grande. De toute évidence, la Russie n’est pas
prise au sérieux, les dirigeants démocrates américains décrivant le président de la Russie comme le « nouvel Hitler » et « un tueur ». Aucun président américain n’a
osé parler d’un dirigeant soviétique en ces termes.
Je donne ce conseil non pas parce que je suis pro-Russie et anti-Amérique, mais parce que j’ai travaillé avec le président Reagan pour atteindre l’objectif
de mettre fin à la Guerre froide et à sa menace d’Armageddon nucléaire. Les gens peuvent parler tant qu’ils veulent du changement climatique et du Covid, mais la guerre nucléaire est une
possibilité de la fin des temps.
L’intention néoconservatrice américaine d’acquérir l’hégémonie mondiale entraînera une guerre nucléaire à moins que vous ne tourniez le dos à l’Occident
décadent, corrompu et moribond et que vous ne protégiez avec une force décisive les intérêts de la Russie et de ses amis. Washington vous refuse des amis en Europe. Trouvez-les ailleurs.
La paix du monde est en jeu.
Nous avons déjà eu l’occasion de parler de l’OTAN, organisation qui aurait dû logiquement être dissoute en même temps que le pacte de Varsovie, puisqu’elle avait été créée à seule fin de résister
à l’Union soviétique, aujourd’hui disparue.
Mais il n’en a rien été, puisqu’elle s’est muée en une vaste organisation de « défense globale » qui intervient désormais dans le monde entier. Quelles sont, aujourd’hui, ses priorités
?
Tout
le monde le sait, ses ennemis désignés sont aujourd’hui la Fédération de Russie en premier lieu, la
Chineen
second. Le fait nouveau est qu’avec l’élection de Joseph (« Joe ») Robinette Biden, le parti de la guerre est de retour. Les États-Unis ont déjà recommencé à bombarder la Syrie,
Poutine se fait traiter de « tueur » par Bidenet de
nouvelles sanctions viennent d’être adoptées contre la Chine. Parallèlement, une vaste offensive de
propagandeest
en cours pour
« cimenter la centralité du lien transatlantique », c’est-à-dire pour faire croire aux Européens que les ennemis des Américains sont nécessairement les leurs. On en revient au chantage à la
protection de l’époque de la guerre froide : les Européens sont sommés de s’aligner sur les positions de Washington en échange de la protection américaine, et donc de faire allégeance au
commandant suprême des forces alliées en Europe qui est, comme toujours, un général américain. En clair : protectorat contre vassalisation.
C’est aussi ce que dit la tribune publiée tout récemment dans le mensuel Capital, qui a été signée par plusieurs hauts gradés militaires. Le moins qu’on puisse dire est que ses signataires ne
mâchent pas leurs mots, puisqu’ils disent que la souveraineté de la France est directement menacée par les projets de l’OTAN…
La
lettre ouverte adressée à Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’OTAN, par les membres du Cercle de réflexion interarmées est en effet un véritable réquisitoire contre le projet « OTAN 2030 »,
qui définit les missions de l’Organisation pour les dix prochaines années. Ce projet est qualifié de
« monument de paisible mauvaise foi », ce qui a le mérite d’être clair. Mais il faut aller plus loin si l’on veut comprendre ce qui est en jeu.
Le
fait important est que la doctrine de l’OTAN n’a cessé d’évoluer, ces dernières années, vers l’intégration du combat nucléaire à toutes les étapes de la bataille. En 2008, l’OTAN avait déjà
refusé de signer le Pacte européen de sécurité proposé par Moscou. En 2010, au sommet de Lisbonne, la défense anti-missiles balistiques américaine mise en place en Europe avait pris un caractère
clairement dirigé contre « l’ennemi russe ». À partir de 2015, les premiers missiles antimissiles américains en packs de 24 lanceurs
Mk 41, implantés tout autour de la Russie, n’ont plus été conçus comme permettant seulement des tirs défensifs, mais aussi des tirs offensifs. En 2019, les États-Unis ont déchiré le traité
sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) qui avait été signé en 1987 par Gorbatchev et Reagan. Tout récemment encore, un groupe de dix experts nommé par Stoltenberg s’est prononcé,
dans son livre
OTAN 2030: United for a New Era, pour le déploiement en Europe de nouveaux missiles nucléaires à moyenne portée équipés de bombes nucléaires
B61-12. On en revient, ainsi, au concept de
« bataille nucléaire de l’avant ». Cela signifie que le concept de frappe nucléaire tactique de
théâtreest à
nouveau scénarisé et que l’OTAN considère désormais l’Europe comme son futur champ de bataille, les États-Unis restant bien entendu seuls maîtres de l’engrenage vers l’option
nucléaire.
En déclarant, il y a deux ans, que l’OTAN était
« en état de mort cérébrale »,
Emmanuel Macron
avait fait sensation, cette déclaration ayant été interprétée comme un appel lancé aux Européens pour qu’ils se dotent d’une défense commune qui leur soit propre. Apparemment, ça n’a pas été le
cas.
Dans
l’entretien auquel vous faites allusion, Macron disait aussi que
« si nous acceptons que d’autres grandes puissances, y compris alliées, y compris amies, se mettent en situation de décider pour nous, notre diplomatie, notre sécurité, alors nous ne sommes plus
souverains ». Le chef de l’État parlait d’or. Mais hélas ! il s’est contenté de jouer du pipeau, puisque le sursaut attendu n’a pas eu lieu. Quand, en 2009, Nicolas Sarkozy avait décidé de
réintégrer la structure militaire de l’OTAN, il avait également claironné qu’il levait ainsi un obstacle à la mise en place d’une Défense européenne. C’était tout aussi illusoire. Ou tout aussi
mensonger.
Plus
significatif encore : après les déclarations de Donald
Trumplaissant
planer le spectre d’un désengagement de Washington, on aurait pu penser que les Européens se seraient souciés plus sérieusement de pourvoir par eux-mêmes à leur sécurité. C’est le contraire qui
s’est passé. Tous les gouvernements européens ont, au contraire, rivalisé en gestes d’allégeance dans l’espoir d’infléchir la position des États-Unis. Tous ont fait assaut de surenchère
atlantiste sur des sujets comme la désignation de la Chine et de la Russie comme nouveaux ennemis communs, l’inclusion de l’espace parmi les théâtres d’opérations de l’OTAN ou l’accès des
États-Unis aux programmes d’armement européens. La France elle-même s’est finalement alignée sur les positions américaines et ne fait plus entendre une voix originale sur aucun sujet. Si tel
n’était pas le cas, elle commencerait par se désolidariser des sanctions contre la Russie et rétablirait ses relations diplomatiques avec la Syrie !
Une
Défense européenne n’est pas près de voir le jour pour la simple raison que la majorité des États européens, à commencer par l’Allemagne, n’en veulent pas, non seulement parce qu’ils trouvent que
cela coûte trop cher et qu’ils s’imaginent que les bons sentiments suffisent à régler les rapports de force, mais aussi parce qu’ils savent très bien qu’il est impossible de défendre l’Europe
sans prendre la place de l’OTAN, dont c’est la chasse gardée. Comme le dit le général Vincent Desportes,
« plus le parapluie américain est une chimère, plus les Européens s’y accrochent ». Alors que les États-Unis disposent d’un budget militaire de près 750 milliards de dollars (contre moins de
70 milliards pour la Russie), les budgets militaires de la plupart des pays européens sont indigents, ces mêmes pays préférant de surcroît acquérir des avions de guerre et des systèmes
balistiques américains plutôt qu’européens pour complaire au complexe militaro-industriel américain.
Macron
a eu grand tort de parler de «
mortcérébrale
» à propos de l’OTAN. L’OTAN n’est nullement en état de mort cérébrale. C’est l’Europe qui l’est, puisqu’elle refuse de se doter des moyens de la puissance.
Le général Vincent Desportesle
dit également sans ambages :
« L’OTAN est une menace pour l’Europe », avant d’ajouter que
« l’avenir de l’Europe est eurasiatique, pas euro-atlantique ». Une évidence que personne ne veut apparemment reconnaître. Le réveil sera terrible.
“Il faut se libérer de l’emprise américaine et se rapprocher de Moscou”, clament des hauts gradés de l’armée
...par le CRI - Le 30/04/2021.
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Defender 2020, le prochain exercice militaire de l’OTAN, soulève un débat majeur. Quand bien même on craindrait les « cyber-intrusions » russes ; même si, pris de
court par le retour populaire de la Crimée dans le giron russe, les Européens gouvernés par l’Amérique furent tétanisés par l’habileté de Poutine, il n’en reste pas moins qu’organiser des
manœuvres de l’OTAN, au 21ème siècle, sous le nez de Moscou, plus de 30 ans après la chute de l’URSS, comme si le Pacte de Varsovie existait encore, est une erreur politique, confinant à la
provocation irresponsable. Y participer révèle un suivisme aveugle, signifiant une préoccupante perte de notre indépendance stratégique. Est-il possible que la France s’en dispense ?
Le surgissement d’un fléau planétaire qui confine près de 4 milliards de Terriens, éclairant d’une lumière crue les grandes fragilités de l’humanité, pourrait
contribuer à nous débarrasser des vieux réflexes de guerre froide. Faisant soudain peser une menace existentielle, ce fléau transfrontalier hiérarchise les priorités stratégiques, dévoile la
futilité des anciennes routines et rappelle le poids de notre appartenance à l’ensemble eurasiatique, dont la Russie est le pivot ancestral
Certains peuvent redouter de choquer nos partenaires de l’Est européen encore accablés par les souvenirs du rideau de fer. Ils oublient cependant qu’en 1966,
il y a plus d’un demi-siècle, Charles de Gaulle dont tout le monde se réclame, mais que personne n’ose plus imiter – sauf en posture - , avait purement et simplement signifié à l’allié américain
à qui l’Europe et la France devaient pourtant leur survie, qu’il n’était plus le bienvenu à Fontainebleau. C’est que le « Connétable », ayant chevillé à l’âme l’indépendance du pays, n’avait pas
oublié qu’en 1944 Roosevelt avait l’intention de mettre la France sous tutelle administrative américaine.
Pourtant, nombre de militaires d’abord, au prétexte que l’OTAN était une norme opérationnelle et technologique, pourvoyeur à l’occasion d’un appui logistique
essentiel, n’ont cessé de militer pour contourner l’affirmation d’indépendance gaullienne, sans cesser de s’en réclamer.
Ensuite, du côté des politiques dès avril 1991, dans l’opposition, appuyant Philippe Seguin contre Charles Pasqua et Jacques Chirac, François Fillon également
opposé au traité de Maastricht, avait tenté la quadrature du cercle dans une tribune du Monde. Il y soutenait que l’Europe de la défense était une « chimère », tout en proposant de « placer ses
alliés au pied du mur en proposant une véritable européanisation de l'alliance atlantique, en concurrence avec l'actuel projet de simple replâtrage de l'OTAN sous leadership stratégique
américain. » Son but était également de préparer le retour de la France dans le commandement d’une OTAN repensée, à l’aune, disait-il de « l’esprit de 1949 » avec une « européanisation de tous
les commandements » et « coopération et interopérabilité des forces plutôt que leur intégration ».
Nicolas Sarkozy décide de "rentrer dans le rang"
Dès son entrée à l’Élysée en 1995, Jacques Chirac, pourtant le premier héritier de l‘exigence d’indépendance sous le grand pavois de Charles de Gaulle, entamait les
négociations pour le retour de la France dans le Commandement intégré de l’Alliance. En échange - mais sans réel moyen de pression - il réclamait, l’attribution à Paris du poste de Commandement
du flanc sud de l’Alliance à Naples, tout de même port d’attache de la 6ème flotte de l’US Navy. Un article de Libération dont la lecture est
édifiante détaillait le 27 février 1997, sous la plume de Jacques Amalric, ancien correspondant du Monde à Washington et à Moscou, les dessous de ces marchandages. Chacun jugera à quel point les
contorsions sémantiques contrastaient avec l’inflexible fermeté gaullienne, 30 ans plus tôt.
Au passage, il est juste de rappeler que c’est la gauche française qui, apparemment à contre-emploi, s’est opposée au sabordage de l’héritage gaullien. En 1997,
Lionel Jospin, devenu premier ministre, affronta directement Jacques Chirac sur cette question.
Mais celui qui a décidé de « rentrer dans le rang » de la structure militaire intégrée c’est bien Nicolas Sarkozy, venu en août 2007 aux États-Unis rencontrer
Georges Bush. Le résultat fut l’annonce faite par le Président Français devant le Congrès des États-Unis, le 7 novembre 2007, 41 ans après l’affirmation d’indépendance de Charles de Gaulle.
L’affaire fut entérinée par le parlement français saisi par une motion de censure, rejetée en 2009. Pour le prix de son retour, Paris reçut la compensation du Commandement non directement
opérationnel dit « Allied Command Transformation » (A.C.T) basé à Norfolk dont la mission est une réflexion technologique, structurelle, tactique et stratégique en même temps qu’une action
pédagogique vers les pays membres, visant à la fois à la prise de conscience et à l’harmonisation.
Sans en nier l’importance, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit d’une consolation :
1) Fournir le cadre conceptuel pour la conduite de futures opérations conjointes combinées
2) Définir le concept et les moyens capacitaires des opérations futures de l’Alliance ;
3) Évaluer la pertinence des concepts opérationnels émergents – notamment dans le domaine des hautes technologies - et les traduire en une doctrine d’emploi validée
par la recherche scientifique à la fois fondamentale et expérimentale ;
4) Persuader les nations membres, individuellement et collectivement, d'acquérir les capacités indispensables et de fournir la formation initiale nécessaire à la
mise en œuvre des nouveaux concepts validés, qu’ils soient endogènes à l’OTAN ou générés hors Alliance.
Le processus est un renoncement
Nous en sommes là. 54 ans après la brutalité du panache stratégique gaullien, le processus est un renoncement. Aujourd’hui, alors que le pouvoir a abandonné à
Bruxelles et à la Banque Centrale Européenne une partie de sa marge de manœuvre régalienne, en échange de la construction d’une Europe dont la voix peine à se faire entendre, quand on écoute les
affirmations d’indépendance de la France, on est saisi par l’impression d’une paranoïa. La contradiction diffuse le sentiment d’un « théâtre politique » factice, probablement à la racine d’une
désaffection électorale, dont l’ampleur est un défi pour notre démocratie.
Enfin, pour un pays européen déjà sévèrement frappé par d’autres menaces, dans une Union menaçant de se déliter, alors que le voisin grec est confronté à un défi
migratoire lancé par le Grand Turc membre de l’Alliance, mais cependant engagé dans une stratégie de retour de puissance par le truchement d’une affirmation médiévale religieuse clairement
hostile, aller gesticuler militairement aux ordres de Washington aux frontières de la Russie qui n’est depuis longtemps plus une menace militaire directe, traduit pour le moins une catalepsie
intellectuelle, confinant à la perte de l’instinct de survie.
Il faut rechercher les racines de ce naufrage dans notre passé récent. S’étant abîmée à deux reprises au 20ème siècle dans le nihilisme suicidaire, la 2ème fois
dans une abjection morale impossible à justifier, l’Europe a, en dépit des vastes apports de ses « lumières », perdu les ressorts moraux de l’estime de soi, condition première d’une affirmation
de puissance.
Plus encore, le sillage mental de cet héritage insupportable véhicule toujours un parasitage du jeu démocratique. Interdisant à la pensée conservatrice de
s’exprimer, la mémoire du génocide raciste plombe toutes les politiques de contrôle des flux migratoires et de répression des incivilités, y compris celles menaçant clairement l’intégrité du
territoire.
Cette dépression morale de la Vieille Europe a conduit à son effondrement stratégique, laissant libre cours à l’empiétement américain. De ce point de vue, il n’est
pas étonnant que l’Allemagne se soit aussi longtemps affirmée comme le premier point d’appui stratégique de l’Amérique en Europe.
Ajoutons que les accusations qui, dans ce contexte, où les menaces ont radicalement évolué, soupçonnent l’Amérique de perpétuer une mentalité de guerre froide hors
du temps, ne manquent pas de pertinence. Le blocage politique antirusse de toutes les élites américaines confondues s’articule à l’obsession stratégique de perpétuer la raison d’être de l’OTAN,
un des principaux adjuvants de la prévalence américaine après 1949.
Notons cependant que, sévèrement critiqué par sa propre bien-pensance, Trump qui harcèle verbalement l’Europe en même temps que la plupart de ses alliés, est, au
contraire de son administration et du complexe militaro-industriel, favorable à un rapprochement avec la Russie.
Conclusion
Dans ce contexte dont il faut bien reconnaître que la trajectoire générale est à rebours de la décision de rupture gaullienne de 1966, que faire pour nous libérer
de l’emprise américaine et initier un rapprochement avec Moscou ? Tirant le bilan des avantages / inconvénients de notre retour dans le commandement intégré avec cependant des responsabilités
opérationnelles réduites, devrions-nous, balayant tous les inconvénients, tourner le dos à Washington désormais considéré par beaucoup comme un hostile ?
Le Dao chinois affirme que « la réalité se construit du battement des contraires ». Illustrant le mouvement cosmologique et la succession cyclique des saisons, la
vision porte également sur les interactions entre les situations, les hommes et leurs organisations. Elle spécule que tout changement est le résultat d’une contrainte adverse, sans être
nécessairement un affrontement hostile.
Dans le cas qui nous occupe, il est illusoire de croire que, sans une pression significative, les États-Unis modifieraient à la fois leur attitude de suzerain à
l’égard des membres de l’alliance et leur hostilité anachronique avec la Russie.
L’épidémie qui frappe le monde bouleverse les routines et les repères. Elle met à jour les dysfonctionnements et les incohérences. Propice aux introspections, elle
rappelle qu’à la chute de l’URSS, l’OTAN, saisie par un hubris de puissance a exercé de lourdes pressions sur les marches de la Russie, au-delà des frontières allemandes, mettant la sécurité de
l’Europe en danger. Du coup, la crise incite à revenir à l’essentiel du régalien : la sécurité de la France et l’indépendance de sa diplomatie dont on voit bien qu’elles ne peuvent être
abandonnées à d’autres.
Le moment est venu de tenter une pression sur Washington en engageant un dialogue stratégique avec Moscou. Si la France se dispensait de participer à certains
manœuvres de l’OTAN aux portes de la Russie, anticipant une menace militaire classique aujourd’hui évaporée, elle sonnerait le réveil de la raison, « coup de cymbale » adressé à Washington et
Moscou signifiant la fin des léthargies. Le but ne serait pas un renversement d’alliance, mais un rééquilibrage.
Au demeurant, l’initiative marquant le retour de notre indépendance n’a que trop tardé quand on songe que dans le document officiel « Joint Nuclear opérations»*
référencé JP-3-72 récemment analysé par la Fondation pour la Recherche
Stratégique le Pentagone planifie l’emploi d’armes nucléaires tactiques sur le théâtre européen dans les phases conventionnelles du combat aéroterrestre y compris celles impliquant les
forces spéciales. Ce concept est scénarisé et mis en œuvre dans le prochain exercice OTAN Defender 2020 dans lequel l’envahisseur de certains pays européens est clairement désigné.
Si l’exercice a lieu, il devrait permettre de valider sur le papier l’emploi éventuel de nouvelles armes nucléaires tactiques sous contrôle des États-Unis que le
traité INF de 1987 interdisait jusqu’en 2019. La France, en participant à cet exercice comme membre de la structure militaire intégrée de l’Otan cautionnerait cette nouvelle stratégie en
contradiction complète avec la doctrine française de dissuasion qui refuse toute bataille nucléaire.
Surtout elle apporterait, involontairement, sa caution à la réactivation de la guerre froide avec la mise au ban occidental de la Fédération de Russie présentée
comme l’agresseur potentiel principal des pays européens. Ce qui est, là également, en contradiction avec l’orientation actuelle de la diplomatie française qui vise un rapprochement avec la
Russie.
Pour éviter que l’initiative d’un désistement français soit perçue comme une provocation par les pays baltes et les PECO, il serait nécessaire de placer la manœuvre
diplomatique dans un contexte européen. Paris donnerait l’élan en coordination étroite avec l’Allemagne.
Dans cette démarche gardons-nous de deux écueils : le premier serait de tourner le dos à Washington, « Il s’agit de faire l’Europe sans rompre avec les Américains,
mais indépendamment d’eux », répétait Charles de Gaulle ; le deuxième serait la tentation fédéraliste, tant il est vrai que « l’arbitraire centralisation provoquera toujours, par chocs en retour,
la virulence des nationalités. (…) L'union de l'Europe ne saurait être la fusion des peuples (…) Mais elle peut et doit résulter de leur systématique rapprochement. » (Charles de Gaulle, Mémoires
d’espoir).
Pour le Cercle de Réflexions Interarmées.
Général (2S) François Torrès, Général (2S) Jean-Claude Rodriguez, Général (2S) Jean-Serge Schneider, Général (2S) Grégoire Diamantidis, Général (2S) Marc Allamand,
Général (2S) Jean-Pierre Soyard, Contre-Amiral (2S) François Jourdier, Général (2S) Jean-Claude Allard, Général (2S) Christian Renault, Capitaine de Vaisseau (ER) Alexis Beresnikoff, Monsieur
Marcel Edouard Jayr.
Deuxième partie à suivre : Du danger de la stratégie nucléaire US-OTAN pour l’Europe
*JP3-72 chap. 5 Nuclear Operations, paragraphe 3 Opérations in a Nuclear environnement : «L’emploi des armes nucléaires peut radicalement altérer ou
accélérer le déroulement d’une campagne. Une arme nucléaire pourrait être introduite dans le cours de la campagne du fait de la perception d’un échec d’une campagne militaire classique, d’une
possible perte de contrôle ou de régime [sic], ou pour procéder à l’escalade afin de proposer un règlement pacifique en des termes plus favorables. »
Avec le plan OTAN 2030, « les pays membres ne seront plus que des valets de la décision américaine »
Lors
de son premier sommet de l’OTAN, Joe Biden a souligné la préoccupation des États-Unis envers la Chine. Est-ce que les autres pays de l’alliance militaire le suivront ? Analyse du colonel
Alain Corvez, ex-conseiller aux Ministères français de la Défense et de l’Intérieur, au micro de Rachel Marsden.
Lorsque le président américain a rencontré ses alliés au sommet du G7, en Angleterre, son principal objectif paraissait être de susciter un semblant d’unité
contre les adversaires géopolitiques des États-Unis.
Dans les propos de Biden, la Chine a endossé le costume de croquemitaine, laissant penser que la Russie perdait petit à petit son rôle de grand méchant loup
mondial dans la rhétorique étasunienne. Biden a encore enfoncé le clou auprès de ses alliés lors d’un sommet de l’OTAN.
Peut-être faudrait-il jeter un œil dans le rétroviseur pour comprendre pourquoi nous en sommes là. La Chine ne serait pas aussi puissante aujourd’hui si ces
mêmes pays n’avaient pas passé des années à ignorer – ou même à encourager par leur inaction et leurs politiques erronées – la délocalisation des industries et des emplois occidentaux
vers l’empire du Milieu.
« Il faut prendre du
recul pour déceler les forces qui se mettent en place, estime le colonel Alain Corvez. Je crois que nous sommes à la fin d’un monde qui était dominé par l’Occident amené par les
États-Unis qui étaient – après l’effondrement de l’URSS – la puissance dominante et qui entendaient maintenir sa suprématie non pas seulement sur l’Occident mais pratiquement sur le monde
entier. Depuis la remontée en puissance de la Russie de Poutine, on a vu apparaître un pôle de plus en plus, pas hostile au pôle américain mais qui disait « j’existe ». On a
également vu la montée en puissance de la Chine ».
Lors du dernier sommet de l’OTAN, l’Alliance atlantique Nord a semblé commencer dévier
sa cible de la Russie vers la Chine. Pour l’ancien conseiller au gouvernement français, le plan OTAN 2030 envisagé « n’est ni plus ni
moins que la confirmation de la direction américaine » de cette structure militaire :
« Un des aspects de ce
plan OTAN 2030 est de supprimer le consensus dans les décisions de l’OTAN et c’est très grave car cela signifie que si des États membres de l’OTAN ne sont pas d’accord avec une
intervention décidée par le secrétaire général de l’organisation, c’est-à-dire les États-Unis d’Amérique, on passera outre, on rassemblera les pays d’accord et on interviendra. Les pays
membres ne seront plus que des valets de la décision américaine ».
Même si les armées de l’OTAN voulaient un jour réellement faire
la guerre à la Chine, à quoi cela ressemblerait-il ?
« Les Américains font
aujourd’hui un pivot vers l’Asie et pendant qu’il y avait ce sommet à Genève, les porte-avions et cuirassés américains étaient en train de naviguer au plus près de la Chine. Cela voulait
montrer que l’ennemi, c’est la Chine et on se prépare. Mais en même temps, ils savent qu’ils ne peuvent pas faire la guerre à la Chine à cause du fait nucléaire »,
analyse Alain Corvez.
Deuxième volet d’un entretien avec Grégoire Diamantidis. Général de brigade aérienne, ancien pilote de chasse, le Général Diamantidis a été chargé à partir
des années 1990 de missions internationales parmi les plus sensibles, traitant en particulier de l'ex-Yougoslavie et surtout, de l'Irak. Aujourd'hui en retraite, il s'engage très activement
au sein du Cercle de réflexion inter-armées (CRI) au nom duquel il nous parle aujourd'hui. Le Cercle est une entité indépendante de réflexion sur tous les problèmes liés à la Défense qui
“n’exprime pas la doctrine officielle et n’engage que lui” ; le Cercle est soutenu par la Saint-Cyrienne, l'Association de soutien à l’armée française (ASAF) et par l’Association Nationale
des Officiers de Carrière en Retraite (ANOCR), issus des Sentinelles de l’agora, un club d’officiers supérieurs et généraux en deuxième section. Au printemps 2021 le CRI s'est fait connaître
du public général avec un billet publié le 11 mars dans le journal Capital et qui éclata comme un coup de tonnerre. Signé par le Général Diamantidis, intitulé “Il faut stopper ce train fou
avant qu’il ne soit trop tard !”, republié en plusieurs langues, le billet prend la forme d'une lettre ouverte au secrétaire général de l'OTAN Gerhard Stoltenberg. Le général y explique
en termes intelligibles au profane le document "OTAN 2030", et le danger existentiel que représente actuellement pour l'Europe le changement de doctrine de l'OTAN.
Parmi les thèmes traités par le général Diamantidis dans ce deuxième volet : la nature, le nombre et l'emplacement des armes nucléaires
stratégiques, côté OTAN et côté russe ; rôle majeur dévolu à l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS) que vient de rejoindre l’Iran ; méconnaissance des intérêts de la
France si campée sur une posture hostile à la Russie ; témoignage personnel concernant feu David Kelly, ami du général et Inspecteur britannique en Iraq ; formation et
recrutement, état des forces armées françaises ; importance cruciale des DOM-TOM et de la zone maritime française ; affaire des sous-marins australiens et la troisième voie
: rupture d’avec une logique de deux blocs que doit chercher la France ; importance du nucléaire et en particulier des petites centrales nucléaires ; l’Europe étant coiffée par
l’OTAN, la souveraineté française est désormais pour elle une question de survie.
Erratum : le Général a déclaré ici par mégarde que l’Afghanistan venait de rejoindre l’Organisation de coopération de Shanghaï. Il voulait
évidemment dire l’Iran. L’Afghanistan est actuellement observateur auprès de l’OCS.
Auteur(s): FranceSoir
À quoi sert l’OTAN ? Plaidoyer pour un monde multilatéral apaisé
« Maintenant, on pourrait
presque enseigner aux enfants dans les écoles comment la planète va mourir, non pas comme une probabilité, mais comme l’histoire du futur. On leur dirait qu’on a découvert des feux, des brasiers,
des fusions, que l’homme avait allumés et qu’il était incapable d’arrêter. Que c’était comme ça, qu’il y avait des sortes d’incendies qu’on ne pouvait plus arrêter du tout. Le capitalisme a fait
son choix : plutôt ça que de perdre son règne » ~ Marguerite Duras, Le Matin, 4 juin
1986.
Résumé
Le monde bruisse de bruits de bottes, avec un scénario de poker menteur où les médias occidentaux, sans libre arbitre, sont assignés à vendre aux citoyens européens
et américains une version hémiplégique de la situation de l’Ukraine qui rappelle, à s’y méprendre, le battage médiatique à la veille de la guerre des Six Jours.
On se souvient que le « monde libre », travaillé au corps, présentait le David israélien contre le Goliath égyptien. Le résultat fut connu et dans leurs mémoires,
les responsables israéliens racontaient comment Israël n’a jamais été réellement inquiété. Pour trois raisons, Israël connaissait la stratégie des pays arabes pour les avoir espionnés au Maroc.
Israël n’avait rien à craindre du fait qu’elle avait les pays occidentaux à sa disposition avec, en prime, la sixième flotte. Israël était un pays nucléarisé.
Mutatis mutandis, ce qui se passe en Ukraine est pour le moment un non-évènement. Certes, on parle des 100 000 Russes aux frontières (ils ont été comptés ?) et au
passage, ils expliquent par réciprocité la nécessité de doter l’Ukraine d’armes pour 200 millions de dollars en plus des 450 milliards donnant du grain à moudre au complexe
militaro-industriel américain… En fait, le vrai problème est celui d’une restructuration du monde dans la douleur. Comment passer d’un monde dominé par l’hyper-puissance américaine depuis
pratiquement un siècle à un monde multipolaire dénucléarisé ? C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre la position russe qui ne veut pas de l’OTAN à ses frontières et qui
exige des preuves écrites du non-engagement des Occidentaux à l’Est, notamment de l’Ukraine, pour conjurer l’erreur de Gorbatchev qui a cru à la parole de James Baker, Kohl, Mitterrand,
Thatcher.
Bref rappel. L’équilibre des forces en 1989 :
OTAN versus pacte de Varsovie
Pour l’histoire, le 4 avril 1949, les USA, le Canada et 10 autres États d’Europe de l’Ouest (sans la France) signent le traité de Washington pour créer
l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord. Le 6 mai 1955, l’Allemagne de l’Ouest rejoint l’OTAN. 8 jours plus tard, l’Union soviétique rassemble 8 États d’Europe de l’Est dans le pacte de
coalition de Varsovie.
De 1955 à 1989, le monde était bipolaire. Deux grands blocs se faisaient face. Les États-Unis d’Amérique et leurs vassaux européens, d’un côté, et de l’autre,
l’Union soviétique et les pays satellites, l’Empire du mal selon le président Reagan. Ce sera la Guerre froide jusqu’à la chute du bloc soviétique et la dissolution du pacte en 1991. Il y a
quelque temps, on disait de l’OTAN qu’elle était en « mort cérébrale ». Avec Joe Biden, changement de programme, l’OTAN se réveille et réchauffe plus que jamais la doctrine de l’endiguement des
États-Unis pour l’encerclement de la Russie par l’admission de nouveaux pays, à commencer par l’Ukraine.
La Russie, sentant l’étouffement, se protège et demande à ce que ce pays ne puisse pas rejoindre l’OTAN qui est le problème par lequel l’équilibre du monde pourrait
être rompu. Tout en niant un quelconque projet d’attaque, la Russie martèle qu’une désescalade passe par des garanties écrites pour sa sécurité, notamment sur la non-adhésion de l’Ukraine à
l’OTAN.
Le président Gorbatchev a acté la fin de
l’URSS
Dès son arrivée à la tête de l’Union soviétique, en 1985, M. Gorbatchev encourage les pays du pacte de Varsovie à entreprendre des réformes. Le 13 juin 1989, il
signe même avec Helmut Kohl une déclaration commune affirmant le droit des peuples et des États à l’autodétermination. Le 9 novembre, le mur de Berlin tombe.
À Moscou, le 9 février 1990, le secrétaire d’État américain James Baker multiplie les promesses devant Édouard Chevardnadze, le ministre des Affaires étrangères
soviétique. Ils disent que l’OTAN va s’effondrer sans la RFA. « Mais, sans la RDA, ce serait aussi la fin du pacte de Varsovie »1…
On remarquera, par ailleurs, le peu de regrets exprimé par l’ex-dirigeant soviétique envers cette période. Il semble suggérer que la chute de l’empire soviétique
était un préalable à l’établissement d’un nouvel ordre mondial plus pacifique. Ainsi, Mikhaïl Gorbatchev a sauvé l’ordre occidental libéral ; il a dans le même mouvement détruit l’URSS. Il reçut
pour cela le prix Nobel en même temps que le président américain en 1990 : le jugement des Russes est sans appel : près de la moitié d’entre eux éprouvent de l’indifférence envers Gorbatchev, 20%
éprouvent du « mépris » et seulement 10% du « respect » pour l’ancien dirigeant.
Bref flash-back d’un parjure : « L’OTAN ne
s’étendra pas d’un pouce vers l’Est »
C’est le 19 novembre 1990 que la fin théorique de la guerre froide est actée. L’OTAN et le pacte de Varsovie font publiquement une déclaration conjointe de
non-agression. 8 mois plus tard, l’Organisation du Traité de Varsovie est officiellement dissoute. Ce que les médias occidentaux cachent est que les dirigeants européens et américains avaient
promis – sans écrit – qu’il n’y aurait pas d’extension. L’OTAN s’est élargie à l’Est en dépit des promesses faites à Gorbatchev : « Des documents récemment
déclassifiés révèlent que des dirigeants occidentaux – et non des moindres, comme le président américain George H. W. Bush et le secrétaire général de l’OTAN de l’époque Manfred Wörner – avaient
assuré au président soviétique Mikhaïl Gorbatchev que l’Alliance atlantique ne s’élargirait pas à l’Est au-delà de l’Allemagne de l’Est après la réunification allemande d’octobre 1990. (…) M.
Gorbatchev a toujours affirmé que l’URSS avait accepté la réunification en échange du non-élargissement de l’OTAN vers l’Est, une expression qui, sous la plume du secrétaire d’État américain de
l’époque James Baker, dans une lettre au chancelier allemand Helmut Kohl, était que l’OTAN « ne bougerait pas d’un pouce ». Le président soviétique a été accusé d’avoir fait preuve
d’une grande naïveté2.
L’élargissement de l’OTAN a néanmoins eu lieu après une décision du président américain suivant, Bill Clinton, en 1994, qui a conduit à l’adhésion des pays de Visegrad3.
Vladimir Poutine restaure le statut de la
Grande Russie
Le 25 décembre 1991, Mikhaïl Gorbatchev démissionnait de ses fonctions et remettait ses pouvoirs présidentiels à Boris Eltsine, le lendemain. Le Soviet suprême
reconnaît l’indépendance des Républiques soviétiques et dissout officiellement l’URSS. L’effondrement soudain de l’URSS a été un événement sismique qui a changé le monde au cours des années 1990.
Et la manifestation la plus importante de cette dégradation a été l’expansion de l’OTAN en Europe de l’Est, région qui était considérée comme la zone d’influence de Moscou. Pour le
président russe Vladimir Poutine, l’effondrement de l’Union soviétique est « la plus grande catastrophe
géopolitique du XXe siècle ». Et comme le souligne Mira Milosevich, Poutine a réussi à redonner à la Russie son rôle stratégique de puissance mondiale. « Poutine se voit comme le
sauveur de la Russie »4.
« La priorité absolue de M. Poutine était de stopper l’avancée des puissances étrangères dans l’ancienne région soviétique. En 2008, l’armée russe a envahi la
Géorgie pour empêcher le président pro-occidental Mikheil Saakashvili de reconquérir militairement le territoire géorgien sécessionniste d’Ossétie du Sud, un protectorat russe. Si Saakashvili
avait réussi à réunifier son pays fracturé, il aurait pu se rapprocher de son objectif déclaré de faire de la Géorgie un candidat viable à l’adhésion à l’OTAN. De même, en 2014, en Ukraine, après
que des manifestations pro-occidentales ont renversé le président Viktor Ianoukovitch, un allié de Moscou, la Russie est intervenue militairement, d’abord pour annexer la péninsule de Crimée,
puis pour soutenir les rebelles anti-Kiev dans le Donbas, la région russophone de l’est de l’Ukraine. Comme l’explique Mira Milosevich, il s’agissait, selon elle, d’un “principe historique
de la sécurité nationale russe”. “Ce que la Russie veut, ce sont des espaces entre elle et l’ennemi potentiel. Et la Russie perçoit l’OTAN comme la plus grande menace pour sa sécurité nationale
et ne veut pas de l’OTAN à ses propres frontières”, dit-elle. “Poutine est un stratège fantastique, comme il l’a montré”. Aujourd’hui, la Russie est un acteur indispensable, le seul acteur
stratégique au Moyen-Orient qui parle à tout le monde, du Hezbollah au roi d’Arabie saoudite »[4].
La position de principe de Poutine
: protéger les frontières de la Russie
Ce qui explique la réaffirmation de la position actuelle de Vladimir Poutine, à savoir le non-élargissement de l’OTAN à l’Est, il faut refaire l’historique.
Philippe Descamps rapporte les propos de Poutine : « Ils nous ont menti à
plusieurs reprises, ils ont pris des décisions dans notre dos, ils nous ont mis devant le fait accompli. Cela s’est produit avec l’expansion de l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord
[OTAN] vers l’Est, ainsi qu’avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières ». Dans son discours justifiant l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie, le 18
mars 2014, le président Vladimir Poutine étale sa rancœur envers les dirigeants occidentaux. Face au réalisateur américain Oliver Stone, en juillet 2015, M. Poutine esquisse un rictus en évoquant
cet épisode majeur de l’histoire des relations internationales : « Rien n’avait été couché sur
le papier. Ce fut une erreur de Gorbatchev. En politique, tout doit être écrit, même si une garantie sur papier est aussi souvent violée ». Début 1991, les premières demandes d’adhésion
à l’OTAN arrivent de Hongrie, de Tchécoslovaquie, de Pologne et de Roumanie. Une délégation du Parlement russe rencontre le secrétaire général de l’OTAN. Manfred Wörner, lui, affirme que treize
membres du conseil de l’OTAN sur seize se prononcent contre un élargissement, et ajoute : « Nous ne devrions pas
permettre l’isolement de l’URSS ». Ancien conseiller de M. Gorbatchev, M. Andreï Gratchev comprend les motivations des pays d’Europe centrale : « Tout juste affranchis de la
domination soviétique » et ayant toujours en mémoire les « ingérences » de la Russie tsariste. En revanche, il déplore la « vieille politique du “cordon
sanitaire” qui conduira par la suite à un élargissement de l’OTAN à tous les anciens pays du pacte de Varsovie, et même aux trois anciennes républiques soviétiques baltes »5.
À
quoi sert l’OTAN, le pendant du pacte de Varsovie ?
On aurait pu croire qu’avec la fin de la Guerre froide, il y aurait un démantèlement de l’OTAN comme celui du pacte de Varsovie. Il n’en fut rien. Comme disait le
premier secrétaire général de l’organisation transatlantique, Lord Ismay, l’OTAN, c’est « Keep the Americans in, the Soviets out and the Germans down ». Or, si les Soviétiques sont « out » depuis
1989 et qu’il n’y a plus de raison de garder l’Allemagne « down », les Américains sont, eux, toujours bel et bien « in ». « L’expansion de l’OTAN ne
bénéficie seulement qu’au complexe militaro-industriel US, qui va profiter de l’accroissement des ventes d’armes aux nouveaux membres de l’OTAN….) l’OTAN devrait être démantelée et non
élargie »6.
Dans une contribution pertinente, Serge Halimi, du Monde Diplomatique,
s’interrogeait : « À quoi sert l’OTAN ? Monsieur Nicolas Sarkozy voulait que sa présidence marque la rupture avec un “modèle social français”. A-t-il alors résolu d’en finir avec une autre
tradition française, celle de l’indépendance nationale ? (…). De complaire à des industriels de l’armement, amis de M. Sarkozy. Plus vraisemblablement, l’Élysée espère tirer parti de la sympathie
qu’inspire le nouveau président des États-Unis pour tordre le cou à une impardonnable exception française. Celle qui, au moment de la guerre d’Irak, vit Paris se dresser contre tous les docteurs
Folamour du “choc des civilisations”. Au grand dam de bien des partisans actuels de M.Sarkozy – dont M. Bernard Kouchner (…). Décidémen désireux de ne nous épargner aucune
ficelle, les députés atlantistes adossent leur propos à un rappel des heures sombres de notre histoire, de Hitler, de Munich, sans oublier de citer Elie Wiesel, survivant de l’Holocauste
»7.
La provocation de 2008 : le
«printemps» de la Géorgie
Il y a 12 ans, la situation démarrait avec la Géorgie comme maillon ayant vocation à rejoindre, à terme, l’OTAN. Ron Paul, sénateur du parti républicain,
intervenait devant le Congrès US concernant la résolution 997, « exprimait un soutien fort
pour que l´OTAN active un plan d´adhésion pour la Géorgie et l’Ukraine ». Écoutons-le : « M. le porte-parole, je me
lève en opposition à cette résolution appelant à une expansion de l’OTAN aux frontières de la Russie. L’OTAN est une organisation dont l´objectif s´est terminé avec la fin du pacte de Varsovie de
l’adversaire. Quand l’OTAN s’est activée pour redéfinir son futur après la guerre froide, elle a fini par attaquer un Etat souverain, la Yougoslavie, qui n’avait ni envahi ni menacé aucun état
membre de l’OTAN. L’expansion de l’OTAN ne bénéficie seulement qu’au complexe militaro-industriel US, qui va profiter de l’accroissement des ventes d’armes aux nouveaux membres de
l’OTAN »8.
Il s’agit bien d’une hégémonie planétaire qui se mettait en place. Pour rappel, et comme l’écrit Habib Kharroubi : « L’OTAN en Occident et le pacte de Varsovie, son
pendant dans le camp soviétique, ont vu le jour dans le contexte de “Guerre froide” ayant marqué après 1945 les rapports Est-Ouest. La chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’empire
soviétique ont provoqué la dislocation du pacte de Varsovie. Un moment, il a semblé que sa disparition allait entraîner celle de l´organisation militaire qui fut son compétiteur côté occidental.
C’était compter sans les calculs des Etats-Unis concernant la mise en place du nouvel ordre mondial qu’ils ont décidé d´imposer à la planète. (…) L’élargissement à l’est de l’Europe de l´OTAN
inquiète quant à lui directement la Russie, qui y voit une volonté des États-Unis de rapprocher, au plus près de ses frontières nationales, le champ opérationnel de cette organisation militaire.
(…) L´OTAN est devenue le bras armé des États-Unis et l’exécutant de leur politique internationale »9,10.
Le peu de considération de l’empire pour
les vassaux européens
En fait, les États-Unis n’ont jamais respecté ni leur engagement ni la Russie, ce qui compte, c’est d’encercler la Russie. Les dossiers de l’OTAN sont en fait ceux
des États-Unis et l’Europe est plus vue comme un marché mais aussi pour l’intendance. Nous l’avons vu en 2014 dans le feuilleton de Maïdan, en Ukraine, qui devait basculer selon les stratèges
américains. Dans une conversation enregistrée à son insu, Victoria Nuland, la secrétaire d’État adjointe américaine pour l’Europe, s’est emportée contre l’UE au sujet de la situation en Ukraine.
« Fuck the EU
! » La plus haute responsable du département d’État s’entretient avec un homme dont la voix correspond à celle de l’ambassadeur des États-Unis à Kiev, Geoffrey Pyatt. Ils discutent de
la manière de régler les troubles politiques en Ukraine. « Et … tu sais… que l’Union
européenne aille se faire foutre”, (…) Angela Merkel juge “absolument inacceptables” les propos de la diplomate américaine »11.
Pour la période récente , on observe que les États-Unis avaient l’intention d’admettre l’Ukraine au sein de l’OTAN. Ainsi, le 2 juin 2020, l’Organisation du Traité
de l’Atlantique nord reconnaît l’Ukraine comme partenaire bénéficiant du programme « Nouvelles opportunités ». Avec l’administration Biden, le 8 juin 2021, le secrétaire d’État Antony Blinken
déclare devant le Sénat : « Nous soutenons l’adhésion de
l’Ukraine à l’OTAN ». Le 17 décembre 2021, la Russie demande notamment des garanties écrites sur la non-extension de l’OTAN à l’Est, ainsi que le retrait des forces américaines des pays
d’Europe orientale. Dans cette affaire et comme d’habitude, les vassaux européens ont été tenus à l’écart des négociations russo-américaines. L’OTAN, pour sa part, obéit au commandant en chef et
donne réponse aux Russes en déclarant qu’il ne promet pas que l’Ukraine ne rejoindra pas l’OTAN.
«
Il aurait fallu dissoudre l’OTAN ! » Parole de spécialiste
Toujours dans le même sens, nous livrons quelques extraits de l’interview par Mohsen Abdelmoumen du Ccolonel Régis Chamagne : « L’hégémonie américaine sur la
monde est bel et bien terminée. Si les USA veulent tenter une opération de déstabilisation ou pire dans un pays et que la Russie et la Chine s’y opposent, ils n’auront aucune chance de
réussir ». En refusant d’admettre qu’ils ont perdu leur leadership mondial, le colonel Regis Chamagne pense que le monde occidental est sur le déclin : « Lorsqu’une puissance
s’effondre, il se passe toujours un certain temps avant que les dirigeants de cette puissance l’admettent. Ces gens-là continuent à vivre dans un monde chimérique fait de toute-puissance. (…) La
russophobie en Occident est endémique chez nos voisins d’outre-Manche. (…) L’OTAN aurait du être dissoute après la dislocation de l’URSS puisque sa fonction était de s’opposer à la menace
soviétique. L’OTAN disparaîtra naturellement avec le reste quand le changement de paradigme aura été “digéré” par les Occidentaux. (…) Les Américains s’imaginent pouvoir faire ce qu’ils veulent
en Europe car cela se passe loin de chez eux ; ils restent loin de la menace. Mais dès lors que la Russie rapproche ses missiles près des côtes américaines, ils pourraient ressentir peu ou prou
ce que ressentent les Russes et cela pourrait les faire réfléchir »12.
Le chancelier allemand met en garde contre les
conséquences des sanctions
Olaf Scholz confirme que Berlin est prêt à imposer des sanctions à la Russie en cas d’agression de l’Ukraine, mais indique que ces mesures auront des répercussions
inévitables sur les marchés occidentaux. « Nous devons comprendre
quelles conséquences cela aura pour nous-mêmes. Personne ne devrait se faire d’illusions sur le fait qu’il existe des mesures sans répercussions sur nous-mêmes ». Par ailleurs, Berlin
n’a jamais voulu envoyer des armes létales en Ukraine ; par contre, elle a beaucoup investi financièrement dans ce pays à fonds perdus13.
Une réponse responsable est celle du chef de la marine allemande Kay-Achim Schoenbach qui a démissionné suite à sa déclaration. Nous lisons : « Ce qu’il (Poutine) veut
vraiment, c’est le respect. Et mon Dieu, donner du respect à quelqu’un est peu coûteux, voire gratuit (…) Il est facile de lui donner le respect qu’il demande vraiment – et qu’il mérite
probablement aussi », a ajouté le chef de la Marine allemande en qualifiant la Russie de pays ancien et important. Kay-Achim Schoenbach a reconnu que les actions de la Russie en Ukraine
devaient être traitées. « La péninsule de Crimée est
partie, elle ne reviendra jamais, c’est un fait »14.
D’un autre côté , la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock a averti que toute nouvelle escalade militaire « aurait un prix élevé pour le
régime russe – les sanctions contre la Russie incluraient le gazoduc germano-russe Nord Stream II ». Nous sommes loin de la position d’équilibre d’Angela Merkel. L’Allemagne post-Merkel
est prête à perdre le bénéfice du Nord Stream 2 sur laquelle depuis 10 ans Merkel a bâti par monts et par vaux sa stratégie énergétique. Ce gazoduc, qui doit acheminer du gaz russe en Allemagne
et en Europe via la mer Baltique, en contournant l’Ukraine, est achevé.
La flambée des prix du gaz au cours des derniers mois est un signe avant-coureur avec la flambée des prix du pétrole de futures perturbations. La Russie fournit
environ 40% de la consommation de gaz de l’UE. S’il n’y a plus de livraison de gaz russe, l’Union européenne sera amenée à acheter du GNL américain. En définitive, si les sanctions sont mises en
œuvre, c’est l’Europe de l’Alantique à l’Oural qui va souffrir. Les États-Unis seront moins impactés car le théâtre des opérations est loin.
Les Nations unies appelées en renfort
?
Le SG des Nations unies Guterres appelle à la mobilisation pour affronter ces cinq défis, la pandémie, dont les conflits. « Nous sommes confrontés au
plus grand nombre de conflits violents depuis 1945. (…) Nous avons besoin d’un Conseil de Sécurité uni, engagé à les résoudre. Les clivages géopolitiques doivent être gérés pour éviter le chaos
mondial »15.
Encore une fois, des vœux pieux. Les États-Unis demandent une réunion du Conseil de Sécurité et va se saisir de la question Ukraine ce lundi 31 janvier. La Chine,
qui accueillera les Jeux olympiques d’hiver dans une semaine et qui s’était jusqu’à présent abstenue de prendre ostensiblement parti, a annoncé se rallier au point de vue de la Russie. Sans
nommer l’OTAN, Wang Yi a fait valoir que « la sécurité régionale ne
saurait être garantie par le renforcement ou l’expansion de blocs militaires ». « Les préoccupations
raisonnables de la Russie en matière de sécurité doivent être prises au sérieux et recevoir une solution », a déclaré le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi.
La Russie accueille froidement le rejet par
Washington de ses exigences sécuritaires
Remise en parallèle à la lettre de l’OTAN, la réponse américaine aux exigences de Moscou, élaborée en coordination avec Kiev et les Européens, refuse toute
exclusion de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Pour le chef de la diplomatie américaine « nous avons clairement fait
savoir que nous étions déterminés à maintenir et défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et le droit des États à choisir leurs propres dispositions de sécurité et leurs
alliances ». Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a constaté l’absence de « réponse positive à la
question principale » soulevée par la Russie. Mais il a laissé la porte ouverte à la reprise du dialogue en relevant qu’« il y a une réaction
(américaine) qui permet d’espérer le début d’une conversation sérieuse sur des questions secondaires ».
Outre un non-élargissement de l’organisation à l’Ukraine et à la Géorgie, Moscou demandait aussi « un engagement écrit sur le
retrait des forces et des armements de l’Alliance atlantique des pays d’Europe de l’Est ayant rejoint l’OTAN après 1997 »16.
Conclusion
La réalité du monde est que l’empire veut toujours garder le gouvernement du monde. Ignacio Ramonet voit dans ce commandement invisible une stratégie sur trois
fronts. écoutons-le : « Les citoyens doivent savoir que la mondialisation libérale attaque désormais les sociétés sur trois fronts. le premier front est celui de l’économie. Le deuxième front,
clandestin, silencieux, invisible, est celui de l’idéologie. (…) Le troisième front, inexistant jusqu’à présent, est militaire. Il a été ouvert au lendemain du traumatisme du 11 septembre 2001.
La fonction des vassaux est de s’incliner, et l’Amérique aspire désormais à exercer une domination politique absolue »17.
Cela veut dire que plus rien ne s’opposera à l’adhésion de l’Ukraine puis de la Géorgie. La promesse faite contre la réunification de l’Allemagne n’a pas été tenue.
C’est un bras de fer basé sur un parjure, une parole donnée il y a plus de trente ans. Tout porte à croire que la situation continuera à être larvée. L’énigme de la subsistance de l’OTAN ne peut
s’expliquer que par le fait que les États-Unis n’ont pas compris que le monde a profondément changé et que le barycentre du monde a basculé vers l’Asie. Cela étant dit, nous devons substituer au
partage du monde de Yalta celui d’un monde de partage, où les peuples pourraient vivre en intelligence. Les défis du futur seront de plus en plus existentiels et les grandes puissances auront
d’autres défis planétaires à combattre. Ceux de cette « pandémie » qui déconstruit à la hache nos façons de vivre depuis des milliers d’années mais aussi les dérèglements climatiques
anthropiques qui nous mèneront, à Dieu ne plaise, vers la sixième extinction ! Est-ce que nos petites querelles de leadership ont quelque peu crédibilité quand l’humanité tout entière est menacée
? La question reste posée.
Les anti-OTAN brandissent régulièrement l’argument massue selon lequel l’Organisation n’a plus lieu d’être depuis le démentèlement de l’URSS et du Pacte de
Varsovie. Ce faisant, ils valident sans le savoir le mensonge fondateur, selon lequel l’OTAN avait été créée pour contrer … bla bla bla. La vérité c’est que la nécessité d’une telle
organisation n’a jamais existé, à aucun moment, ni au moment de sa création, ni par la suite. L’on pourrait même se demander si la guerre froide n’a été mise en place que pour justifier
et maintenir l’existance de l’alliance. Le Pacte de Varsovie, que l’on citait jadis comme une menace existentielle pour l’Occident autoproclamé « monde libre », n’aurait jamais exité si
l’OTAN n’avait pas elle-même existé. De même, toutes les actions du bloc soviétique à caractère militaire durant la guerre froide ne furent qu’une série de réactions face à des actes
hostiles du bloc occidental. RI
***
La perfidie de sang-froid des élites
dirigeantes anglo-américaines est tout simplement colossale. Et cela nécessite une machinerie colossale de désinformation pour la garder secrète.
En réalité, la guerre « froide » a
commencé peu après le début de la guerre, vers 1941. Roosevelt et Churchill sont intervenus militairement le plus tard possible dans la guerre – malgré les demandes répétées de leur allié
Staline : l’Armée rouge et la Wehrmacht allemande devaient se détruire autant que possible.
Après la Seconde Guerre Mondiale en 1945, les États-Unis savaient : l’Union Soviétique affaiblie ne représente aucun danger. Mais avec la prise en tenaille
du Plan Marshall et de l’OTAN, les USA ont intégré les pays d’Europe occidentale, du Nord et du Sud dans leur expansion économique et militaire. Les ex-nazis et les ex-collaborateurs des
nazis ont été promus, tandis que les partis, mouvements et personnes antifascistes ont été éliminés, infiltrés, achetés. Dans le même temps, les États-Unis ont également aidé les
gouvernements à lutter contre les mouvements de libération dans les colonies – également en raison des matières premières pour les entreprises américaines.
Après 1990, le mensonge fondateur et donc la prise en tenaille militaro-capitaliste se sont poursuivis avec l’« expansion vers l’Est ». Cela inclut le
démantèlement de la prospérité et de la liberté pour les populations majoritaires : L’UE et de plus en plus d’entreprises, d’investisseurs et de consultants américains organisent
l’américanisation avec des travailleurs pauvres, des travailleurs malades ainsi qu’une migration de la main-d’œuvre illégale et légalisée – en même temps, la militarisation et l’hostilité
contre la Russie s’étendent : La domination de l’Eurasie de Lisbonne à Vladivostok était le plan depuis le début. Nous vous présentons un chapitre du livre de Werner Rügemer : Imperium EU
– ArbeitsUnrecht, Krise, neue Gegenwehr. Cologne 2020. La guerre en Ukraine n’y joue pas de rôle, bien sûr, mais elle devient explicable à certains égards. Les sources ont été
omises.
par Werner Rügemer.
« Russie » après la Seconde
Guerre Mondiale : pas de danger
À l’approche de la création de l’OTAN, les responsables aux États-Unis le savaient : l’Union Soviétique ne représentait aucune menace militaire. La
puissance affaiblie ne pourrait pas soutenir une attaque contre l’Europe occidentale même si elle le voulait : L’économie de l’Union Soviétique est en grande partie détruite et
technologiquement obsolète ; son système de transport est trop primitif ; son industrie pétrolière est facile à attaquer. L’Union Soviétique n’a pas non plus la bombe atomique. « Les
hommes du Kremlin sont des tyrans intelligents qui ne risqueront pas leur pouvoir interne par des aventures militaires à l’étranger. Ils veulent gagner la bataille pour l’Allemagne et
l’Europe, mais pas par une action militaire », a déclaré George Kennan, le planificateur en chef du département d’État, pour le chef du département d’État Marshall, pour le président
Truman et pour les ambassadeurs américains dans divers mémorandums en 1948.
Mais pourquoi les États-Unis et leurs alliés alors encore peu nombreux ont-ils néanmoins créé l’OTAN, une alliance militaire expressément dirigée contre
l’Union Soviétique ?
La Légende de la guerre
Froide
La légende dit que l’OTAN était un « produit de la guerre froide » après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. En réalité, l’OTAN est un produit de
l’expansion américaine, qui était déjà en cours avant l’intervention militaire américaine pendant la Seconde Guerre Mondiale.
La « guerre froide » est l’une des constructions idéologiques les plus ingénieuses utilisées par la machine d’opinion américaine pour déguiser les pratiques
américaines de la Seconde Guerre Mondiale à nos jours. Le terme a été popularisé par l’idéologue américain le plus important du XXe siècle : Walter Lippmann, le père du « néolibéralisme
».
« Guerre froide » est censé signifier : après la Seconde Guerre Mondiale, la guerre militaire est terminée et la phase de confrontation non militaire entre
« l’Ouest libre » et le « bloc communiste de l’Est » commence. Mais pendant la « guerre froide », les États-Unis et les premiers pays de l’OTAN ont mené des guerres chaudes, très chaudes,
par exemple en Grèce, en Corée, aux Philippines, en Afrique et en Indochine – il faudra y revenir.
En réalité, la guerre « froide » a commencé peu après le début de la guerre, vers 1941. Roosevelt et Churchill sont intervenus militairement le
plus tard possible dans la guerre – malgré les demandes répétées de leur allié Staline : L’Armée rouge et la Wehrmacht allemande devaient se détruire mutuellement autant que possible. Les
gouvernements américain et britannique ont également rejeté par principe toute résistance intérieure à Hitler. L’avocat de Wall Street Allen Dulles, en tant que chef de l’agence de
renseignement Office of Stragic Services (OSS) basée en Suisse, ne voulait pas que les assassins du 20 juillet 1944 réussissent – l’armée américaine voulait à tout prix empêcher un
armistice précoce avec l’Union Soviétique. L’Armée rouge devait subir des pertes aussi élevées que possible dans la poursuite de la lutte contre la Wehrmacht de Hitler.
Faire progresser la ligne de
« défense » américaine vers l’Europe
Walter Lippmann (à
gauche), un diplômé de Harvard qui se considérait initialement comme un gauchiste et un socialiste, avait aidé à organiser la propagande en faveur de l’entrée en guerre des
États-Unis pour le ministère américain de la Guerre pendant la Première Guerre Mondiale (Committee on Public Information, CPI) : En 1917, la promesse de neutralité pacifiste du président
américain Woodrow Wilson devait être annulée, et l’entrée en guerre des États-Unis devait désormais être justifiée.
Par la suite, Lippmann a justifié théoriquement et accompagné journalistiquement l’expansion mondiale des États-Unis dans une position de premier plan –
notamment en ce qui concerne l’Europe et le Japon. En 1938, en tant qu’opposant au programme de réforme de Roosevelt (New Deal), il avait réuni les futurs gourous de la théorie économique
« néolibérale » tels que Friedrich Hayek, Alexander Rüstow et Raymond Aron : c’est là que le terme euphémique « néolibéralisme » a été inventé pour désigner la
doctrine mondiale pointue, antisyndicale et anticommuniste du capitalisme.
En mars 1943, Lippmann écrivait : Après avoir conquis l’Amérique du Nord, l’Amérique centrale, les Caraïbes, les Philippines et plusieurs îles du Pacifique
(Wake, Guam, Hawai, îles sous mandat japonaises), les États-Unis avaient été contraints de « défendre les deux tiers de la surface de la terre à partir de notre base continentale en
Amérique du Nord. » Maintenant, cependant, avec la défaite prévisible des puissances de l’Axe que sont l’Allemagne, le Japon, l’Italie et leurs alliés et collaborateurs, un accès
beaucoup plus large s’ouvre.
Les États-Unis ne seront désormais plus en mesure de « défendre » leurs territoires précédemment conquis, a déclaré le géostratège, à partir de
leur seul territoire nord-américain et des îles dispersées du Pacifique. Au contraire, l’Amérique peut et doit maintenant étendre de manière décisive sa ligne de
« défense » « en fondant notre politique étrangère sur des alliances fiables dans l’ancien monde ». De nouvelles bases américaines pourraient désormais être
établies en Europe et au Japon. Cela permettrait aux États-Unis de passer de l’ancienne « défense » passive à une « défense » active de leurs intérêts
nationaux.
États-Unis 1947 : Le département
« Guerre » devient département « Défense »
Cette stratégie impliquait des artifices idéologiques : La doctrine anti-libérale et anti-démocratique du capitalisme intensifié a été appelée
« néolibéralisme ».
Et l’expansion militaire intensifiée est passée pour de la « défense ». À partir de 1789, depuis leur fondation, les États-Unis ont en fait eu un
département de la guerre : par des guerres, le continent nord-américain a été intégré au territoire national, puis l’Amérique centrale, les Caraïbes, Cuba, puis les Philippines, Porto
Rico, la Chine, etc. ont été pénétrés militairement, occupés temporairement, des gouvernements vassaux ont été installés, des îles ont été occupées et développées comme bases militaires
permanentes.
Mais juste au stade le plus élevé de son expansion militaire jusqu’alors, le département de la guerre a été euphémiquement et factuellement rebaptisé
département de la défense en 1947. C’est pourquoi l’OTAN, bien qu’agressive, a été baptisée l’alliance de « défense ».
Le jumeau : plan Marshall et
OTAN
L’OTAN, fondée en 1949, était le jumeau du plan Marshall. Le double caractère militaire et civil était incarné par George Marshall lui-même : Pendant la
Seconde Guerre Mondiale, en tant que chef d’état-major, il coordonne l’armée américaine sur tous les théâtres de guerre entre l’Afrique du Nord, l’Europe et l’Asie. Après la guerre, en
tant que secrétaire d’État de 1947 à 1949, il organise le plan Marshall. Et en 1950, cet homme agile s’est glissé dans le rôle de secrétaire à la défense des États-Unis, organisant des
interventions brutales, notamment des bombardements au napalm, contre les mouvements de libération du monde entier, en Corée comme en Grèce.
À partir de 1947, tous les futurs membres fondateurs de l’OTAN ont reçu l’aide du plan Marshall : Grande-Bretagne, France, Portugal, Pays-Bas, Belgique,
Luxembourg, Danemark, Islande, Italie, Norvège. Cela s’est poursuivi après la fondation de l’OTAN jusqu’à la fin du plan Marshall en 1952. En outre, en 1949, le Congrès américain a
approuvé une aide d’un milliard de dollars pour le réarmement des pays fondateurs de l’OTAN. Dans certains cas, l’aide du plan Marshall a été réaffectée à des fins militaires.
Tous ces États – à l’exception du Luxembourg, de l’Italie et de la Norvège – étaient également des puissances coloniales actives. La plupart d’entre eux
étaient également des monarchies et pas des parangons de démocratie. Les États-Unis eux-mêmes entretenaient dans le monde de nombreux territoires dépendants de manière néocoloniale et
dominaient des États d’Amérique centrale et des Caraïbes avec l’aide de dictateurs, notamment à Cuba.
Pacte de Bruxelles préliminaire :
« Allemands » et « Danger communiste »
Avant la fondation de l’OTAN, les pays européens les plus fiables destinés à devenir membres fondateurs ont pu faire leur prélude. En mars 1948, les
gouvernements de la Grande-Bretagne, de la France et des trois petites monarchies du Benelux, fortement subventionnés par le plan Marshall, ont adopté le « Pacte de Bruxelles ».
Ce pacte se veut une alliance militaire contre une nouvelle agression allemande et contre une menace d’agression soviétique.
Ces praticiens de la conspiration dirigés par les États-Unis simulaient des dangers qui n’existaient pas : L’Allemagne était entièrement désarmée et sous le
contrôle militaire des Alliés, y compris des membres du Pacte de Bruxelles eux-mêmes – la France, la Grande-Bretagne, la Belgique et les Pays-Bas étaient des puissances occupantes en
Allemagne de l’Ouest ; et ils pouvaient avoir leur mot à dire sur le réarmement ou non de l’Allemagne de l’Ouest ou de la République Fédérale d’Allemagne. L’Union Soviétique n’était ni
capable ni désireuse d’attaquer l’Europe occidentale, et encore moins de l’occuper de manière permanente – cette évaluation du gouvernement américain était également connue des États du
Pacte de Bruxelles.
Le Pacte de Bruxelles réunissait, avec la Grande-Bretagne, les États dont les gouvernements et les élites économiques n’avaient pas résisté à l’occupation
de la Wehrmacht, mais avaient collaboré avec l’Allemagne nazie et voyaient également le « communisme » comme le principal danger. Ils craignaient tous d’être punis, ostracisés
ou même expropriés après la guerre, les militaires et les services secrets craignaient de perdre leur influence. Mais les États-Unis gardaient une main protectrice sur eux.
Le 4 avril 1949 – quelques mois avant la fondation de la République Fédérale d’Allemagne – l’alliance militaire Organisation du Traité de l’Atlantique Nord,
l’OTAN, est fondée à Washington. Elle est présentée comme une alliance de « défense », selon le langage américain. Tous les autres membres étaient dépendants des États-Unis, non
seulement par le biais du plan Marshall, mais aussi par des prêts, une aide militaire et des investissements supplémentaires. Le siège de l’OTAN se trouvait à Washington jusqu’en
1952.
Il y avait aussi : Le dictateur Franco
avec un statut spécial
Les cercles dirigeants des États-Unis avaient admiré le fascisme de Mussolini : Il avait montré comment vaincre le « danger communiste » à
l’Ouest. Mussolini a été comblé de prêts par Wall Street, et les investisseurs américains ont acheté des actions dans des entreprises italiennes, comme Fiat. Avec Mussolini et Hitler, les
sociétés américaines ont alimenté le fasciste Franco, qui a détruit la République dans une guerre civile brutale.
Franco avait déclaré la victoire le 1er avril 1939 – à peine deux semaines plus tard, l’administration Roosevelt avait nommé son ambassadeur à Madrid. Seuls
Mussolini, Hitler, le pape Pie XII et les promoteurs fascistes britanniques, le roi George VI et le Premier Ministre Neville Chamberlain, avaient été plus rapides à reconnaître
diplomatiquement la dictature.
Pour des raisons esthétiques, l’Espagne n’est pas devenue membre de l’OTAN pendant le règne de Franco. Mais les États-Unis ont inclus l’Espagne dans leur
expansion européenne, même sans adhésion officielle. Ils y exploitent des bases militaires et encouragent le développement économique, notamment le tourisme. Le fascisme était compatible
avec « la liberté et la démocratie » et l’OTAN.
Guerre contre les mouvements de
libération dans les colonies européennes
Avec l’OTAN, avec des bases militaires américaines supplémentaires dans les États membres de l’OTAN et des partenariats supplémentaires comme avec
l’Espagne, les États-Unis n’ont pas seulement poussé leur ligne de « défense » en Europe occidentale au sens de Lippmann. Ils ont également soutenu les guerres que les puissances
coloniales européennes ont menées contre les mouvements de libération dans les colonies qui s’étaient renforcés après la guerre. Et dans le processus, les États-Unis ont également eu
accès aux matières premières de ces colonies.
Grande Bretagne
La Grande-Bretagne avait été approvisionnée par les États-Unis en armements, navires et nourriture pendant la guerre et était maintenant lourdement endettée
envers les États-Unis. Les États-Unis ont veillé à ce que le Fonds Monétaire International (FMI), qu’ils avaient fondé et contrôlé en 1944, accorde son premier prêt important à la
Grande-Bretagne en 1947 : cela a été utilisé pour concilier et faire chanter le gouvernement travailliste.
La Grande-Bretagne a également été affaiblie à d’autres égards : ses colonies les plus importantes, comme l’Inde, ont été perdues. Déjà pendant la guerre,
la Grande-Bretagne avait cédé plusieurs bases militaires du Commonwealth aux États-Unis (programme de bail foncier). Au moment de la fondation de l’OTAN, le gouvernement dirigé par les
travaillistes a combattu le mouvement de libération au Ghana, qualifiant le chef du Parti populaire de la Convention, Kwane Nkrumah, de « petit Hitler local » et le mettant en prison en
1950. Ce n’est qu’en 1957 que le Ghana réussit à devenir indépendant avec Nkrumah.
Les États-Unis, déjà présents en Grèce et en Turquie depuis 1943 avec leurs services secrets OSS, y ont remplacé les services militaires et secrets
britanniques en 1948 et ont repris la guerre contre le mouvement de libération antifasciste en Grèce.
Le Canada
Le Canada, en tant que membre du Commonwealth, était doublement dépendant : depuis la fin du XIXe siècle, le pays était une colonie économique des
États-Unis. Les troupes canadiennes et leur service de renseignement avaient été sous commandement britannique, et les troupes britanniques et toute l’économie de guerre britannique
avaient été subordonnées aux États-Unis.
La France
Le deuxième membre le plus important de l’OTAN après la Grande-Bretagne était la France. L’armée américaine, avec les Britanniques et les Canadiens,
avait libéré le pays des nazis et du gouvernement collaborationniste de Vichy du maréchal Pétain en 1944. La Résistance de gauche, qui avait été infiltrée par l’agence de renseignement
américaine OSS, a été progressivement éliminée.
L’impopulaire général Charles de Gaulle, qui avait combattu Hitler et représenté une France indépendante, a dû être autorisé à participer au défilé de la
victoire sur les Champs Élysées à Paris, puis un gouvernement provisoire a été formé ; il comprenait le Parti communiste, qui avait dirigé la Résistance. Mais ce gouvernement n’a jamais
été reconnu par les États-Unis. La Banque mondiale, sous le président John McCloy, a accordé un prêt à la France avant même le plan Marshall, à une condition : de Gaulle et les
communistes doivent être hors du gouvernement ! Le secrétaire d’État américain Byrnes, prédécesseur de Marshall, a promis un prêt de 650 millions et la livraison supplémentaire de 500 000
tonnes de charbon.
Des politiciens chrétiens laquais comme George Bidault, ami proche du président de la CDU et futur chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer et, comme ce
dernier, en contact avec le chef de la CIA Allen Dulles, sont manœuvrés pour entrer au gouvernement. De Gaulle est chassé. Le prêt est accordé. En 1948, les États-Unis ont également
réarmé trois divisions françaises afin que la France puisse même agir comme une puissance occupante sérieuse dans son territoire occupé en Allemagne de l’Ouest.
L’Algérie n’était pas seulement une colonie française, mais était considérée comme faisant partie de la France, bien qu’avec un système d’apartheid
raciste. Cela n’a pas du tout dérangé l’OTAN : l’Algérie a été immédiatement incluse dans la zone du traité de l’OTAN. La guerre coloniale brutale du
gouvernement français s’est intensifiée. À l’indépendance, l’armée française avait tué des centaines de milliers de combattants de l’indépendance et de civils.
Dans le même temps, le gouvernement français exigeait une aide militaire contre le « communisme » dans la colonie d’Indochine : la République démocratique
du Vietnam, proclamée en septembre 1945 par le mouvement indépendantiste vietminh sous Ho Chi Minh, devait être détruite – les États-Unis ont aidé la France avec des conseillers
militaires, de la nourriture et des armements. McCloy, en tant que président de la Banque Mondiale, a également approuvé un prêt à cette fin en 1949, l’année de la création de
l’OTAN.
Belgique, Pays-Bas,
Luxembourg
Les trois pays du Benelux n’avaient apporté aucune contribution militaire contre l’Allemagne hitlérienne. Leurs gouvernements et leurs entreprises
avaient collaboré avec les nazis pendant la guerre. Mais la Belgique et les Pays-Bas sont devenus membres de l’OTAN et ont été autorisés à entrer en Allemagne de l’Ouest en tant que
forces d’occupation par la grâce des États-Unis.
McCloy a également concédé un prêt de la Banque Mondiale au Royaume des Pays-Bas en 1949, l’année de la fondation de l’OTAN, pour combattre le mouvement
d’indépendance dans la colonie d’Indonésie. Contre la République d’Indonésie, établie en 1945 après l’occupation japonaise, les 145 000 militaires néerlandais ont bombardé des villes,
assassiné des dizaines de milliers de résistants et d’autres habitants, et capturé le gouvernement.
Belgique
Le Royaume de Belgique a continué à tenir sa colonie riche en ressources du Congo sous le feu après 1945 avec l’approbation des États-Unis. Les
États-Unis avaient obtenu de la colonie belge de l’uranium, crucial pour leurs bombes atomiques. La société minière Union Minière du Haut Katanga – dans laquelle les Rockefeller
détenaient une participation – avait déjà déménagé son siège social de Bruxelles à New York en 1939.
Après 1945, la résistance anticoloniale au Congo est menée sans merci : les syndicats sont interdits, les grévistes sont fusillés ou fouettés publiquement.
Plus tard, en 1961, en complicité belgo-américaine (roi Baudouin, président américain Eisenhower, CIA, collaborateurs indigènes), le premier Premier Ministre du Congo nouvellement
indépendant, Patrice Lumumba, est sauvagement assassiné peu de temps après.
Portugal
Le Portugal fasciste était resté neutre pendant la guerre et était donc d’autant plus important économiquement pour l’Allemagne nazie : En tant qu’État le
plus important, le Portugal fournissait du tungstène, un métal précieux crucial pour la guerre, pour la trempe de l’acier, nécessaire, par exemple, pour les canons de fusils et de canons.
Au Portugal, des actions pirates et de l’or piraté ont été blanchis pour financer l’effort de guerre allemand.
Après 1945, les États-Unis ont rendu au Portugal les colonies asiatiques de Timor et de Macao, qui avaient été occupées par le Japon. Dans les colonies
africaines du Mozambique et de l’Angola, les économies coloniales forcées et de plantation (café, coton) prévalaient. Le Parti communiste, la principale organisation de libération, est
interdit et persécuté.
Et les États-Unis et l’OTAN peuvent désormais utiliser les îles atlantiques du Portugal, les Açores, comme bases militaires.
Petits États et plus tard membres de
l’OTAN
L’Islande, une colonie
danoise, avait été occupée par la Grande-Bretagne et les États-Unis en 1940. Le pays avait déclaré son indépendance au Danemark en 1944. Par conséquent, l’Islande a reçu des fonds du plan
Marshall et a accepté son adhésion à l’OTAN. Le petit pays n’avait pas d’armée propre, mais servait de base aux États-Unis et à l’OTAN.
Le Danemark : Un
gouvernement anti-fasciste a été formé ici après l’ère nazie. Il comprenait le parti communiste, qui avait résisté aux nazis. Ici aussi, les États-Unis, avec l’aide de la
social-démocratie et du plan Marshall, ont chassé le non-alignement initialement prévu.
Dans la colonie danoise du Groenland, les États-Unis avaient déjà établi des bases militaires en 1941. Le gouvernement danois, qui s’était réservé la
politique étrangère et de sécurité du Groenland, a accepté : le Groenland a été déclaré zone de défense de l’OTAN en 1951. La base militaire américaine de Thulé, au Groenland, est devenue
l’une des plus grandes bases étrangères des États-Unis, servant de site d’espionnage avancé contre l’Union Soviétique, puis contre la Russie, et déterminant la politique étrangère
danoise.
La Norvège : Ici, le
gouvernement social-démocrate voulait rester non-aligné après l’occupation allemande. Mais avec l’aide du plan Marshall et une aide supplémentaire au réarmement, les États-Unis ont fait
entrer la Norvège dans l’OTAN.
La Grèce : L’année de la
fondation de l’OTAN, les bombardiers en piqué américains bombardent au napalm les positions du mouvement de libération antifasciste déjà victorieux en Grèce et équipent les militaires
fidèles à la monarchie, qui avait collaboré avec les nazis. C’était le seul moyen de vaincre le mouvement de libération. Lorsque les États-Unis ont assuré un
gouvernement dépendant des États-Unis ici comme dans la Turquie voisine, ils ont fait entrer les deux pays dans l’OTAN en 1952.
République Fédérale d’Allemagne : la
plus grande forteresse américaine d’Europe
Les États-Unis voulaient avant tout faire entrer les zones occupées de l’ouest de l’Allemagne dans l’OTAN. Mais d’une part, cette Allemagne de l’Ouest n’est
pas encore un État et d’autre part, les gouvernements français et britannique s’opposent dans un premier temps au réarmement des Allemands en raison d’une opinion publique critique dans
ces deux États.
Mais peu après la fondation du nouvel État de la République Fédérale d’Allemagne (RFA), son chancelier Konrad Adenauer, aux couleurs chrétiennes, a accepté
(secrètement) de réarmer en 1950. Il a fait combattre les mouvements pour la paix et la neutralité et les a qualifiés de « communistes ». Dès 1950, les États-Unis ont encouragé
la production d’armes en RFA pour les besoins de la guerre contre le Mouvement populaire de libération en Corée. Les industriels ouest-allemands de
l’armement ont fait pression pour l’OTAN. Et dès septembre 1950, l’OTAN a inclus la RFA dans la zone de défense de l’OTAN – cinq ans avant son adhésion officielle.
Aujourd’hui, au XXIe siècle, aucun autre État de la planète n’accueille autant de bases militaires américaines supplémentaires que l’Allemagne de l’Ouest,
membre de l’OTAN.
Les USA envahissent les colonies
européennes
L’OTAN était donc une alliance contre la démocratisation post-fasciste et antifasciste en Europe et contre l’autodétermination nationale dans les
colonies. Et l’État néocolonial de l’OTAN, les États-Unis, a envahi les anciennes colonies des Européens.
Dans les colonies françaises d’Indochine (Vietnam, Laos, Cambodge) et d’Afrique (une bonne douzaine de colonies, principalement de la France, puis également
de la Belgique et du Portugal), il y avait des réserves importantes de matières premières. Les entreprises américaines voulaient s’en emparer au meilleur prix possible. Sous la direction
de Evan Just, l’autorité du plan Marshall à Paris a maintenu le département « Matières premières stratégiques ». Il explorait et inventoriait dans les colonies des puissances
coloniales européennes, par exemple, le manganèse et le graphite à Madagascar ; le plomb, le cobalt et le manganèse au Maroc ; le cobalt, l’uranium et le cadmium au Congo ; l’étain au
Cameroun ; le chrome et le nickel en Nouvelle-Calédonie ; le caoutchouc en Indochine ; le pétrole en Indonésie ; sans compter les diamants industriels, l’amiante, le béryllium, la
tantalite et la colombite.
L’Autorité du Plan Marshall et le département d’État ont organisé des contrats d’achat de matières premières à partir de 1948, par exemple, en faveur des
sociétés américaines United Steel, Bethlehem Steel et Newmont Mining. Des banques d’investissement telles que Morgan Stanley et Lazard Frères formèrent des holdings communes pour
moderniser les mines dans les colonies. Pour les bombes atomiques, les États-Unis avaient besoin d’encore plus d’uranium après la guerre que pendant la guerre de toute façon.
Enfin, enfin, conquérir la Russie ?
Résistance
Pour l’OTAN, la fondation ne visait pas à vaincre le « communisme », ce n’était qu’une étape préliminaire. Il s’agissait et il s’agit toujours de
la conquête et de l’exploitation de l’Europe par les États-Unis, en particulier de la Russie, c’est-à-dire de toute l’Eurasie, de Lisbonne à Vladivostok (selon le conseiller présidentiel
américain Zbigniew Brzezinski), qu’elle soit communiste ou capitaliste.
L’OTAN a été et reste une alliance qui a violé principalement et de manière permanente la Charte des Nations Unies, l’article 1 « Autodétermination des
nations », depuis sa création. Les membres de l’OTAN – ainsi que des membres associés tels que la Suisse et l’Autriche – ont participé de diverses manières aux nombreuses guerres
menées par les États-Unis dans le cadre de ce que l’on a appelé à tort la « guerre froide », en commençant par la guerre de Corée et plus récemment, par exemple, pendant deux
décennies en Afghanistan, laissant derrière eux des pays appauvris et dévastés, avec des profits élevés pour les industries de l’armement, de l’énergie, des fournitures et des services
militaires privés.
Et même sous le président Donald Trump, par ailleurs quelque peu critiqué, les partenaires européens de l’OTAN ont suivi la première puissance de l’OTAN
dans l’agitation anti-russe et le réarmement pour conquérir le théâtre eurasien, réussissant finalement, si besoin est à nouveau par la guerre, et cette fois avec des bombes
nucléaires.
Avec l’élargissement de l’OTAN vers l’est, le mensonge fondateur s’est poursuivi. L’adhésion à l’UE des anciens États socialistes a toujours suivi de
quelques années l’adhésion à l’OTAN. L’UE reste un appendice de
l’OTAN. Le soutien économique relatif apporté par le plan Marshall n’a apporté qu’une prospérité relative – et ce n’était qu’une concession temporaire. Il a pris fin en 1990.
Depuis lors, l’UE, de concert avec les entreprises, les investisseurs et les consultants américains, a démantelé cette prospérité relative, étape par étape, d’abord en Europe de l’Est
mais, au plus tard depuis la « crise financière » de 2008, de plus en plus rapidement dans les États « riches » d’Europe occidentale également.
L’enjeu est de taille. L’édifice de mensonges de l’OTAN, entretenu pendant des décennies, est plus fragile que jamais. La résistance à cet édifice doit et
peut prendre une nouvelle force, sur tous les continents. La base juridico-politique a été clarifiée depuis longtemps avec le droit international des Nations Unies et les droits de
l’homme des Nations Unies, qui incluent les droits du travail et les droits sociaux. Et les écologistes peuvent encore apprendre que l’armée ne nuit pas seulement à
l’environnement.
Concept OTAN 2030 - Comment l'OTAN prépare son entrée en Indo-Pacifique
Par le Gal. D. Delawarde - Le 08/07/2023.
Bonjour à tous,
Vous trouverez en pièce jointe, un texte co-signé par deux généraux membres du Cercle de Réflexion Interarmées (CRI)
A la veille de la réunion de l’OTAN de Vilnius, c'est un plaidoyer pour que la France ne cède pas à la
politique des États-Unis qui vise à impliquer l’OTAN, en tant que telle, dans la zone Indo-Pacifique face à la menace chinoise.
Sans méconnaître cette dernière et la défense de nos intérêts qu’elle implique dans la zone , en particulier concernant la libre circulation
maritime, la France ne doit pas accepter que l’OTAN se substitue à l’ONU, accentuant de fait cette opposition dramatique et dangereuse pour la sécurité du monde entre
un occident jugé arrogant et le reste de la planète. Il a fait l'objet d'une large diffusion vers les responsables politiques.
Vous pouvez diffuser ce texte sur vos propres canaux, vos sites d'information (mainstream ou alternatifs) si vous le souhaitez.
Pour ma part, je pense que ce concept OTAN 2030 visant à élargir sans cesse le rôle de l'Organisation et à lui donner un rôle qu'il n'a jamais eu dans l'histoire, en sortant, au seul
profit des USA, des termes d'un traité applicable exclusivement à l'Atlantique Nord, est évidemment porteur de nouvelles conflictualités dont les USA, créateurs de chaos et imaginant
clairement se substituer à l'ONU, ont le secret.
La bonne nouvelle, c'est que l'inéluctable défaite des otano-kiéviens en Ukraine, risque fort d'affaiblir, voire de faire éclater l'OTAN.
Dans les nouveaux équilibres géopolitiques et géo-économiques mondiaux qui émergeront du chaos ukrainien, ce concept OTAN 2030 a de fortes chances de ne jamais voir le jour, en tout cas
dans la forme qui nous est présentée dans ce texte.
A chacun de se forger son opinion, bien sûr.
DD
COMMENT L’OTAN PREPARE SON ENTREE EN INDO-PACIFIQUE
(6 juillet 2023)
Par les généraux (2s) Daniel SCHAEFFER, Asie21, Ancien attaché de défense en Thaïlande, Vietnam et Chine, et Grégoire DIAMANTIDIS, membre du Centre de réflexion
interarmées (CRI)
La préparation de l’entrée de l’OTAN en Indo-Pacifique, objet de beaucoup de pressions aujourd’hui pour que cela se produise, a commencé il y a maintenant près de
vingt ans par des rencontres, des échanges, avec quatre pays : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud, le Japon. Au niveau opérationnel, les quatre ont participé, en partenariat avec
l’OTAN, aux tentatives de stabilisation, échouée, de l’Afghanistan. Cela a conduit à la familiarisation des rapports entre l’Organisation et ces quatre Etats, devenus les quatre partenaires («
Asia partners 4 » / AP4). A partir de là il devenait plus facile de proposer un renforcement de ces relations au travers de l’adoption d’accords bilatéraux de partenariats tels que le propose
l’OTAN qui, à cette fin, déploie une large gamme de programmes, de degrés divers, soit qui se juxtaposent, soit qui s’imbriquent, soit qui se déclinent les uns des autres
et qui ne cessent de s’enrichir. Ce sont les outils de partenariat.
L’OTAN A DEJA UN PIED EN INDO-PACIFIQUE
Ainsi, depuis 2012, les relations OTAN – AP4 se renforcent avec chacun des quatre, bilatéralement, au travers des «
programmes personnalisés de partenariat et de coopération » (Individual Partnership Cooperation Programme / IPCP), qui
sont en cours d’évolution vers leur nouveau format de « programmes personnalisés taillés sur mesure de partenariat » (Individual Tailored
Partnership Programme / ITPP), plus précis1
.
Les IPCP
Dans une gamme de trois outils présentés de partenariat, l’IPCP vient en tête. Il est le moins exigeant sur le plan de la
coopération même si, lors de la signature qui entérine un accord, les engagements pris sont clairement définis. Ceux-ci ne sont cependant pas imposés
par l’OTAN puisque ce sont les partenaires eux-mêmes qui exercent leurs choix en indiquant les secteurs spécifiques dans
lesquels ils veulent coopérer, choix opérés à partir d’un menu de 1 400 propositions de formation. Mais d’une manière générale, comme l’indique le site d’information de l’Organisation, les initiatives ouvertes permettent aux partenaires « de
coopérer avec l'OTAN, principalement dans les domaines de l'interopérabilité, du renforcement des capacités, et des réformes des secteurs de la défense
et de la sécurité ». En dehors de toutes autres considérations telles que les échanges, les dialogues, les visites, les participations à des réunions, le fond de la question reste bien celui de préparer les partenaires à leur contribution
opérationnelle à des actions militaires quelles qu’elles soient : secours humanitaires, sécurité en mer, gestion de crises, exercices, interventions
armées, autres.
Les engagements australiens et néo-zélandais
Dans ce cadre, les plus impliqués des AP4 sont pour l’instant la Nouvelle-Zélande, qui est entrée dans son premier IPCP
le 4 juin 20122, et l’Australie qui a signé le sien le 21 février 2013 et l’a renouvelé le 19 août 2019. Par ce
renouvellement Canberra entérine un passé historique relationnel fort avec l’OTAN, fondé sur ses engagements antérieurs en Afghanistan (2005 – 2014) et
en Irak entre 2003 et 2009 et depuis octobre 2018 dans le cadre de la mission OTAN en Irak (NATO mission in Iraq / NMI).
De surcroît son passé opérationnel avec l’Alliance en Afghanistan lui vaut, en 2014, à l’occasion du sommet de Glasgow,
d’être cooptée en tant qu’« opportunité partenariale augmentée » (Enhanced opportunities partner /EOP), un statut obtenu dans le cadre d’un volet de
coopération parallèle à celui des IPCP, l’initiative d’interopérabilité partenariale (Partnership interoperabily initiative /
PII), justement adoptée en 2014. L’accent porté sur une telle initiative y est franchement opérationnel militaire puisque son objectif est de ne pas laisser perdre des savoir-faire acquis antérieurement lors d’opérations communes et, sur
de telles bases, ouvrir aux «partenaires la possibilité de contribuer à la gestion de crises futures, notamment dans le cadre d'opérations dirigées par
l'OTAN, et le cas échéant à la Force de réaction de l'OTAN ».
Avant cela cependant un tel engagement opérationnel est déjà acté lorsque Canberra adhère à l’IPCP en 2013 puisque dans
le point 1.3.5 des secteurs choisis de coopération, l’accord porte sur
« l’accroissement de l’interopérabilité et la participation dans des exercices et des opérations de
l’OTAN ». En revanche, du côté de la Nouvelle-Zélande, le caractère opérationnel de l’IPCP adopté
se limite à l’interopérabilité dans les opérations logistiques. Dans un avenir proche cependant
l’engagement sera accentué pour les deux Etats lorsque leurs IPCP muteront en ITPP, au travers
desquels seront « traitées des questions de sécurité transversales d'intérêt mondial (y compris la sécurité maritime, les nouvelles technologies, le cyberespace, l'impact du changement climatique sur la sécurité et la résilience)
par le biais de consultations politiques et militaires sur mesure, d'entraînements et d'exercices conjoints et d'une coopération dans le cadre
d'opérations et de missions dirigées par l'OTAN ».
Les engagements japonais et sud-coréens
Quant à la Corée du Sud et au Japon, dont les premiers IPCP en date ont été respectivement signés les 20 septembre 2012
et 6 mai 2014, ils restent quelque peu en arrière de la main. Celui du Japon, comme l’indique celui renouvelé le 31 mai 2018, se limite
aux questions de sécurité générale comme la cyberdéfense, la sécurité maritime, l’aide humanitaire, le dialogue et les échanges.
Aucune information n’indique quand il va muter vers un ITPP mais les discussions à ce propos sont en cours. Pour la Corée du Sud la position est approximativement la même et l’évolution, annoncée le 16 février 2023, vers un ITPP portera sur un renforcement de la cyber défense, sur les nouvelles technologies, les changements
climatiques et l’industrie de défense. Les deux Asiatiques se montrent donc très prudents, même si par ailleurs le Japon clame haut et fort qu’il a
besoin du parapluie « otanien ». Sur l’air de « armons-nous et partez » en quelque sorte!
La relation OTAN-AP4 instaurée dans le cadre des IPCP va ensuite être inscrite dans le marbre du
programme OTAN 2030, formellement approuvé en juin 2021 lors du sommet de Bruxelles.
OTAN 2030 : l’affichage d’une intention accrue vers l’Indo-Pacifique
Il y est écrit que « l’OTAN devrait approfondir les consultations et la coopération avec » ces quatre capitales dans le
cadre de «la configuration OTAN+4 existante ou le conseil de Partenariat OTAN-Pacifique ». Ainsi, en renforçant leurs
liens avec l’OTAN, les quatre vont devenir les points
d’ancrage d’une réelle entrée de l’Organisation en Indo-Pacifique avec objectif premier de contrer sur zone la menace
potentielle chinoise ainsi dénoncée dans le document.
Si la menace croissante de la Chine est une réalité qui est loin d’être fausse, à cause des progrès
imposants de son économie, à cause de son comportement conquérant de par le monde, et à cause de sa montée en puissance
militaire, elle représente surtout un danger pour ses voisins immédiats en raison de ses prétentions territoriales illégitimes (4). Mais si, comme il est dit, elle représente une « menace systémique » mondiale, elle ne représente pas une menace militaire pour
l’Europe puisqu’il n’existe pas de réels contentieux entre les deux extrêmes de l’île continentale. Que la Chine vienne un jour brandir une menace militaire sur le théâtre atlantique les dispositions du traité de Washington pourraient effectivement
jouer puisque cela s’appliquerait dans la zone de couverture de l’accord. Mais que le programme 2030 laisse supposer qu’il faille pouvoir intervenir
contre la Chine en Indo-Pacifique il est manifeste qu’il s’agirait là de répondre d’abord aux seuls soucis des Etats-Unis et de leurs alliés, les voisins immédiats de la Chine que sont le Japon, la Corée du Sud, les Philippines, entraînés seraient-ils dans la
tourmente d’une attaque armée communiste contre la Chine démocratique.
Mais en tout état de cause il n’est en aucun cas dans la vocation de l’OTAN de s’ériger en coalition contre la Chine en
Indo-Pacifique même en cas d’agression militaire de Pékin contre Taipei.
L’OTAN DOIT-IL VENIR AU SECOURS DU SOLDAT TAÏWAN PRIS DANS LE PIEGE
SINO-AMERICAIN ?
Les risques de dévoiement de l’article 5
Dans le cas de figure extrême envisagé, de par les normes communes adoptées dans le traité de
Washington, il ne peut pas s’appliquer à l’Indo-Pacifique, d’abord parce que ce n’est pas sa zone de couverture, tel que
le spécifie l’article 5 : « Les Parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en
Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les Parties et, en conséquence, elles conviennent que, si une telle
attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la Partie ou les Parties ainsi attaquées en prenant aussitôt,
individuellement et d'accord avec les autres Parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et
assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord ».
Il ne peut pas non plus s’appliquer à l’Indo-Pacifique parce que les quatre partenaires marqués ne sont pas membres de
l’Alliance. Voici donc deux considérations qui interdisent à priori à l’OTAN d’intervenir aux côtés des Etats-Unis dans le cadre d’une
attaque chinoise contre Taïwan ou russo-chinoise contre le Japon ou nord-coréenne contre son voisin du sud.
Cela dit, cela empêcherait-il l’OTAN d’intervenir, comme il l’a déjà fait au cours des deux décennies passées, soit sans
mandat de l’ONU, en Syrie en 2017, au printemps 1999 au Kosovo contre la Serbie, soit en Lybie en 2011 en dépassement et non-respect du
mandat, normalement limité à l’instauration d’un régime d’exclusion aérienne afin de protéger les civils (5), mais
de facto transformée en aide au changement de régime .
Sans aller jusque-là cependant, contourner les limites de l’article 5 en Indo-Pacifique ne serait pas
trop difficile à réaliser dès lors qu’un aéronef ou un navire américain viendrait à être attaqué par une arme chinoise
dans la région, pire encore si les Chinois s’avisaient à bombarder la base d’Okinawa avant qu’alertée, elle ne se vide de ses moyens pour se disperser
en mer ou ailleurs. Il y aurait dans ce cas atteinte portée contre un membre de l’OTAN, ce qui permettrait aux Etats-Unis de faire
jouer l’Alliance en Extrême-Orient dans le cadre de l’article 5, en oubliant dans ce cas-là que l’incident et l’appel au soutien se situeraient hors zone de couverture du traité de Washington.
C’est donc pour ne pas être entraîné dans un tel risque de cercle vicieux que l’OTAN n’a pas à
intervenir en Indo-Pacifique, l’objectif des Etats-Unis dans la région étant d’abord d’y défendre leurs intérêts propres
contre la Chine. Car ne soyons pas dupe, derrière le bien-fondé d’une protection de Taïwan le but de Washington est envers et contre tout de maintenir
sa suprématie en déclin face à une Chine en ascendance. Si les autres membres de l’OTAN, avec juste raison, peuvent se soucier
du devenir de Taïwan, ce n’est pas en se faisant solidaires d’une défiance américaine envers la République
populaire qu’ils sauvegarderont la paix de l’île, même si par ailleurs Pékin se montre verbalement agressif à l’égard de celle-ci. Voilà 74 ans que les
Taïwanais vivent avec l’épée de Damoclès au-dessus de leur tête, s’en accommodent, même si ce n’est pas confortable, et
parviennent à entretenir des relations, certes claudicantes politiquement, mais intéressantes sur le plan des affaires avec leurs confrères communistes.
Il n’est donc pas nécessaire, sous prétexte de vouloir sauvegarder la quasi-indépendance de Taïwan, d’exciter la vindicte
de Pékin en accroissant les visites officielles entre politiciens américains et taïwanais, rencontres apparaissant être autant de véritables
provocations qui ne font qu’attiser les menaces de Pékin. Preuves en sont les multiples manifestations aériennes et navales
chinoises d’intimidation quasi permanentes à proximité de l’île et de ses dépendances proches depuis au moins une décade, manœuvres dont le paroxysme a été le vaste exercice d’encerclement, avec tirs de 11 missiles à l’appui,
réalisé au début du mois d’août 2022, à la suite de la visite à Taipei de Nancy Pelosi, présidente de la chambre américaine des représentants.
Tout en maintenant une veille les Etats-Unis seraient bien avisés d’apaiser la situation en s’abstenant d’attiser l’ire
de Pékin. Ce qu’ils sembleraient cependant enclins à faire depuis très peu avec la visite du Secrétaire d’Etat Blinken en Chine les 18 et 19 juin, même
si les Chinois continuent de leur côté à refuser de reprendre le dialogue militaire. Cette visite a peut-être momentanément instauré un
répit entre les deux Etats mais il n’est pas dit qu’un retour à l’exacerbation des tensions soit circonscrit. Il suffirait pour cela que les Républicains reprennent le pouvoir aux Etats-Unis lors des prochaines élections présidentielles.
Se calmer sur Taïwan mais continuer à défendre le droit de la mer autour
A côté de cela apaiser la situation ne veut pas dire cesser les actions américaines, japonaises et
occidentales de présence en mer de Chine du Sud. Car là, comme dans le détroit de Taïwan, il s’agit d’abord de défendre
le droit international de la mer, droit que la Chine bafoue en permanence au travers de prétentions fallacieuses, prétentions qui ne sont reconnues par
quiconque, sauf exceptions, non seulement en Asie mais dans le monde entier, contrairement à ce qu’affirme sans se lasser la propagande péremptoire chinoise. Pour ce qui concerne la mer de Chine du Sud, de telles prétentions ont été
déboutées par la Cour permanente d’arbitrage de La Haye dans son jugement du 12 juillet 2016, dans l’affaire Philippines contre Chine, un
jugement que Pékin réfute puisqu’il ne va pas dans le sens de son interprétation erronée du droit de la mer, et que par conséquent il efface de jure
ses prétentions sur la quasi-totalité de la mer de Chine du Sud. Mais, compte tenu d’une telle position de négation, le problème n’est pas résolu de facto, pas plus que n’est celui du détroit de Taïwan et de la mer de Chine de l’Est.
Une réponse otanienne au service des Etats-Unis en Indo-Pacifique
La défense des intérêts américains contre les Chinois par Taïwan interposé, voilà donc la vraie raison qui pousse le
gouvernement américain à influencer l’OTAN dans la perspective d’une implication plus dense dans la grande région. Et la France a raison de se méfier
d’un tel renforcement dans la mesure où la perspective la plus préoccupante est celle d’un possible engagement militaire
ultérieur contre la Chine. A ce stade et dans une telle potentialité, l’on n’en est pas encore au projet de transferts de forces. Mais les voix se multiplient pour dénoncer la menace chinoise et pour renforcer davantage les liens avec les pays déjà
partenaires de l’OTAN. C’est le cas des Pays-Bas qui, dans leurs « orientations pour le renforcement de la coopération
hollandaise et européenne avec leurs partenaires en Asie », dans lesquelles ils s’érigent pratiquement en leaders de l’Europe,
veulent carrément impliquer l’OTAN, avec cependant pour l’heure une orientation autre que celle de venir au secours de Taïwan, celle en particulier de défendre le droit international de la mer. Mais il s’agit bien
d’une extension de la dimension de l’OTAN au-delà du théâtre atlantique. Quant à l’Allemagne, une telle insistance n’apparaît pas, de son côté, dans ses orientations pour l’Indo-Pacifique. Mais ses engagements militaires
récents et nouveaux dans la région doivent être considérés comme un signal.
Enfin, à un degré supérieur vient la création de l’AUKUS (Australie, Royaume uni, Etats-Unis) le 15
septembre 2021. Ainsi, petit à petit se construit, par pièces, un engagement plus fort de l’OTAN en Indo-Pacifique.
Mais cela conduira-t-il à son engagement armé au profit des Américains ? La perspective de servir de supplétifs ou de
forces d’appoint aux Etats-Unis pour défendre leurs intérêts en Indo-Pacifique contre la Chine par Taïwan interposé est l’argument qui doit être servi
au gouvernement de Washington sans sourciller, puisque c’est lui qui a la main sur l’OTAN, même si cela doit générer un peu de
brouille. Un conflit sino-américain demain en Extrême-Orient ne serait pas plus la guerre de l’OTAN que la guerre en Ukraine n’est aujourd’hui celle du Japon, de la Corée du Sud, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l’Asie du Sud-Est, de
l’Inde, même s’ils s’en inquiètent, à juste titre cependant.
L’ESCALADE EN COURS : UNE FRANCE « NON SUIVISTE » ET LES «SUIVISTES»
L’appel du Japon
L’autre argument qui plaiderait en faveur d’une intervention de l’OTAN dans la région est l’appel du Japon, qui se sent
forcément et à juste titre menacé des retombées potentielles d’un conflit sino-taïwanais puisqu’il se trouve géographiquement en première ligne. Dans ses
discours Fumio Kishida tente de convaincre que les intérêts de l’Europe et de l’Asie sont « inséparables » sur le plan stratégique. A cette fin il fait valoir que l’ennemi commun est la Russie puisqu’elle apparaît à la fois ennemie de l’Europe et
ennemie de l’Asie libre du Nord-Est depuis 2014, date à laquelle les
événements de la place Maïdan, à Kiev, ont poussé Moscou à se jeter dans les bras de Pékin. Ce qui n’a cependant pas
conduit à de quelconques accords formels entre Russes et Chinois, il faut le souligner, tels que traité, pacte ou autre format d’alliance formelle. Mais
cela n’empêche en aucun cas les deux compères de se livrer en bonne entente à de fréquents exercices navals et aériens d’intimidation du Japon dans son environnement international proche et autour de l’Etat-archipel.
Tokyo a donc toute légitimité pour exprimer ses craintes. Mais la raison n’est pas suffisante pour
appeler l’OTAN au secours puisque le Japon a déjà l’appui de Washington, qui n’est pas un mince
allié. L’argument de l’imbrication stratégique de l’Europe et de l’Indo-Pacifique est fallacieux à cause de ce Russe
dénoncé hostile commun aux deux pôles du continent eurasiatique.
En revanche là où le Japon n’a pas tort, c’est l’imbrication effective de l’Europe et de l’Extrême-
Orient sur le plan économique, que ce soit sur le plan des marchés, des échanges, des transports. Mais ce ne serait pas
une raison suffisante non plus pour engager militairement la France dans un cadre OTAN pour défendre Taïwan, le Japon, les Philippines, tous soutenus
par les Etats-Unis. Un conflit armé dans la région perturberait en effet gravement les relations économiques entre l’est et l’ouest
du continent eurasiatique. Mais de nombreux conflits antérieurs ont démontré que les difficultés créées par
des actes de guerre pouvaient techniquement se contourner même si sur le plan économique les troubles soudains grevaient les budgets nationaux.
L’invitation des AP4 aux sommets de l’OTAN
En tout état de cause, cette inquiétude, ce besoin de se sentir soutenu par une formation supérieure à celle des seuls
Etats-Unis, le Japon les a exprimés pour la première fois à Madrid, lors du sommet de 2022, auquel il avait été convié en même temps que les trois
autres partenaires des AP4. Nul doute que cette année encore, lors du sommet de Vilnius, où les AP4 ont à nouveau été invités, Kishida
les exposera à nouveau. Si les tourments du Japon face aux menaces russe et chinoise sont tout à fait compréhensibles, le sommet de l’OTAN, n’est pas le lieu pour les entendre. Ces invitations, qui se répèteront sans doute les années
prochaines, constituent un précédant encourageant pour justifier une amenée ultérieure de l’OTAN en Extrême-Orient. Elles constituent un nouveau pas en
avant dans un projet qui s’échafaude progressivement comme l’est l’intention d’accueillir la participation de la partie japonaise au Conseil Nord Atlantique et régulièrement aux réunions des responsables défense de l’OTAN.(7).
Troisième marche : L’installation envisagée d’un bureau de l’OTAN à Tokyo
Dans la trajectoire des démarches en ce sens s’inscrit la visite de Jens Stoltenberg le 31 janvier 2023 à Tokyo où, avec
le premier ministre japonais, les deux dirigeants ont exprimé leur « engagement à accroître » la coopération OTAN-Japon (8). S’inscrivent aussi les négociations en cours en vue de l’installation d’un bureau de liaison de l’OTAN dans la capitale japonaise
en 2024. Accéder à la demande japonaise serait pour l’OTAN mettre un pied opportun dans la place Indo-Pacifique. La France s’y oppose, avec en particulier l’argument des contenus des articles 5 et 6 quant à la zone de couverture du traité de
Washington. Et elle a raison, sachant qu’en contrepartie un tel refus ne signifie pas pour autant une réticence à contribuer à des actions communes de
coopération en bonne entente, de diverses manières, selon diverses configurations, bilatérales comme multilatérales, avec
divers partenaires, selon les situations présentes ou futures envisageables, dans toute la région Indo-Pacifique.
C’est ce qu’elle démontre déjà régulièrement au travers des diverses actions qu’elle mène en collaboration : Lutte contre la piraterie dans le golfe
d’Aden, surveillance de la pêche illégale en Pacifique sud, contribution au contrôle du respect de la résolution 2375 contre la Corée du Nord
(9) exercices militaires internationaux, comme celui auquel la frégate Lorraine a participé le 9 juin avec le
Japon, le Canada, les Etats-Unis en mer des Philippines, pour ne citer que quelques-unes de ses actions.
La France doit tenir ses positions sans sourciller
Devant toutes ces étapes cumulatives qui visent à parvenir au projet d’introduction de l’OTAN en
Indo-Pacifique, la France doit donc continuer à tenir une veille pointilleuse sur ces risques annoncés de détournement de
la vocation de l’Alliance. D’autant plus que depuis que le programme OTAN 2030 a été entériné, la position originale et personnifiée française est
fragilisée. Et elle est susceptible d’être balayée tant les sous-entendus d’aspiration à l’abandon du consensus au profit de la prise
de décisions transpire dans « OTAN 2030 », même s’il y est écrit : « Le consensus est l’une des pierres angulaires de l’Alliance »(10). Mais il y est aussi dit : «Pourtant, ces dernières années, il est arrivé de plus en plus souvent que des pays bloquent des décisions à eux seuls »(11) . La France est donc clairement visée et il n’y a
pas lieu de se laisser impressionner par de tels propos face à l’autoritarisme sous-jacent. Ce serait démissionner sous la pression.
La veille française doit aussi se poursuivre sur les autres risques de contournement du traité en ce sens que justement
la direction de l’OTAN, se sentant bridée de ne pas pouvoir prendre de décisions immédiates, avance un certain nombre de propositions telles que
:
- « L’OTAN devrait créer, au sein des structures existantes de l’Alliance, un mécanisme plus
structuré pour la formation de coalitions. L'objectif serait que les Alliés puissent placer de
nouvelles opérations sous la bannière OTAN même si tous ne souhaitaient pas participer à
une éventuelle mission »(12). Autrement dit, si l’on applique le raisonnement au théâtre Indo-
Pacifique, le projet ouvrirait la porte à une action de l’OTAN sans la France et sans son avis contre la Chine, quelle
que soit la partie à soutenir, Taïwan, Etats-Unis, Japon, Corée du Sud, Philippines.
- « L’OTAN devrait envisager de renforcer le secrétaire général dans son rôle de chef en lui
déléguant le pouvoir de décision sur les questions de routine et en l’encourageant à mettre lesdossiers sensibles sur la table aussi tôt que possible. Le secrétaire général pourrait ainsi consacrer davantage d'attention aux questions
stratégiques sans mettre à mal le principe du consensus »(13)
Par voie de conséquence, tout se mettrait en place pour que, par effet d’entraînement lié à sa qualité de membre de
l’OTAN, la France soit happée contre son gré, et même ses intérêts, dans un conflit sino-américain à cause de Taïwan. Or elle n’aurait aucune raison de
s’impliquer dans une guerre suscitée par les Etats-Unis, et aux côtés des Etats-Unis, au profit des intérêts primordiaux de Washington, contre la Chine, sous le couvert d’une défense de Taïwan. Si soutien à apporter à Taïwan dans les moments difficiles que
rencontrerait l’île il appartiendrait à Paris d’en décider librement, selon ses moyens et sa capacité, sans pour autant se laisser engluer dans le piège
d’une coalition. « Ne pas être suiviste » des Etats-Unis et de leurs inconditionnels de l’OTAN s’impose encore
davantage à la lumière de ce risque de dévoiement des règles historiques du traité de l’Alliance. En ce sens le président de la République a mille fois raison de tenir une position de fermeté et devrait la maintenir lors du sommet de
Vilnius.
Il doit en être ainsi parce que, malgré le dépouillement de ses capacités militaires, conséquence de l’argument
tendancieux qui a été celui du « recueil des dividendes de la paix », la France dispose encore de quelques moyens qui lui permettent de démontrer
qu’elle est encore une puissance qui compte. Elle est d’ailleurs actuellement en train de renforcer cet affichage avec les opérations
Pégase en Indo-Pacifique, celle de 2023 l’amenant à déployer, entre le 25 juin et le 3 août, 10 Rafale,
quatre avions de transport A400M et cinq de ravitaillement A330, un déploiement en parallèle à l’affirmation française de présence en mer de Chine du Sud avec l’expédition de la frégate « Lorraine ». Une telle projection aérienne de puissance
est en cours avec escales dans dix pays d’Indo-Pacifique et exercices communs à la clé. Il n’y a donc pas de raison pour que la France, parce qu’elle a
des arguments, ne puisse pas faire entendre sa voix, même si elle est dissonante et dérangeante pour les Etats-Unis et les Européens inconditionnellement otaniens.
Les Allemands en Indo-Pacifique
Dernier projet annoncé en date par le ministre allemand de la défense Boris Pistorius lors des
dialogues du Shangri la 2023 : Celui du déploiement de deux navires de guerre en Indo-Pacifique en 2024 pour y «
renforcer la coopération en vue de construire un Indo-Pacifique libre et ouvert »,
formule synthétique qui demande toutefois une certaine exégèse pour en déterminer le concret.
Néanmoins si le but est effectivement celui qu’annonce Pistorius et qu’il se concrétise par une
présence visible significative en mer de Chine du Sud et de transit par le détroit de Taïwan, il est
louable. Il est louable en ce sens que, faute de pouvoir contraindre Pékin d’y respecter les
engagements qu’il a pris en ratifiant la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, une telle manifestation
entre parmi celles qui sont destinées à le convaincre de changer de position, quand bien même l’idée relève de l’utopie aujourd’hui. Mais si l’objectif
d’une telle expédition programmée est de procéder à une opération écran d’un éventuel projet de transfert de capacités otaniennes
vers l’Indo-Pacifique, alors un pas de plus sera fait dans la direction recherchée par l’Organisation, les Etats-Unis, le Japon.
CONCLUSION
Au total, sous prétexte de soutenir Taïwan contre la menace chinoise, il n’y a cependant aucun lieu pour la France de
risquer de se trouver impliquée dans un éventuel conflit qui serait avant tout sino-américain, que ce conflit soit suscité par l’un ou par l’autre, soit pour
ramener l’île à la Chine, soit pour la défendre contre les ambitions de Pékin.
La menace chinoise existe bel et bien à l’encontre de Taïwan mais il n’est nullement nécessaire de
l’exciter comme l’ont fait encore jusqu’à très peu les Etats-Unis. Il n’est nullement nécessaire de
l’exacerber en projetant d’amener l’OTAN en Asie-Pacifique, un projet qui pourra n’être considéré
que comme hostile par Pékin, et pour cause.
S’en abstenir ne serait en aucun cas démissionner devant l’ambition chinoise. Mais le maintenir ne peut qu’aviver les
tensions au lieu d’amener un minimum de sérénité dans la région quand par ailleurs l’objectif international est d’abord de cont