Intervention militaire en Syrie: "La France a intérêt à faire attention aux bavures"

Alain CHOUET pour l'Express.

François Hollande a annoncé ce lundi que la France mènerait "des vols de reconnaissance en Syrie" mais a exclu toute intervention au sol. Analyse de cette stratégie militaire avec Alain Chouet, spécialiste et de la région et ancien agent des renseignements extérieurs.

 


Face à l'afflux des migrants et à la progression de Daech, François Hollande n'a pu que se résoudre à changer de position. En conférence de presse ce lundi, le chef de l'Etat a annoncé que la France engagerait dès mardi des "vols de reconnaissance" en Syrie en vue de possibles frappes aériennes contre les djihadistes. Jusqu'ici, les interventions militaires françaises s'effectuaient uniquement depuis l'Irak pour ne pas donner l'impression de soutenir le régime de Bachar el-Assad. 

François Hollande a toutefois fermé la porte à l'envoi de troupes françaises au sol en Syrie. "Ce serait irréaliste et inconséquent", a-t-il souligné, évoquant le risque que la France s'isole et que l'opération se transforme en "occupation". Un point de vue que ne partagent pas les Français. 61% d'entre eux se disent favorables à cette option militaire, selon un sondage paru dimanche dans Le Parisien. Spécialiste de la région arabe et ancien chef du service derenseignement et sécurité à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Alain Chouet analyse cette divergence d'opinion pour L'Express. 



Doit-on se satisfaire des annonces de François Hollande? 

Alain Chouet : Elles marquent en tout cas un revirement dans la diplomatie française qui s'est obstinée dans une position intenable. Jusqu'ici, il y avait ce dogme intangible consistant à dire: "Il ne faut pas intervenir en Syrie sinon, on fait le jeu du pouvoir." Je salue cette inflexion. Même si, entre le régime de Bachar el-Assad et Daech, c'est la peste et le choléra, l'un des deux est quand même plus dangereux. Et dans le danger, il faut choisir ses priorités. C'est fini, le discours 'va t-en guerre' contre Bachar. 

Maintenant, sur la portée pratique, il ne faut pas être dupe. Objectivement, ce sera quand même interprété comme un soutien au régime syrien. En outre, la France n'intervient déjà pas beaucoup en Irak. 95% des frappes aériennes sont menées par les Etats-Unis. Ce n'est pas avec quelques attaques en plus en Syrie que nous ou les autres pays parviendront à résoudre cette crise et à faire disparaître Daech. 

François Hollande évoque des "vols de reconnaissance" avant les frappes. Que veut-il dire? 

C'est une contorsion pour ne pas dire les choses. Ces vols de reconnaissance ont évidemment des fins d'action. François Hollande opère déjà un tournant à 180 degrés dans sa politique internationale, il ne veut sans doute pas manger toute la pile de chapeaux d'un coup. 

La coalition dispose d'une cartographie aérienne satisfaisante de la région. Mais il est possible que ces vols servent à distinguer les islamistes de Daech de la population civile. Car toute la difficulté dans cette guerre réside dans le fait que les groupes se servent des Syriens comme des boucliers humains. La France a intérêt à faire attention aux bavures

Pourquoi François Hollande est-il toujours réticent à intervenir au sol alors que les Français semblent y être favorables? 

Entre la menace terroriste et la pression migratoire, les Français ont une position plus tranchée. Ils ont légitimement peur de l'Etat islamique et de son influence. Maintenant, lorsque l'on regarde la chose militaire, il n'est pas sûr qu'ils aient conscience des conséquences. Si une opération militaire au sol peut être rapide, elle ne sera pas évidente. Il y a un gros risque de morts côté Français. Je ne suis pas sûr que l'opinion publique soit prête à entendre cela et c'est compliqué pour François Hollande d'assumer des pertes à un an et demi de la présidentielle. 

Ensuite, comme l'a dit le président, il y a la peur de l'isolement. Mais surtout, il faut penser à l'après. On ne peut pas arriver, dégager tout le monde et dire aux Syriens: "Maintenant, débrouillez-vous." Il faut une transition politique et ne pas faire comme ont procédé les Etats-Unis en Afghanistan ou en Irak où aucune solution n'a été trouvée. Il faut aussi protéger les minorités menacées. Les Américains ont mis à la porte tous les sunnites et une partie d'entre eux tombe aujourd'hui dans les bras des djihadistes! En intervenant dans les airs en Syrie, la France tente en fait de pousser les autres pays voisins de la région à mouiller la chemise et à intervenir, eux, au sol. 

La France n'a pourtant pas hésité longtemps avant intervenir au sol au Mali... 

Effectivement, mais ce n'était pas la même situation et les mêmes acteurs. Pardonnez-moi l'expression mais le Mali a longtemps été considéré par la France comme son arrière-cour. Elle était le seul acteur susceptible d'intervenir là-bas. En Syrie, nous sommes dans le grand jeu de la politique internationale avec un certain nombre de pays puissants qui sont impliqués. Tout le monde essaye de ménager son image. 



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