Au Mali, la négociation avec les terroristes mise à mal

Pour l’opinion africaine la guerre perdure parce que « les soldats français sont là »

Source : https://www.letelegramme.fr/france/au-mali-la-negociation-avec-les-terroristes-mise-a-mal-07-04-2020-12536634.php

L’opinion africaine considère aujourd’hui inutile la présence des militaires français du dispositif Barkhane, incapable, à ses yeux, « avec leurs avions, leurs hélicoptères et leurs drones, d’arrêter
L’opinion africaine considère aujourd’hui inutile la présence des militaires français du dispositif Barkhane, incapable, à ses yeux, « avec leurs avions, leurs hélicoptères et leurs drones, d’arrêter les terroristes ». (AFP)

 

Vingt-cinq soldats maliens ont été tués et six blessés, lundi, dans la région de Gao, dans le nord du pays en guerre, au cours d’une nouvelle attaque attribuée à des jihadistes, a indiqué le gouvernement malien. Une attaque qui intervient alors que des contacts avaient été noués entre le gouvernement du président Keïta et des mouvements jihadistes ces dernières semaines. Le chemin de la paix reste pavé de morts. 

 

Depuis plusieurs mois, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta , surnommé IKB, ne cherchait plus à le cacher. Le mois dernier, il a reconnu que des contacts avaient été établis avec des chefs des mouvements djihadistes après sept ans de guerre. « J’ai le devoir et la mission de créer tous les espaces possibles et de tout faire pour que, par un biais ou un autre, nous parvenions à un apaisement. Il est temps que certaines voies soient explorées… », a déclaré IBK au micro de RFI et France 24, très écoutées en Afrique.

 

 

L’échec de la force Barkhane

Alors que jusqu’ici le président malien estimait qu’il n’avait rien à dire à ces terroristes, il avait changé d’avis face à son opinion publique, favorable aux discussions pour arrêter les tueries qui se succèdent depuis septembre dernier dans une offensive sans précédent des GAT, les groupes armés terroristes. Ces derniers ont abattu des centaines de soldats africains dans la région des trois frontières, où se rejoignent le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Un désastre militaire qui implique les forces françaises du dispositif Barkhane, premier soutien de leurs partenaires locaux qui s’effondrent un peu plus à chaque attaque des djihadistes.

 

Conséquence : l’opinion africaine considère aujourd’hui inutile la présence des militaires français, incapable, à leurs yeux, « avec leurs avions, leurs hélicoptères et leurs drones, d’arrêter les terroristes ». Pour elle, si la guerre perdure, c’est parce que « les soldats français sont là », sans vraiment voir que sans l’opération Barkhane, les djihadistes seraient déjà probablement au pouvoir. La mort au Mali de 13 militaires français dans deux hélicoptères en novembre 2019 et la convocation par Emmanuel Macron, en janvier à Pau, des chefs d’État du G5 Sahel pour que cesse le dénigrement des soldats français, n’a pas modifié le ressenti de la rue à Bamako ou Ouagadougou. Les renforts et les moyens d’observations supplémentaires français pour remédier au manque criant de renseignements, n’ont pas changé la donne. Les groupes armés se sont disséminés ou ont quitté la zone. L’attaque de ce lundi montre qu’ils restent déterminés à frapper durement.

 

Des djihadistes qui ont fait allégeance à Daesh

Pas de quoi rassurer les dirigeants africains. Au Burkina Faso, les électeurs, méfiants avec l’ex-puissance coloniale depuis l’assassinat en 1987 de leur chef charismatique, Thomas Sankara, devront élire un nouveau président en novembre prochain et au Mali, le mandat des députés doit être renouvelé en avril. Difficile pour les candidats d ‘aller contre leur opinion publique remontée contre un dispositif français au Sahel qui marque le pas. Reste la négociation, risquée mais qui a déjà eu lieu en Algérie, confrontée pendant la décennie des années 90 à une salle guerre entre pouvoir et islamistes.

 

Au nom de la concorde civile, le président Bouteflika avait amnistié plusieurs milliers de terroristes qui, officiellement, n’avaient pas de sang sur les mains. En Afghanistan, les États-Unis viennent de signer un accord avec les Talibans après 17 ans de guerre. Dans les deux cas, les négociations ont eu lieu avec des islamistes armés nationaux, et non pas étrangers. Au Mali, le président Keïta a nommé un haut représentant pour suivre ce processus, autorisé des démarches avec le chef peul Amadou Koufa et, dans une moindre mesure, avec le chef touareg Iyad Ag Ghali. Leurs groupes, pourtant très combatifs, n’ont pas été cités par Emmanuel Macron. Il a désigné comme ennemis les djihadistes de l’émir Al Saraoui, qui a fait allégeance à Daech, l’organisation que la France a combattue en Syrie.

 

Le Drian pousse les responsables maliens à la réconciliation

L’initiative malienne provoque cependant des réactions mitigées côté français où, contrairement à Donald Trump qui souhaite sortir au plus vite du bourbier afghan, la solution pour pouvoir quitter le Sahel était annoncée aux ministères des Armées et à celui des Affaires étrangères pas avant une dizaine d’années. Fervent partisan du dispositif Barkhane sous François Hollande, Jean-Yves Le Drian a infléchi son analyse alors qu’il considérait, il y a peu, que les groupes armés du Sahel menacent l’Europe. C’est qu’à l’Élysée, une négociation au Sahel n’est plus un sujet tabou pour arrêter une surenchère militaire qui ne donnera jamais de victoire, comme l’a dit fin 2019 le chef d’état-major de l’armée. Le 25 février, en marge du sixième sommet du G5 Sahel, Jean-Yves Le Drian a précisé que « les responsables maliens doivent prendre les initiatives qui conviennent pour que les réconciliations puissent se faire », précisant toutefois qu’il ne peut y avoir d’impunité pour les terroristes, alors qu’ils ont d’abord tué des Maliens dans cette guerre civile, contrairement aux islamistes venus de Syrie pour perpétrer des attentats en France.

  

Au Sénat à Paris, l’ambassadeur du Mali a, lui, précisé qu’il existe « des lignes rouges » à propos de la charia, la situation des femmes, l’intégrité territoriale. « Même si on trouvait une solution d’entente, ceux qui ont du sang sur les mains devront en rendre compte », a-t-il ajouté à propos de l’impunité qui risque, à terme, de rester toutefois un vœu pieux pour les Maliens, prêt à payer le prix pour que la paix revienne.

 

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