Syrie : quel est l’objectif ultime de François Hollande ?


Le 10/09/2015.


« Il fut un temps où la France sdémarquait suffisamment de la position des Etats-Unipour jouerle jour venuun rôle d’intermédiaire » écrivait, le 18 août dernier, Roland Hureaux pour le Figaro (1), rappelant que même sous François Mitterrand, « la France suivait les Etats-Unis mais en gardant un profil assez bas pour sauver la mise ». Comment comprendre la position du chef de l’Etat en surenchère sur les Etats-Unis, aussi bien sur l’Iran que sur la Syrie alors que, souligne encore l’essayiste, « la France (…) avait de solides positons en Syrie, son ancien mandat, où l’on n’a pas oublié que Jacques Chirac fut le seul chef d’Etat occidental à assister aux obsèques d’Assad père » ?

Rien dans son discours d’ouverture du 25 août à la conférence des ambassadeurs (2) ne lève le voile : François Hollande parle toujours de «neutraliser Assad » ce qui voudrait dire, selon Nathalie Guibert et Yves Michel Riols du Monde repris par Le Temps helvétique (3), que « cela signifie faire en sorte qu’il ne soit pas un obstacle à la négociation. Et non plus : s’en débarrasser au préalable ». 
Il persiste aussi, en dépit, nous l’avons déjà souligné ici (4), des réserves exprimées par une commission d’enquête dépendant du conseil des droits de l’homme de l’ONU dès 2013, à attribuer à Bachar el Assad seul les attaques à l’arme chimique menées contre la population syrienne. 

Comme il lui attribue, sans avoir l’air d’y toucher, la responsabilité d’avoir ouvert la porte à l’Etat islamique (Daech) : « Nous devons réduire les emprises terroristes sans préserver Assad, car les deux ont partie liée ». Ce qui contredit les déclarations très claires du général Flynn, ancien patron de la Defense Intelligence Agency (DIA) américaine (2012 2014), lequel, s’appuyant sur un rapport déclassifié de l’agence datant de 2012, que la « décision délibérée » de laisser monter en puissance, en l’armant, l’opposition à Bachar el Assad, avait été prise par l’administration américaine à l’époque. La vidéo de sa déclaration est encore disponible ici (5), celle de Youtube ayant été supprimée. 
Elle confirme la déclaration, le 12 décembre 2014, devant la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat du général (r) Vincent Desportes (6) : « Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre (ISIS) ? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences : ce sont les Etats-Unis. Par intérêt politique à court terme, d’autres acteurs – dont certains s’affichent en amis de l’Occident – d’autres acteurs donc, par complaisance ou volonté délibérée, ont contribué à cette construction et à son renforcement. Mais les premiers responsables sont les Etats-Unis (…) ».

S’il n’a abordé, le 25 août que des solutions diplomatiques pour aider à mettre fin au chaos irako-syrien, François Hollande réunissait, le vendredi 4 septembre au matin, un conseil restreint de défense sur la question syrienne.

La France n’exclut plus les incursions de ses avions au-dessus de la Syrie, annonçait le président lors de sa conférence de presse lundi 7 septembre, et d’abord pour des missions de renseignement – renseignement qui n’est partagé avec les Américains qu’en Irak. Jusqu’ici, les frappes françaises (environ 200 à ce jour) ne concernaient que l’Irak, sur la demande de son gouvernement légitime : Bachar el Assad n’ayant rien demandé de tel, il s’agit donc d’incursions dans le ciel d’un pays souverain. « Ces jours derniers », expliquaient les journalistes du Monde (3), « plusieurs responsables laissaient entendre que la conviction du chef de l’Etat était faite. «Il ne serait pas aberrant d’avoir de la continuité dans notre action, là où on équipe, on forme, on soutient par ailleurs des forces» contre l’EI, c’est-à-dire en Syrie, a expliqué au Monde une source de haut niveau. «La décision est prise», affirmait même un expert bien informé, sans que l’on sache à quelle échéance, dans les prochains mois, de premières missions de reconnaissance pourraient être menées en Syrie par les Mirage 2000 basés en Jordanie ou les Rafale d’Abou Dhabi intégrés aux plans américains ».

Dans son discours du 25 août, François Hollande lie sa volonté de trouver une solution en Syrie au problème des migrants, «entrées irrégulières dans l’espace Schengen » - une position relevée, et vivement critiquée par le conseiller spécial de la Fondation pour la recherche stratégique, François Heisbourg (3) : « Quel est le projet politique français ? Je ne vois pas d’intérêt à se joindre à la coalition en Syrie, à moins de vouloir démontrer que la France veut agir dans la crise des migrants en prétendant prendre le problème à la racine avec l’extension de l’opération Chammal ». Or, constate encore François Heisbourg, « En Irak, il y a eu un endiguement de l’EI (Etat islamique), mais la France a eu raison de ne pas suivre les Etats-Unis en Syrie, car elles ont renforcé la solidarité sunnite et n’ont pas affaibli Daech ».

D’autres encore expriment leur réserve : Jean-Pierre Raffarin, président au Sénat de la commission des affaires étrangères et des forces armées, par exemple, qui remarque : « Si une intervention doit avoir lieu, elle doit être fondée sur un accord avec d’autres partenaires que les seuls Etats-Unis. La Russie et l’Iran sont à réintégrer. Il est important que la France retrouve la marque de son indépendance sur la Syrie, la dernière fois qu’on a parlé de frapper, on était relativement alignés » (3).

En effet, la Russie : des rumeurs courent depuis quelque temps sur le renforcement (?) de sa présence autour de Damas, sans qu’il soit possible de vérifier quoi que ce soit par temps de propagande – au moins pour le grand public, si les renseignements militaires, eux, le savent. Le site russe RT (Russia Today, ici en français), qui a remarqué le « tournant stratégique » de la France sur la Syrie (« Certaines sources estiment que le revirement stratégique de François Hollande en Syrie serait dû à l'inquiétude occidentale de voir la Russie s’engager directement dans le conflit syrien » (7), revenait le 6 septembre sur le sujet de la présence russe en Syrie (8) : « Les médias occidentaux ont récemment publié des informations tapageuses sur la soi-disant présence de militaires russes en Syrie. A tel point que le secrétaire d’Etat John Kerry en a appelé le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov ». Exemples cités, RT confirme toutefois que « le ministère russe des Affaires étrangères a annoncé que les deux diplomates ont discuté des ''différents aspects de la situation en Syrie et ses environs ainsi que les objectifs de la lutte contre Daech et d’autres groupes terroristes’’ ». On peut imaginer que les deux diplomates ont parlé avec franchise de la situation telle qu’elle se présente (voir la carte).

En effet, rappelle le colonel Michel Goya dans une analyse très claire (9) « le problème opérationnel qui se pose aujourd’hui est que si une campagne aérienne peut parfois imposer une négociation favorable, croire que cela peut entraîner la destruction de l’Etat islamique est en revanche un vœu pieux ». Et disloquer l’armée de l’Etat islamique, « constituée de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, les estimations pouvant varier de 30 000 à 80 000, parfois plus si on intègre des unités non-permanentes de défense locale », n’est pas une affaire simple. « De fait, actuellement, seules des armées professionnelles occidentales, et peut-être russe, peuvent envoyer des soldats combattre avec courage et efficacité sur l’Euphrate avec éventuellement l’appoint de forces des monarchies arabes, jordanienne surtout »

« Or, et très clairement, les Etats extérieurs à la région, Etats-Unis en premier et sans qui rien d’important ne peut se faire, n’ont pas la volonté de s’engager vraiment ».

Dans ce contexte, et pour reprendre notre titre, quel est l’objectif ultime de François Hollande dans l’affaire syrienne ? Rappelons que la France est parvenue jusqu’ici à empêcher la formation d’un Etat proto-islamique en Afrique, à partir du Mali (9), opération (Serval, janvier 2013) menée à bien par ses forces armées malgré les restrictions budgétaires drastiques qui pèsent sur le budget de la Défense et qu’elle poursuit son effort (« Serval, n’étant pas un coup de main, s’est transformé en août 2014 en opération Barkhane, avec un redéploiement de l’appareil militaire français capable de gérer la stabilisation de la région (3000 hommes sur cinq pays) », nous l’écrivions ici en octobre 2014 (10). Peut-on, pour parler simplement, courir plusieurs lièvres à la fois sans déshabiller Paul pour habiller Pierre, et pourquoi faire exactement ? En s’alignant sur les Etats-Unis (c’est Nicolas Sarkozy qui a voulu sa réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN), elle a perdu, comme le remarque Roland Hureaux, sa capacité historique à jouer un rôle d’intermédiaire indépendant – le seul qui lui épargne l’effacement. 

A cette question, essentielle pour les simples citoyens comme pour les armées, le président français n’a pas apporté de réponse.

Hélène NOUAILLE 
La lettre de Léosthène


Source : http://www.asafrance.fr/item/libre-opinion-de-helene-nouaille-syrie-quel-est-l-objectif-ultime-de-francois-hollande.html


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