QUESTIONNEMENT LÉGITIME SUR LE RÔLE DES ARMÉES.

Par le Général (2s) Jean-Marie FAUGERE

L’exécution du plan gouvernemental VIGIPIRATE au stade le plus élevé de son intensité, dénommé à l’occasion Sentinelle, à l’issue des événements du 7 janvier dernier a vu le recours aux forces armées dans le cadre d’une action d’ensemble contre le terrorisme. Déployé en dehors de tout état d’exception (état de siège, état d’urgence, défense opérationnelle du territoire), ce plan est destiné à assurer la sécurité de lieux et de points sensibles. Il pose néanmoins la question du rôle des armées sur le territoire national et des conditions d’engagement de soldats en armes dans un cadre qui n’est pas rigoureusement défini sur le plan juridique, à l’inverse justement des états d’exception évoqués plus haut.

Mis en œuvre à des fins politiques pour rassurer la population, Sentinelle répond davantage à une préoccupation d’ordre émotionnel qu’à un objectif précis visant à l’efficacité militaire. Les armées ont été en quelque sorte réquisitionnées par la puissance publique, sous l’autorité des préfets, mais sans être pour autant considérées comme des forces dites de 3ème catégorie, destinées au maintien de l’ordre.

Dès lors, les règles de comportement et d’engagement imposent de limiter l’usage de la force à la stricte légitime défense, ce qui induit que les armées ne peuvent pas « ouvrir le feu d’initiative », tout comme les policiers en temps normal, à l’inverse des gendarmes qui jouissent de cette faculté en tant que force de police à statut militaire. L’agression d’une garde statique de militaires par un individu armé d’un couteau à Nice, illustre bien la maîtrise de la force par nos soldats qui n’ont pas fait usage de leurs armes, avec un grand sang-froid, bien qu’ils se soient trouvés en état de légitime défense.

Le plan Vigipirate incluant une forte participation des armées est appliqué sans interruption depuis septembre 1995 – bientôt vingt ans - à des degrés divers de mise en œuvre selon les périodes. Le stade actuel dit « alerte attentat » est le plus élevé.

Mais, cette durée exceptionnelle d’activation pour un plan de sécurité nationale pose in fine la question de la finalité du rôle des armées, tout autant que celui des forces de l’ordre par contrecoup. La posture actuelle qui requière la participation de 10.500 militaires, essentiellement de l’armée de terre, n’est pas tenable dans la durée sauf à remettre en cause l’entraînement des unités et leur participation aux opérations extérieures. D’autant que la situation justifiant la mise en œuvre de Sentinelle pourrait paraître comme définitivement installée par tous nos concitoyens, ce qui va rendre particulièrement délicate l’annonce à un retour à des stades d’alerte moindres, voire à un désengagement des armées.

Le fait que le Président de la République ait lui-même annoncé le ralentissement de la déflation des effectifs des armées entre 2015 et 2019, montre bien que les contrats opérationnels donnés aux armées, en adéquation supposée avec les menaces et leurs missions, étaient sous-estimés. On pourrait en dire autant des forces vives de la police et de la gendarmerie, dont les effectifs ont aussi connu une décrue depuis 2008, moins forte cependant que celle vécue par les armées, puisque la raison principale du recours aux armées tient à la nécessité de soulager l’effort des forces de l’ordre et de sécurité.

Mais, s’agissant de l’engagement d’unités de l’armée de terre, la véritable interrogation tient à la mission qui leur est confiée et aux modalités de son application. S’il est normal et légitime que les armées interviennent dans l’urgence en tant que seule force organisée au plan national, dotée des moyens nécessaires, pour pallier l’inexistence, l’insuffisance, l’inadaptation ou l’indisponibilité des moyens des forces de l’ordre et de sécurité, on ne saurait considérer comme normale une perpétuation de ce rôle, l’urgence passée, notamment depuis la création après-guerre des compagnies républicaines de sécurité et des groupements de gendarmerie mobile.

En effet, les armées doivent rester sur le territoire national le dernier recours, l’ultima ratio des gouvernants dans ce type d’intervention. A défaut d’user des « états d’exception », l’emploi de l’armée devrait signifier à l’ « adversaire » et à l’opinion publique un changement de posture, décidé par le gouvernement, devant la gravité d’une situation jugée elle-même exceptionnelle. C’est un signal fort. L’engagement d’un soldat en arme formé à neutraliser ou à détruire un adversaire ne doit pas se diluer, encore moins se dévaluer, sauf à contredire son statut singulier et spécifique de soldat. L’image de militaires en armes employés comme supplétifs de forces de l’ordre n’est pas saine. En ce sens, le défaut d’usage de ses armes à Nice par la patrouille agressée, délivre un signal négatif à l’égard de l’ « adversaire », lequel peut le considérer comme un aveu de faiblesse. Il faut méconnaitre la réalité de l’état militaire pour se féliciter de ce comportement et en faire le parangon des actions militaires à venir.

Si l’on considère que nos sociétés européennes sont exposées pour longtemps à la menace terroriste, hypothèse d’autant plus vraisemblable qu’elle est liée au fort taux d’engagement de nos armées en  interventions extérieures, il devient urgent de réfléchir et de statuer sur les missions données aux armées sur le territoire national. Il conviendrait surtout de leur accorder un statut particulier agrémenté d’un environnement juridique approprié qui ne peut se confondre avec celui des forces de l’ordre. Car, même si les missions de nos soldats, en zone urbaine, évoluent de gardes statiques vers des patrouilles plus mobiles pour les rendre moins vulnérables, la finalité des armées n’est ni de rassurer les populations, ni de contribuer à la diminution de la délinquance, mais bien de combattre un ennemi déclaré avec les moyens adéquats.


Jean-Marie FAUGERE

 

Source : Jean-Marie Faugère/ASAF



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