ISRAËL

Les frappes de missiles qui ont tué la dissuasion israélienne.


Par notre correspondant en Palestine – Le 18 avril 2023 –  Source The Cradle

Israël est actuellement confronté à un défi unique et redoutable : Une force irrégulière multi-frontale qui représente une menace plus grande pour l’État que les armées arabes traditionnelles du passé. Cette force irrégulière se distingue par l’introduction de la guerre des missiles et d’un front véritablement uni, qui ont modifié les règles d’engagement et contraint l’État d’occupation à s’adapter en toute hâte.

Contrairement aux adversaires israéliens précédents, cette force irrégulière est composée de divers acteurs étatiques et non étatiques qui opèrent sur plusieurs fronts. Leurs tactiques et stratégies non conventionnelles, notamment la guérilla et la guerre asymétrique, créent un environnement de combat complexe et imprévisible pour Israël.

 

Pluie de missiles en avril

Cette situation a été illustrée au cours de la première semaine d’avril 2023, lorsque la Résistance a tiré des missiles sur Israël à partir de trois fronts territoriaux distincts. La tournure inattendue des événements a pris les politiciens israéliens au dépourvu, les obligeant à revenir sur leurs provocations dans la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem et à geler temporairement la circulation des extrémistes juifs dans l’enceinte musulmane.

Le premier effet des missiles de la résistance a été la décision israélienne, prise le 12 avril, d’empêcher les Juifs d’entrer dans la mosquée Al-Aqsa jusqu’à la fin du mois islamique du Ramadan. Cette décision n’était pas fondée sur les tensions dans les territoires palestiniens occupés ou sur les crises internes d’Israël sous le gouvernement d’extrême droite du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Il s’agit plutôt d’une réponse à l’érosion de la dissuasion israélienne qui s’est effondrée sous la force des missiles de la résistance.

La Résistance ouvre de nouveaux fronts

La décision d’apaiser les tensions dans la mosquée Al-Aqsa est une reconnaissance par Israël du fait que la résistance a pris le dessus en coordonnant ses assauts sur plusieurs fronts : tirs de roquettes depuis Gaza, attaques de missiles depuis le Liban, ciblage de sites israéliens dans le Golan occupé depuis la Syrie.

Dans la bande de Gaza, les factions de la résistance ont tiré de nombreuses roquettes sur les colonies juives autour de Gaza, démontrant ainsi leur capacité et leur volonté de frapper profondément le territoire israélien.

Au Liban, trois salves d’environ 30 missiles ont été tirées sur des colonies de Galilée occupée, blessant trois colons. Il s’agit du plus grand nombre de missiles lancés depuis le Liban depuis la guerre de juillet 2006.

Depuis la Syrie, deux salves de missiles ont été tirées sur des sites israéliens dans le Golan occupé. Si la première salve n’a touché aucune cible, la seconde a visé des sites et des colonies, entraînant l’activation du système de défense Dôme de fer par l’armée israélienne.

Les choses ont pris une tournure inattendue lorsque le front du Sinaï est entré dans la mêlée, avec des informations selon lesquelles l’armée égyptienne aurait « contrecarré » un tir de missiles en direction du port d’Eilat, dans le sud d’Israël. Une source au sein de l’Axe de la Résistance a déclaré à The Cradle que « la Résistance était, sans aucun doute, responsable du déplacement du front du Sinaï pour envoyer un message à l’ennemi qu’il ne devrait pas se sentir non plus en sécurité à la frontière avec l’Égypte« .

L’incident du Sinaï a fait l’objet d’un black-out médiatique notable, car il n’était « pas dans l’intérêt d’Israël de révéler ce qui s’est passé dans le Sinaï en raison de nombreuses considérations internes« , et, ajoute la source, il n’était pas non plus dans l’intérêt de l’Égypte de reconnaître ses propres lacunes en matière de sécurité.

Éviter la colère du Hezbollah

La tentative d’Israël de rendre le Hamas responsable des tirs de roquettes en provenance du Liban – tout en évitant de mentionner un rôle potentiel du Hezbollah – a été perçue comme un effort pour éviter une confrontation avec le groupe de résistance libanais et pour limiter sa réponse au HamasContredisant le récit militaire officiel, Netanyahou a affirmé qu’Israël avait riposté contre des cibles du Hezbollah au Liban, alors que les médias hébreux ont rapporté que les responsables militaires avaient spécifiquement déconseillé de frapper les positions du Hezbollah, car cela risquait d’aggraver le conflit.

La réponse de Tel Aviv aux tirs de roquettes s’est limitée à des frappes sporadiques, ce qui indique clairement qu’Israël tente de sauver la face sans aggraver la situation. Cela a eu des conséquences immédiates : Israël a été contraint d’accepter les équations imposées par la résistance et n’est plus en mesure de risquer une escalade potentielle qui pourrait conduire à une guerre totale sur plusieurs fronts.

Diminution de la force de dissuasion d’Israël

L’ancien chef de la division du renseignement militaire israélien, Amos Yadlin, a soulevé des questions importantes dans une série de tweets le 9 avril. Il a mis en évidence trois considérations essentielles pour les décideurs israéliens dans la situation sécuritaire actuelle :

Premièrement, Yadlin s’est demandé si l’événement sécuritaire se limitait à une seule organisation ou s’il impliquait « l’ensemble de l’axe radical« , y compris l’Iran, le Hezbollah et le Hamas.

Deuxièmement, il a demandé si la dissuasion israélienne s’était érodée au point de nécessiter une action pour la restaurer, ou si la politique actuelle d’endiguement était suffisante.

Enfin, Yadlin a insisté sur la nécessité d’élaborer une stratégie susceptible de rétablir la dissuasion sans entraîner une escalade dans un conflit à part entière, en particulier dans le nord du pays. Comme beaucoup d’autres personnalités politiques et militaires israéliennes au cours du mois dernier, Yadlin a également souligné que l’érosion de la dissuasion israélienne peut avoir été influencée par des facteurs tels que les divisions internes, les relations tendues avec les États-Unis et les craintes de guerre.

Réécrire les règles

Les récents tirs de roquettes sur plusieurs fronts par la résistance n’étaient pas une coïncidence, mais une action soigneusement planifiée avec des messages clairs à l’intention de l’ennemi. L’activation des fronts au Liban et en Syrie est une initiative conjointe de la résistance visant à modifier les « règles d’engagement » et à saper les capacités de dissuasion israéliennes.

Ce faisant, la résistance a exploité les nombreuses vulnérabilités actuelles d’Israël : une crise interne généralisée, des relations américano-israéliennes tendues et la préoccupation de son armée en Cisjordanie.

Selon la source de l’axe de la résistance, « le message que l’axe de la résistance voulait transmettre à l’ennemi est que dans toute guerre à venir, plus d’un front sera ouvert avec l’ennemi dans le cadre du nouveau paradigme de « l’unité des fronts »« . La source a souligné que la décision à cet égard est entre les mains du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah.

L’analyste politique palestinien Hassan Lafi explique à The Cradle l’objectif des frappes conjointes de la résistance et pourquoi il fallait le faire :

« L’une de ces [nouvelles] règles est que Jérusalem n’est pas seulement pour les Palestiniens, mais pour la nation islamique et arabe« , cite Nasrallah après la bataille de Sayf al-Quds en 2021, lorsqu’il a déclaré : « violer les lignes rouges, c’est-à-dire Jérusalem et la mosquée Al-Aqsa, signifie le déclenchement d’une guerre régionale. »

L’unité des fronts

Lafi a souligné que les tirs de roquettes sur plusieurs fronts démontrent « la sincérité et le sérieux » de l’axe de la résistance dans l’imposition de cette équation. Il a fait remarquer que « l’unité des fronts » est devenue une approche pratique qui « a semé la confusion dans l’occupation et sapé la force de dissuasion israélienne« .

Comme l’explique Yasser al-Masri, un responsable du mouvement palestinien Fatah, à The Cradle :

« L’unité des fronts est une idée effrayante pour Israël. Les tirs de roquettes depuis le Liban sans qu’aucune partie n’en revendique la responsabilité, ainsi que depuis le plateau du Golan, ont terrifié et désorienté Israël. Nous l’avons vu dans la décision de Netanyahou d’empêcher les incursions des colons dans Al-Aqsa pendant le mois de Ramadan. »

Malgré les rumeurs croissantes sur la possibilité qu’Israël – avec le soutien des États-Unis – se prépare à une frappe majeure contre l’Axe de la Résistance ou à cibler l’un de ses fronts, Lafi a exclu la probabilité d’une guerre déclenchée par Israël ou les États-Unis qui pourrait échapper à tout contrôle, en particulier à cause de l’attention militaire que Washington porte ailleurs : « La dernière chose que veulent les Américains, c’est une nouvelle guerre en plus de la guerre en Ukraine. »

De même, les divergences croissantes entre Tel-Aviv et Washington « signifient qu’Israël n’est pas en mesure de se lancer dans une bataille ouverte avec l’ensemble de l’axe de la résistance sans le feu vert américain« , prévient-il.

Le front de Cisjordanie

Lafi souligne que deux facteurs clés incitent Israël à envisager avec prudence l’option de lancer une guerre contre la vulnérable bande de Gaza, son traditionnel bouc émissaire. Premièrement, Tel-Aviv ne sait pas si les forces de résistance de la région permettront à Israël d’isoler et de cibler un seul front.

Deuxièmement, le renouveau de la résistance en Cisjordanie, qui n’est plus neutre comme elle l’a été par le passé. Si Israël devait mener une guerre ouverte contre Gaza, rien ne garantit qu’il n’y aurait pas de répercussions en Cisjordanie, où des opérations commando sont lancées quotidiennement par de jeunes Palestiniens.

Si la Cisjordanie constitue un deuxième front évident pour Israël, elle représente également une faiblesse importante pour Tel-Aviv, dont l’armée déploie déjà plus de 50 % de ses forces de combat dans la seule Cisjordanie. Ces chiffres n’ont fait qu’augmenter au cours des cinq derniers mois d’affrontements, certaines sources affirmant que plus des deux tiers de l’armée israélienne sont désormais déployés dans cette région.

En substance, cela signifie que l’armée israélienne est actuellement incapable d’ouvrir un autre front.

Les craintes des Israéliens deviennent réalité

Avril 2023 ressemble beaucoup à avril 2002, pendant la seconde Intifada, lorsque l’armée israélienne se concentrait sur l’étouffement du soulèvement en Cisjordanie, tentant de consolider de nouvelles équations et de transformer la cause palestinienne en une affaire interne à l’État hébreu.

Durant cette période, la résistance libanaise a mené une série de frappes sur la frontière nord afin de détourner l’attention de l’ennemi de la Cisjordanie et d’ouvrir un second front pour épuiser ses forces. Cependant, le Premier ministre israélien de l’époque, Ariel Sharon, n’a pas mordu à l’hameçon tendu par la résistance libanaise.

De même, Zohar Balti, ancien chef du comité de sécurité politique du ministère israélien de la défense, ancien chef de la direction des renseignements du Mossad et ancien adjoint du département de recherche des renseignements militaires israéliens, a exhorté les dirigeants israéliens à « ne pas se laisser entraîner dans l’embuscade stratégique que Nasrallah nous a tendue« .

« L’opération au Liban ira à l’encontre de nos intérêts et de ceux de l’administration américaine. Avant de prendre toute mesure préventive au Liban, Israël doit parvenir à une coordination opérationnelle avec les États-Unis« , déclare M. Balti.

Mais les tensions persistantes en Cisjordanie ont une fois de plus permis à l’axe de la résistance d’exploiter l’érosion de la dissuasion israélienne et d’établir de nouvelles sources de confrontation sur plusieurs fronts à la fois.

Cette fois-ci, les missiles provenaient de trois fronts. Ce qui effraie le plus Tel Aviv, c’est son incapacité à répondre de manière « disproportionnée » à ces attaques – et les personnes que cela peut enhardir. Les Israéliens craignent non seulement que l’axe de la résistance détermine désormais les règles d’engagement, mais aussi qu’à l’avenir, cette réponse inclue des missiles et des drones venant de plus loin, d’Irak et du Yémen.

Notre correspondant en Palestine

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

Israël contraint de modifier drastiquement ses choix stratégiques

Source : Le courrier des Stratèges - Par Edouard Husson - Le 28/04/2023.

 

Synthèse géopolitique n°10: Israël contraint de modifier drastiquement ses choix stratégiques

BRENNUS – C’est l’un des tournants les plus spectaculaires provoqués par la guerre d’Ukraine. L’Etat d’Israël, traditionnellement un pilier du dispositif international des Etats-Unis, est en train de chercher une autre organisation de sa sécurité nationale.

Une des conséquences les plus visibles de la guerre en Ukraine, c’est la modification rapide de l’environnement géopolitique d’Israël.

La politique erratique d’Obama et Biden a brouillé les repères de l’Etat hébreu

Depuis la présidence de Barack Obama (2008-2016), les cadres traditionnels de cette dernière étaient ébranlés. En effet, le président américain de l’époque avait pris deux décisions qui ne correspondaient pas aux vues israéliennes :

+ il avait décidé un rapprochement avec l’Iran.

+ il n’avait pas déclenché les frappes sur la Syrie qui auraient pu faire tomber le régime d’Assad en 2013. Et la Syrie a été définitivement stabilisée par l’intervention russe contre Daech à partir de 2015.

Avec Donald Trump, la politique des Etats-Unis revint dans le cadre dessiné par Richard Nixon. (1) Dégager les USA de guerres interminables. (2) Affirmer un soutien sans ambiguïté aux revendications israéliennes depuis la guerre des six jours (reconnaître Jérusalem comme capitale). (3) Organiser la paix entre Israël et les pays du Golfe – plus largement les Etats-Unis de Trump reviennent à « l’alliance sunnite » contre le chiisme iranien.

Joe Biden avait été le vice-président de Barack Obama. Il est donc en partie revenu à la politique qu’il avait connue. Mais, en fait, c’est la guerre en Ukraine qui change définitivement les repères traditionnels.

+ d’une part, l’Iran sort renforcé de l’affrontement entre la Russie et le monde occidental. Le déclenchement de la guerre a fait s’enliser la relance de l’accord sur le nucléaire iranien. Surtout, les liens entre la Russie et l’Iran se sont renforcés, avec une coopération à la fois économique et militaire.   

+ les pays du Golfe sont en train de prendre leurs distances avec les Etats-Unis. En particulier l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis envisagent de faire une partie de leurs transactions commerciales dans d’autres monnaies que le dollar. Et on commence à évoquer une candidature aux BRICS d’un certain nombre de pays arabes.

Les Etats-Unis voudraient forcer Israël à lâcher la Russie

Comme ils l’ont fait avec tous leurs alliés, les Etats-Unis ont mis sous pression l’Etat d’Israël pour qu’il prenne position contre la Russie et livre des armes à l’Ukraine. En réalité, Israël cherche à maintenir à tout prix une position de neutralité. A cela deux raisons :

+ premièrement, le poids des citoyens israéliens d’origine russe est important : Près d’un million sur les 8 millions de l’Etat d’Israël. Aucun candidat au poste de Premier ministre en Israël ne peut aller contre ce bloc.

+ deuxièmement, Israël voit plus d’avantages que d’inconvénients à l’entrée de la Russie dans le jeu complexe du Proche-Orient. La Russie peut parler avec tous les Etats de la région, ce qui n’est pas le cas d’Israël – et permet à cette dernière de faire passer des messages par l’intermédiaire de la diplomatie russe.

Fondamentaux de la géopolitique d’Israël

Pour bien comprendre la mutation des positions géopolitiques d’Israël, il faut avoir en tête les points suivants :

+ Israël ne dépend plus, économiquement parlant, des USA. Le dynamisme de la start-up nation en fait l’une des plus belles réussites de la troisième révolution industrielle.

+ Même si cela n’a jamais été officialisé, Israël possède l’arme atomique.

+ les accords de réconciliation et de paix signés durant l’ère Trump (en particulier les accords d’Abraham avec les Emirats Arabes Unis et Bahrein) ont survécu au départ de la Maison Blanche du 45è président des Etats-Unis.

Instabilité de l’environnement proche…

Une fois que l’on a repéré ces éléments de stabilité, force est de constater que les vingt dernières années ont créé une situation d’instabilité chronique dans l’environnement proche. On en a eu encore une preuve dans la première semaine d’avril, lorsque l’Etat d’Israël a dû faire face à une attaques de missiles coordonnée. Selon The Cradle, il s’agit de :

« tirs de roquettes depuis Gaza, attaques de missiles depuis le Liban, ciblage de sites israéliens dans le Golan (…)  depuis la Syrie.

Dans la bande de Gaza, les factions (…) ont tiré de nombreuses roquettes sur les colonies juives autour de Gaza, démontrant ainsi leur capacité et leur volonté de frapper profondément le territoire israélien.

Au Liban, trois salves d’environ 30 missiles ont été tirées sur des colonies de Galilée occupée, blessant trois colons. Il s’agit du plus grand nombre de missiles lancés depuis le Liban depuis la guerre de juillet 2006.

Depuis la Syrie, deux salves de missiles ont été tirées sur des sites israéliens dans le Golan (…). Si la première salve n’a touché aucune cible, la seconde a visé des sites et des colonies, entraînant l’activation du système de défense Dôme de fer par l’armée israélienne.

 Les choses ont pris une tournure inattendue lorsque le front du Sinaï est entré dans la mêlée, avec des informations selon lesquelles l’armée égyptienne aurait « contrecarré » un tir de missiles en direction du port d’Eilat, dans le sud d’Israël. Une source au sein de l’Axe de la Résistance a déclaré à The Cradle que « la Résistance était, sans aucun doute, responsable du déplacement du front du Sinaï pour envoyer un message à l’ennemi qu’il ne devrait pas se sentir non plus en sécurité à la frontière avec l’Égypte«».

…et nécessité de définir un nouvel ordre de sécurité régional

La question première pour Israël est de savoir quelle attitude générale adopter. Pendant des décennies, le bouclier américain a permis d’avoir une attitude (1) de guerre froide avec la Syrie, (2) de confrontation permanente avec les milices agissant depuis l’environnement proche et (3) d’intransigeance complète face à l’Iran. Une telle attitude n’est plus tenable : La nouvelle constellation géopolitique pousserait à une négociation pour un nouvel ordre régionale, fondé sur un équilibre des puissances modifié par le retrait partiel des USA et l’arrivée de la Russie dans le jeu proche-oriental.

Cependant le passage d’une situation de guerre froide à celle de construction d’une organisation de la sécurité proche-oriental (qui devra inclure la Turquie) prendra à première vue du temps. D’abord parce que les Etats-Unis auront la tentation de maintenir une forme de contrôle sur Tel-Aviv – il se dit que les manifestations hostiles à la réforme de la justice par Netanyahou ont été regardées d’un très bon œil à la Maison-Blanche. Ensuite dans la mesure où la confrontation permanente est ancrée dans les réflexes de tous les acteurs de la région. Pour autant, la réconciliation entre l’Arabie Saoudite et l’Iran sous l’égide de la Chine donnent à penser que nous ne sommes pas au bout de nos surprises

Malaise en Israël alors que les États-Unis épuisent leurs réserves pour alimenter la guerre en Ukraine

par The Cradle - Le 30/04/2023.

Des responsables israéliens se sont inquiétés de la diminution des stocks de munitions américaines entreposées dans le pays, car ces derniers mois, Washington a discrètement expédié l’armement vers l’Ukraine via le port d’Ashdod.

« Il s’agit des stocks de réserve d’Israël pour les temps de guerre… Le mouvement a eu une plus grande implication à la lumière des menaces qui pèsent sur Israël sur plusieurs théâtres », a déclaré un ancien ministre anonyme à Israel Hayom.

« L’équipement américain stocké en Israël a été remis aux forces armées américaines, conformément à une demande américaine », a déclaré l’armée israélienne en réponse à une question posée par le média.

Un responsable américain a également confirmé qu’« on ne sait toujours pas quand les réserves seront réapprovisionnées », alors que la machine de guerre américaine est passée de l’alimentation du conflit en Asie occidentale à de nouveaux fronts en Ukraine et à Taïwan.

Alors que Kiev se prépare à une offensive de printemps cruciale contre l’armée russe, les États occidentaux se démènent pour fournir à la nation européenne un arsenal suffisant pour renverser le cours de la guerre, car les troupes ukrainiennes utiliseraient 90 000 obus d’artillerie par mois, soit deux fois plus que la production des États-Unis et de l’Europe réunis.

Des informations selon lesquelles l’armée américaine aurait puisé dans ses stocks de réserve en Israël ont fait surface pour la première fois en janvier.

« Le 17 janvier, le New York Times a révélé que le Pentagone avait puisé dans un vaste stock peu connu de munitions américaines en Israël pour répondre aux besoins urgents de l’Ukraine en matière d’obus d’artillerie. »

« Tel-Aviv aurait accepté d’autoriser les livraisons à condition que le Pentagone reconstitue le stock, Washington s’étant engagé au début de l’année à « expédier immédiatement des munitions en cas d’urgence grave ».

Selon Israel Hayom, « l’accord implicite » entre Tel-Aviv et Washington était que les munitions stockées dans les installations militaires américaines « seraient réservées à Israël en cas d’urgence si l’État juif devait faire face à une attaque majeure de l’ampleur de celle de la guerre du Kippour de 1973. »

Le malaise dans l’État de l’apartheid s’est également accentué en raison de la froideur du président Joe Biden à l’égard du premier ministre Benjamin Netanyahou et du rapprochement en cours entre l’Iran et plusieurs États arabes sous les auspices de la Chine.

source : The Cradle via L’Échelle de Jacob

Israël-Palestine : De la colonisation à l’apartheid, en ligne droite

par Alain Gresh - Le 03/05/2023.

L’annonce du débat du 4 mai 2023 à l’Assemblée nationale française autour d’une résolution condamnant « l’institutionalisation par l’État d’Israël d’un régime d’apartheid consécutif à sa politique coloniale » a suscité protestations outragées, rugissements d’indignation et accusations prévisibles d’antisémitisme. Ces réactions s’expliquent souvent par un aveuglement sur la réalité coloniale du sionisme.

Apartheid ? Comment osez-vous ? Jusqu’au président de la République française Emmanuel Macron qui gronde contre l’utilisation « à mauvais escient de termes historiquement chargés et infamants pour décrire l’État d’Israël ». Le Parlement israélien n’a pas ces pudeurs de nombre de responsables politiques français quand il entérine publiquement cet état d’apartheid en adoptant une loi fondamentale à valeur constitutionnelle, le 19 juillet 2018, intitulée « Israël en tant qu’État-nation du peuple juif », dont l’article 1 proclame haut et fort : « L’exercice du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est réservé au peuple juif », droit refusé aux Palestiniens citoyens du même État, mais accordé à un juif installé en Argentine ou en Ukraine. Et le nouveau gouvernement de Benyamin Netanyahou a gravé dans son programme que le peuple juif a « un droit inaliénable et exclusif sur toutes les parties de la Terre d’Israël » et va développer la colonisation en « Galilée, dans le Néguev, dans le Golan et en Judée Samarie ».

S’il est si déstabilisant pour certains d’accepter cette réalité d’apartheid pointée par beaucoup d’organisations de défense des droits humains, c’est parce qu’elle remet en cause nombre de mythes sur le sionisme et l’État d’Israël dans lequel des personnes de bonne foi voient une sorte de miracle, de « renaissance du peuple juif sur la terre de ses ancêtres », une juste réparation de l’Holocauste. Autant d’éléments qui ont contribué à absoudre le mouvement sioniste de son péché originel : sa dimension coloniale.

« Une terre vide »

À partir des « grandes découvertes », au XVe siècle se développe un grand mouvement de conquête par l’Europe des autres continents, qui entre dans l’histoire sous le nom de « colonialisme ». Dans son livre « Terra nullius »1, le journaliste suédois Sven Lindqvist précisait la définition de ces « terres vides » que l’on pouvait conquérir :

« Au Moyen-Âge, c’est la terre qui n’appartient à aucun souverain chrétien. Plus tard, c’est celle qu’aucun pays européen n’a encore revendiquée, la terre qui revient de droit au premier pays européen à l’envahir. Une terre vide. Une terre déserte. »

Le colonialisme se déploya en deux versions : dans la majorité des cas, les pays conquis furent dirigés par quelques milliers d’administrateurs et soldats de la métropole ; en revanche, le « colonialisme de peuplement » s’accompagna de l’installation massive d’Européens – comme en Amérique du Nord, Afrique australe, Algérie, Nouvelle-Zélande, Australie et, dernier exemple en date, en Palestine (mais dans un contexte historique différent, celui du XXe siècle et du début des grands mouvements anticoloniaux) – et d’un bouleversement démographique.

Cette migration était facilitée par le sentiment de supériorité qui dominait chez les colons, comme le rappelait l’orientaliste Maxime Rodinson dans un célèbre texte de 1967 intitulé « Israël, fait colonial ? »2 :

« La suprématie européenne avait implanté, jusque dans la conscience des plus défavorisés de ceux qui y participaient [à l’entreprise coloniale], l’idée que, en dehors de l’Europe, tout territoire était susceptible d’être occupé par un élément européen. […] Il s’agit de trouver un territoire vide, vide non pas forcément par l’absence réelle d’habitants, mais une sorte de vide culturel. En dehors des frontières de la civilisation. »

Cette arrogance, même quand elle ne donnait pas lieu à des massacres (ce qui était rare), justifiait toutes les discriminations à l’égard des autochtones et ancrait, dans la vie comme dans la loi, une « séparation » entre les nouveaux arrivants et les « indigènes », une domination des premiers sur les seconds, un apartheid de fait bien avant la popularisation du terme. Tout le système reposait sur des droits distincts, individuels et collectifs, entre colons et « indigènes », ces derniers fragmentés selon une multitude de statuts : « évolués », métis, mulâtres, sang-mêlé, etc.

Un mouvement né en Europe

Le sionisme, s’indignent ses défenseurs, n’a rien à voir avec une entreprise coloniale. Né au XIXe siècle, il se présente comme un mouvement de libération similaire à celui des peuples opprimés vivant dans les grands empires multinationaux, ottoman, tsariste ou austro-hongrois – des Serbes aux Slovaques, des Polonais aux Croates. Comme eux, il réclamait la création pour les juifs d’un État ; mais, contrairement à eux, il voulait le bâtir non pas là où habitaient la majorité des juifs, mais en Palestine3, où leur nombre était limité. Il invoquait les liens historiques et religieux avec cette terre, au nom de la Bible, un texte sacré datant de quelques milliers d’années et qui était censé constituer une sorte de titre de propriété. Ironie de l’histoire, la plupart des fondateurs du mouvement étaient athées.

Des récits mythologiques peuvent-ils justifier une revendication territoriale ? Un texte comme la Bible dont il a été démontré qu’il n’a que peu de rapport avec des événements réels, bien qu’il soit enseigné une heure par jour dans les cours d’histoire (je dis bien d’histoire) de toutes les écoles israéliennes, peut-il constituer un acte de propriété ?

Pourtant, nombre d’Occidentaux qui s’affirment laïcs et rejettent toute prescription au nom de textes divins ou de droits immémoriaux acceptent ces arguments. Récemment encore, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a salué « le peuple juif qui a pu finalement bâtir son foyer sur la Terre promise ». Promise par Dieu ? Si on appliquait ces principes ailleurs, on déboucherait sur mille ans de guerres, comme l’illustre la proclamation par Moscou que l’Ukraine n’est rien d’autre que la « petite Russie » ou celle de la Serbie que le Kosovo est le berceau de son peuple. Et pourquoi la France ne réclamerait-elle pas Aix-la-Chapelle, capitale de l’empire de Charlemagne, « roi des Francs » ? Il ne s’agit pas de nier les liens religieux des juifs avec la Terre sainte ; durant les siècles de domination ottomane, et sauf raisons liées aux guerres, ils ont pu s’y rendre en pèlerinage, se faire enterrer à Jérusalem dans l’espoir d’être les premiers à connaître la résurrection à l’avènement du Messie. Il ne viendrait à l’idée de personne de louer l’installation des « pères pèlerins » en Amérique au nom de leur droit à y construire « la Cité de Dieu » – sauf, bien sûr, les fondamentalistes chrétiens – ni la conquête de l’Afrique australe par des Afrikaners au prétexte qu’ils étaient « le peuple élu ».

Un socialisme de la conquête

Trois autres arguments ont été avancés par le mouvement sioniste pour nier sa dimension coloniale, même si certains sont tombés en désuétude : son caractère socialiste, sa dimension anti-impérialiste, et l’absence d’une métropole dont seraient issus les colons.

On l’a oublié, mais il fut un temps où Israël se réclamait du socialisme. Nombre de ceux qui, dans les années 1920 et 1930 firent leur alya (installation en Palestine) étaient animés par des convictions collectivistes. Cependant, l’historien israélien Zeev Sternhell4 notamment a démontré que les structures agricoles ne s’inscrivaient nullement dans un projet égalitaire. La mise en place, d’un côté, du moshav (coopérative de fermes individuelles) et, de l’autre, du kibboutz collectiviste visait prioritairement à liquider l’agriculture privée juive, qui rechignait à se débarrasser de la main-d’œuvre arabe, moins chère et plus productive que les colons fraîchement débarqués de Russie. Et surtout, le kibboutz, très militarisé – « une main sur la charrue, l’autre sur le glaive » -, visait le maillage sécuritaire du territoire, premier pas vers sa conquête. En 1944, le succès était indéniable : sur les 250 colonies juives, on comptait une centaine de moshav et plus de 110 kibboutz ; ne subsistaient plus qu’une quarantaine de propriétés gérées par des juifs à titre privé – ces derniers interdits d’aide par l’Agence juive. Si le kibboutz a été un très bon produit d’exportation pour vendre un « Israël socialiste » – dans les années 1960 encore des dizaines de milliers de jeunes Occidentaux y firent l’expérience de la vie collective -, il n’en reste plus que des décombres, qui ne peuvent dissimuler le caractère profondément inégalitaire d’Israël.

Se séparer de la métropole ?

Dans les années 1940, certains groupes sionistes s’opposèrent, y compris par un terrorisme sanguinaire (ce que leurs héritiers n’aiment pas se rappeler) à la présence britannique, mais cela faisait-il du sionisme un mouvement anti-impérialiste ? Sans le soutien résolu de Londres, la puissance impérialiste dominante pendant la première moitié du XIXe siècle, jamais le yichouv (la communauté juive en Palestine) n’aurait pu se transformer en une entité politique, économique et militaire autosuffisante dès les années 1930. D’autre part, l’opposition à Londres entre 1944 et 1948 ressemble fort à des phénomènes récurrents auquel on a assisté dans les années 1950 en Algérie ou dans l’ex-Rhodésie, quand les colons se sont opposés à un moment donné à la métropole. L’Organisation action secrète (OAS) devrait-elle recevoir un brevet anti-impérialiste pour s’être insurgée contre la France ? Il est vrai que le mouvement sioniste a pu l’emporter en 1947-1949 grâce à l’aide politique et militaire de l’URSS, mais il est ironique de voir que ceux qui présentent Joseph Staline comme un tyran sanguinaire utilisent la realpolitik de l’URSS pour bouter les Britanniques hors du Proche-Orient comme un brevet de « progressisme » pour le sionisme.

Quant au fait qu’il n’existerait pas de métropole pour les juifs comme il en existait pour les « pieds-noirs » avec la France, c’est oublier que la situation était similaire pour les pionniers en Amérique ou en Afrique australe, qui venaient d’une multitude de pays européens. On pourrait désigner, dans tous ces cas, l’Europe comme « métropole globale ».

Au cœur de la stratégie, la séparation des populations

Cette nature coloniale du mouvement sioniste a nourri sur le terrain une stratégie fondée, comme en Afrique australe ou en Algérie, sur la séparation entre colons et autochtones. Certes, celle-ci a pris des formes différentes selon les contextes géographiques, historiques et politiques, mais elle a partout signifié des droits supérieurs pour les premiers. Ainsi, en Palestine, « la déclaration Balfour » (1917) traçait une ligne de partage entre les juifs qui se voyaient offrir « un foyer national » et les autres collectivités (musulmans et chrétiens) qui ne pouvaient réclamer que des droits civils et religieux.

Sur le terrain, sous l’aile protectrice de Londres, le mouvement sioniste entama ce qu’il appelait « la conquête de la terre » (débarrassée de ses paysans arabes) et « la conquête du travail » qui impliquait le refus du travail en commun d’ouvriers juifs et arabes. Ce « développement séparé » du yichouv renforcé par l’immigration massive de juifs fuyant les persécutions nazies devait aboutir à la création d’institutions, d’une armée et d’une économie totalement séparées.

Contrairement à d’autres entreprises de colonialisme de peuplement (Algérie, Afrique du Sud), l’objectif du sionisme était de créer un État national pour les colons et donc de se débarrasser de la population autochtone. Cette ambition fut partiellement atteinte avec l’expulsion de 600 à 700 000 Palestiniens en 1947-1949 et la création d’une citoyenneté juive qui n’incluait pas les autochtones5. Ceux qui étaient restés (150 000 environ) furent soumis jusqu’en 1966 à un régime militaire et une entreprise de colonisation intérieure – notamment la confiscation des terres -, avec la volonté de « judaïser la Galilée ».

La conquête de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza en juin 1967 posa un défi nouveau aux autorités israéliennes, en changeant le rapport des forces démographiques : désormais, sur le territoire historique de la Palestine vivent plus ou moins autant de juifs que de Palestiniens. Pour résoudre ce dilemme tant que les conditions d’une nouvelle Nakba ne sont pas réalisées, pour consolider l’« État juif », le sionisme se doit de légaliser un système d’apartheid, ethnocratique, qui pousse à l’affirmation sans aucun complexe d’un suprémacisme juif et institue une « séparation » avec les Palestiniens, aboutissement de plus d’un siècle de colonisation. C’est cette évidence que les opposants à la résolution du 4 mai refusent de reconnaître. On ne peut que leur conseiller de méditer ces paroles de Pantagruel dans « Le Tiers-Livre » de François Rabelais :

« Si les signes vous fâchent
Ô combien vous fâcheront les choses signifiées.
 »

source : Orient XXI

Netanyahou peut-il « lâcher » le punching-ball syrien en période de crise intérieure ?

Source : The Saker francophone - Alastair Crooke - Le 08/04/2023.

La Syrie est-elle vraiment entrée dans la dernière ligne droite ? Certainement. La question est toutefois de savoir si la Syrie progressera graduellement à travers les virages et les échelles de la fin de la partie, ou si elle redeviendra le théâtre d’un conflit lorsque des « incidents » éclateront et qu' »Israël » lancera des attaques aériennes répétées.


Par Alastair Crooke – Le 8 avril 2023 – Source Al Mayadeen

crooke alastairDans l’enchevêtrement sanglant de la politique américaine déclenchée par l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995 et l’accession de Benjamin Netanyahou au poste de premier ministre dans la foulée, la Syrie était avant tout la « tête » de ce conflit vicieux et semble aujourd’hui destinée à en être la « fin » , à mesure que le lien entre la Russie et la Chine met à mal la stratégie « diviser pour mieux régner » mise en œuvre à l’époque de l’hégémonie américaine.

La catastrophe a commencé dans la région lorsqu’un groupe de néo-conservateurs américains – qui occuperont plus tard de hautes fonctions dans l’administration Bush – a rédigé en 1996 un document politique intitulé « Une rupture nette » , destiné à guider le nouveau gouvernement intransigeant de Netanyahou en « Israël » .

Comme l’a écrit Dan Sanchez, « la rupture nette a été pour Israël (et finalement pour les États-Unis) ce que le discours Sang et Fer d’Otto von Bismarck de 1862 a été pour l’Allemagne – alors qu’il mettait l’Empire allemand sur un sentier de guerre qui allait finalement embraser l’Europe[Ce que] l’on oublie souvent, c’est que le document proposait un changement de régime en Irak, principalement comme « moyen » d’affaiblir, de contenir et même de faire reculer la Syrie » . En d’autres termes, la Syrie a toujours été une cible privilégiée.

Et renverser Saddam Hussein en Irak, en d’autres termes, n’était qu’un tremplin pour « mettre la main » sur la Syrie. Comme l’a dit Pat Buchanan : « Dans la stratégie Perle-Feith-Wurmser, l’ennemi d’Israël reste la Syrie, mais le chemin de Damas passe par Bagdad » .

La Rupture nette préconisait essentiellement que les États-Unis changent le régime des États régionaux baasistes socialistes laïques (considérés par les auteurs du document comme des mandataires de la Russie) et qu’ils s’allient à l’islamisme et aux « monarques et émirs » .

Aujourd’hui, les « monarques et émirs » sont fermement ancrés dans l’axe eurasien en pleine ascension. La nouvelle architecture de sécurité émergente, autour de laquelle tourne tout le reste, est l’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran, conclu sous la médiation de la Chine.

La simple logique d’un rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran rend manifestement superflu l’espace de combat syrien actuel, défini pendant une décennie comme opposant les forces sunnites radicales aux chiites syriens, alliés de l’Iran. Cela n’a plus de sens dans le sillage de l’accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite.

Les États du Golfe, dont l’Arabie saoudite, s’empressent donc de rétablir leurs relations avec Damas. La Turquie, qui prend également ses distances avec Washington, cherche elle aussi une formule lui permettant de se retirer de Syrie. Pour conclure l’accord, le président Erdogan souhaite une rencontre rapide avec le président Assad (avant les élections turques de mai), sous les auspices de Moscou. Tandis qu’à Damas, on préfère attendre de voir les « reçus » des élections turques avant d’entamer une réconciliation directe avec Erdogan. Pour l’instant, le retrait de la Turquie est gelé.

Paradoxalement, le président Assad est aujourd’hui devenu une sorte d’icône d’une politique arabe nouvellement affirmée : les États du CCG se présentent comme un « centre de pouvoir » mondial latent, sur le point de devenir le réseau transactionnel qui consolidera le cadre de transit eurasien, le corridor nord-sud vers le Golfe et l’Asie, et le réseau ferroviaire africain à grande vitesse.

Le corridor de la Nouvelle route de la soie passe bien sûr par la Syrie. (Il traverse également l’Iran, le corridor Nord-Sud coupant l’Iran en deux verticalement). C’est la logique qui sous-tend la vision de la mise en réseau du « centre de pouvoir » émergeant du CCG.

Alors, la Syrie est-elle vraiment entrée dans la dernière ligne droite ? Certainement. La question est toutefois de savoir si la Syrie progressera graduellement à travers les virages et les échelles de la fin de la partie, ou si elle redeviendra le théâtre d’un conflit lorsque des « incidents » éclateront – avec « Israël » menant des attaques aériennes répétées contre des infrastructures iraniennes (présumées).

L’Iran a vigoureusement mis en garde les États-Unis contre toute attaque de bases en Syrie établies « à l’invitation » de Damas, après qu’une attaque de représailles des F-15 américains contre des bases de milices a tué dix-neuf personnes la semaine dernière. Cette dernière répondait à des tirs de roquettes visant la base américaine du champ pétrolifère d’Al-Omar à Deir Ezzor. Pour la première fois, les attaques des milices ont entraîné la mort d’un « contractant » américain et blessé cinq soldats américains, selon les chiffres officiels américains.

Le nombre réel de victimes pourrait bien être plus élevé, car les États-Unis affirment qu’un certain nombre de leurs militaires auraient souffert de problèmes de santé mentale à la suite des attaques à la roquette. Le point le plus important, cependant, est que les drones iraniens ont réussi à pénétrer les systèmes de défense aérienne entourant les bases américaines.

Comme on pouvait s’y attendre, au moment même où Assad est progressivement réintégré dans le giron arabe, un groupe de près de 40 « experts » américains sur la Syrie et d’anciens fonctionnaires américains se sont levés pour demander à l’administration Biden de s’opposer vigoureusement à la normalisation de la Syrie par les États arabes. La lettre affirme que les États-Unis devraient maintenir leur empreinte militaire dans le nord-est de la Syrie, en partenariat avec les Forces démocratiques syriennes (FDS).

En clair, l’attaque des milices contre la base d’al-Omar n’était pas un « coup de tonnerre », mais a apparemment résulté d’une coordination informelle entre la Russie et l’Iran visant à expulser entièrement la présence américaine de Syrie. Un commentateur iranien de haut niveau en matière de politique étrangère a fait remarquer sur Twitter : « Le régime américain devrait réfléchir très attentivement à sa prochaine action. Ne pas tenir compte de la détermination de la résistance contre l’occupation illégale des États-Unis sera extrêmement coûteux » .

Alors que les Russes, d’une part, signalent leur mécontentement face à l’occupation américaine à Al-Tanf (par des survols réguliers de chasseurs aérospatiaux russes), la partie iranienne semble être chargée de faire pression sur la présence américaine dans les deux gouvernorats d’Al-Hasakah et de Deir Ezzor, dans le nord-est de la Syrie.

Joe Biden a indiqué que les États-Unis ne voulaient pas d’une guerre contre l’Iran. Et « Israël » n’a pas la capacité de mener une guerre contre l’Iran, sans le soutien total des États-Unis. Toutefois, Netanyahou, qui traverse une crise majeure dans son pays, pourrait se réjouir d’une « guerre » non déclarée, de faible intensité avec des successions d’attaques et de représailles contre l’Iran, afin de détourner l’attention de ces difficultés. L’équipe Biden observera la situation avec inquiétude.

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

Il ne reste que deux options pour Israël : Une nouvelle Nakba ou un État pour deux peuples

 

par Gideon Levy - Le 29/05/2023.

L’une des plus grandes réussites de Benjamin Netanyahou est d’avoir définitivement balayé de la table la solution des deux États. En outre, au cours de ses années au poste de Premier ministre, il est parvenu à faire disparaître l’ensemble de la question palestinienne de l’agenda public.

En Israël et à l’étranger, plus personne ne s’y intéresse, si ce n’est pour la forme, du moins pour l’instant. Aux yeux de la droite, il s’agit d’une formidable réussite. Aux yeux de toute autre personne, il s’agit d’une évolution désastreuse, l’indifférence à son égard étant encore plus désastreuse.

Netanyahou ne nous laisse que deux solutions à long terme, et pas plus : une seconde Nakba ou un État démocratique entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Toute autre solution est insoutenable et n’est qu’une illusion, comme toutes celles qui l’ont précédée, destinée à gagner du temps pour consolider l’occupation. Non pas qu’il y ait beaucoup plus à consolider : l’occupation est profonde, consolidée, forte et irréversible. Mais si l’on peut la consolider encore plus, pourquoi pas ? Le retrait de la question de l’ordre du jour permettra de déclarer officiellement la mort de la solution à deux États, des décennies après qu’elle est morte de facto.

Netanyahou souhaitait supprimer tout débat sur l’existence de deux États, et il y est parvenu sans difficulté. Il n’est pas étonnant que les deux parties sachent parfaitement qu’aucune solution sérieuse et globale n’a été proposée depuis que les premiers colons ont occupé le Park Hotel à Hébron en 1968. En tout état de cause, il n’y a pas de place entre le Jourdain et la Méditerranée pour deux véritables États-nations, dotés de tous les attributs d’un État indépendant, y compris d’une armée. Il y a tout au plus de la place, dans les bons jours, pour une superpuissance régionale juive et un État palestinien fantoche. Il faut respecter les personnes qui se battent encore pour deux États dans leurs prévisions, leurs plans, leurs tableaux et leurs cartes, mais aucune base de données ne peut changer le fait flagrant qu’aucun véritable État palestinien ne sera établi ici. Sans lui, il n’y a pas de solution à deux États.

En tuant cette solution, Netanyahou ne nous laisse que deux solutions possibles. La grande majorité des Israéliens, y compris Netanyahou lui-même, comptent sur la perpétuation de l’apartheid pour l’éternité. Ostensiblement, cela semble être le scénario le plus raisonnable. Mais la montée en puissance de la droite israélienne et l’esprit de résistance des Palestiniens, qui ne s’est pas complètement dissipé, ne permettront pas que cette situation perdure éternellement. L’apartheid est une solution provisoire, peut-être à long terme – il est en place depuis plus de 50 ans et peut persister pendant encore 50 ans – mais sa fin viendra. Comment cela se passera-t-il ? Il n’y a que deux scénarios possibles. L’un est privilégié par l’extrême droite et, malheureusement, peut-être par la quasi-totalité des Israéliens : une seconde Nakba. Si les choses se précipitent et qu’Israël doit choisir entre un État démocratique pour deux peuples et une expulsion massive de Palestiniens afin de maintenir l’existence d’un État juif, le choix sera clair pour la quasi-totalité des juifs israéliens. À partir du moment où la solution de deux États a été écartée, ils n’ont plus eu d’autre choix.

C’est une bonne chose que la solution des deux États ait été retirée de l’ordre du jour, étant donné que l’implication stérile actuelle dans ce domaine n’a fait que causer des dégâts. Il s’agissait d’une solution prête à l’emploi, nous l’adopterons donc au moment opportun. Cela a consolé le monde et les camps de gauche et du centre en Israël, tout en ignorant les centaines de milliers de colons violents qui exercent un pouvoir politique important et qui ont donné le coup de grâce à cette solution il y a longtemps. Dans une Cisjordanie dépourvue de juifs, cette solution avait quelques chances ténues, mais pas dans une région où les colons règnent en maîtres. Le problème, c’est que les cinq millions de Palestiniens qui vivent entre le Jourdain et la Méditerranée ne vont nulle part entre-temps.

Le jour viendra, même si ce n’est que dans un avenir lointain, où l’on nous braquera un pistolet sur la tempe : une deuxième Nakba, avec l’expulsion des Arabes israéliens [Palestiniens de 1948], ou un seul État démocratique, avec un premier ministre ou un ministre de la Défense palestinien, une armée commune, deux drapeaux, deux hymnes et deux langues. Il n’y a pas d’autre solution que celles-ci. Laquelle choisirez-vous ?

source : Haaretz via Tlaxcala

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