En attendant si on sautait ?

...par Roger Neusius (Ancien du 13° RDP)

Source : https://www.parachutistes-militaires.org/t1440-sauter#4056

Période de confinement oblige, on s’occupe comme on peut.
On écoute la radio, on lit les pièces jointes des messages dont vous submergent les amis, on prépare l’ail et l’échalote…
J’en étais là de mes occupations lorsqu’il m’a semblé entendre une chanson.
Les paroles n’étaient pas très nettes, alors j’ai improvisé :

« Voulez-vous sauter grand-mère ?
Voulez-vous sauter grand-père ?
Tout comme au bon vieux temps
Quand vous aviez vingt ans…


Le silence est revenu et au fond de moi quelqu’un m’a demandé :
« Tu as sauté pour quoi toi ? Pour les copains ? »

Ça m’a donné l’idée d’écrire ces quelques lignes.



**************

Quelqu’un a parlé de saut, là-bas dans le fond.
Alors j’ai eu envie de répondre.
Sauter pour qui, pour quoi ?
Quand j’ai sauté, j’étais seul…
Pourquoi ai-je sauté ?
Peut-être à cause du bruit que j’avais du mal à supporter…
Ou du moniteur en qui j’avais confiance ? A cause du pilote, du navigateur, du troisième hublot crasseux à gauche ?
Aucune importance, je ne les voyais pas…
Confiance dans mon chef. Oui, certainement un peu. Peut-être aussi pour remercier le gars qui m’avait contrôlé la SOA, celui qui rigolait en se tenant aux câbles suspendus en nous regardant chanter. Ou alors pour cet avion plein de boulons mal fixés mais si maternel avec ses vibrations...
Que sais-je ?
Ce que je sais, c’est que j’étais seul avec moi-même.
Seul avec mon mal de dos, ma gorge sèche, mon pantalon, ce ventral caressé fébrilement …
Plein de raisons pour un arrêt maladie…
Les copains ? Ils étaient seuls eux aussi…
Seuls, mais ensemble…
Ensemble parce que quelque chose nous reliait. L’envie de se dépasser, de croire qu’on est capable…
Capable de faire mieux ou aussi bien que le copain ?
Non !
Non, ce n’est pas çà !
Non, c’est parce qu’on veut faire mieux que le gars qui est là, juste à côté.
Ce gars ?
Mais oui, vous le connaissez bien ce gars.
C’est celui qui est au fond de nous et qui  se cherche une bonne raison…
Le pauvre type qui est notre copain intime. Vous le connaissez si bien…
C’est le défaitiste-pacifiste-guerrier du coin du bar qui gagne les matchs quand ils sont terminés…
Oui, on va sauter.
Il va sauter !
Je l’ai fait sauter.

Sauter pour qui, pour quoi ?
Quand je pense aux jeunes qui sautaient dans les paras clubs civils…
Parmi eux, souvent, des jeunes filles.
Et des jeunes filles à sauter en parachute, vous en connaissiez beaucoup au début des années 1960 ?
Elles faisaient comme nous. Enfin presque.
Parachute, installation, envol, montée et ouverture sympathique de la petite porte.
Avancer penché, c’est pas grand un Dragon. Cet avion d’un autre temps qui copinait avec saint Michel…
Accrocher son mousqueton, enjamber lentement le rebord de la porte, poser son pied, puis le deuxième sur l’aile, là, sur l’emplacement caoutchouté noir…
L’air est frais et le fond de l’eau est loin.
On y est.
Les pieds restent sagement en place. Sans leurs rangers. Oui, elles n’avaient pas ce genre de chaussures.
Puis, les deux mains sur la barre, un œil sur celui du moniteur, on attend le signal…
Un hochement de tête, un sourire ou un clin d’œil, un petit geste de la main et pas de « Go »…
Oui, pas de copains, copines, là aussi on est seule…
Avec le vent qui gifle la figure et cette barre métallique…
Vraiment seule.
Lentement la main s’ouvre, la deuxième aussi, je le veux…
Alors on se lâche… sans sirène ou klaxon…
C’est vrai, le klaxon, le bruit, le coup sur l’épaule, la poussée du copain dans le dos…
Ça aide… dirait l’autre…
Alors Ma Demoiselle chapeau bas !
Vous avez fait sauter votre copine…

Finalement, sauter en parachute c’est simple.
Il suffit d’avoir un copain…

Pour finir, je vais vous faire une confidence.  
Vous savez, vous pouvez sauter avec qui vous voulez…

 

(Le Dragon... C'est une "Demoiselle" qui monte. Regardez ses chaussures...)



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NDLR
 : on l’aura compris, il ne s’agit pas d’un saut opérationnel…

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