A propos du raid sur Saint-Nazaire

par Sandrine PICAUD-MONNERAT - le 28/03/2017.

Saint-Nazaire, place du Commando :

Le sabotage de la mémoire du raid de 1942

 

Alors que la date du 28 mars 2017 vient de marquer le 75e anniversaire de l'opération "Chariot" à Saint-Nazaire, je souhaite exprimer, en tant que nazairienne et en tant qu’historienne, ma vive protestation contre le sabotage d'un lieu de mémoire éminent, perpétré par les autorités municipales nazairiennes, avec la transformation de la place du Commando, lieu de commémoration comme son nom l’indique, en un espace commercial.

 

Le démantèlement des symboles monumentaux qui avaient été placés là pour commémorer l'action des forces spéciales britanniques menée le 28 mars 1942, c’est-à-dire d’une part le déménagement de ces symboles - en des lieux plus excentrés -, et d’autre part leur séparation en deux morceaux (le menhir et sa stèle aux morts en un endroit, le canon rescapé du destroyer Campbeltown en un autre endroit) ; ce démantèlement, donc, signifie la destruction d'un site majestueux, qui était à la fois – et de façon très judicieuse – un lieu de passage très fréquenté et un lieu de souvenir marquant, unique, donc cohérent.

 

Au long des années, la place du Commando m'a toujours frappée par la cohérence de ces symboles historiques et par sa beauté comme site de commémoration, avec son square de pelouse fleurie, alliant le menhir et sa stèle, d'un côté, le canon de l'autre, face à la mer.

 

L'opération "Chariot" est une page de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale qui a marqué profondément les Nazairiens. Mon père, qui avait près de 11 ans à l'époque, se rappelait encore distinctement, 70 ans après l'événement, l'immense explosion du Campbeltown qui rendit inutilisable la forme Joubert. Ma tante, qui avait pour sa part près de 18 ans, en gardait également de vifs souvenirs.

 

Les lieux de mémoire sont, dans notre pays, un maillage qui nous relie au passé, aux pages glorieuses comme douloureuses, à ce qui donne du sens même aux actes extrêmes. Et s'attaquer au port de Saint-Nazaire tenu fermement par l'occupant allemand, à un contre dix ou presque, après un long périple mené par une flottille hétéroclite centrée autour d'un navire transformé en bombe flottante, était un acte extrême, par le courage, par le sens du sacrifice, par la prise de risque.

 

C'est parce qu'il y a eu dans notre Histoire – et qu'il y a encore aujourd'hui – des soldats aussi courageux que ces commandos britanniques, venus voici 75 ans mener ce raid extraordinaire, que nous pouvons vivre librement dans un pays indépendant. Ceux qui ont donné leur vie sur les côtes de la France occupée méritent notre respect et notre souvenir. Ils méritent des lieux de commémoration dignes de leur action, bien en vue, majestueux et cohérents, des lieux préservés, qui ne peuvent être déplacés ailleurs au gré de projets financiers et commerciaux visant des intérêts immédiats. Cette exigence est particulièrement vive dans le cas de l’opération Chariot, qui a été qualifiée d’un des plus grands raids de l’Histoire.

 

Le sabotage de la place du Commando est une insulte à la mémoire de ces hommes et un affront aux Nazairiens attachés à leur passé et à leur ville. La construction d’une plateforme de bungalows avec des commerces, des cafés, des restaurants, en lieu et place du monument commémoratif est un motif risible pour justifier un tel démantèlement. Quant aux explications mémorielles avancées pour essayer de donner une pertinence au déplacement et à la dispersion des deux monuments (le menhir plus près de sa cible ; le canon tourné vers la terre, et non plus vers la mer…), ces explications ne trompent pas : les intérêts financiers et politiques l'ont emporté sur le sens du souvenir et de l'honneur.

 

Tourner le dos à son passé est la meilleure manière de favoriser une fuite en avant en oubliant les leçons de l'Histoire, au risque évident d'en répéter les erreurs. La place du Commando nous manquera.

 

Sandrine PICAUD-MONNERAT
Agrégée et docteur en histoire

 

Source : http://www.asafrance.fr/item/a-propos-du-raid-sur-saint-nazaire-libre-opinion-de.html


Qui se souvient du 28 mars 1942...

...l'opération "Chariot"

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